"Les soins de santé évoluent de plus en plus vite. Les modèles de financement des soins, inspirés du value-based care, et intégrant de plus en plus une approche basée sur la qualité, révolutionnent la pratique médicale en Belgique, qui est encore essentiellement basée sur les actes et les admissions hospitalières", a introduit le Dr Gilbert Bejjani. "Le shift ambulatoire et le raccourcissement des séjours, ainsi que le flux d'information et l'arrivée des applications mobiles modifient les modèles de soins. Le débat sur l'organisation de la première ligne est ouvert pour modifier la gestion des soins non urgents et pour accompagner la mise en place des hospitalisations et des soins à domicile. La place des déterminants sociaux de la santé et de la prévention devient plus importante. Tout cela amenant une charge de travail nouvelle, avec le burn-out qui explose chez les prestataires de soins. Il y a presque quotidiennement de nouvelles technologies et la connaissance des maladies s'améliore."
Un supplément de 300% sur une chirurgie à 2.000 euros, cela n'est pas très équitable, le bras de levier est énorme...
Le constat global, c'est un vieillissement de la population avec des personnes en relative bonne santé jusque 80 ans puis une dégradation de l'état général. Or les 80+ seront 10% en 2050. Ils concentrent déjà 50% des dépenses en soins. En parallèle, hélas, les performances du système de santé se détériorent. "On dépense beaucoup d'argent pour des choses pas chères mais redondantes ou peu efficientes et puis on n'a plus d'argent pour l'innovation. L'implication des patients et leur activation est un nouvel élément à prendre en compte. Enfin, la crise du Covid a vraiment changé la donne et la pénurie de ressources et de soignants augmente la pression et les enjeux."
Hospitalocentrisme
La Belgique demeure hospitalocentriste. La capacité en lits est trop grande même en temps de pandémie car ce sont les lits intensifs qui manquent. Bruxelles concentre sept hôpitaux avec de la chirurgie cardiaque alors que trois suffiraient, souligne Bejjani. On déplore une forte variabilité en termes de soins identiques. L'hospitalisation à domicile est une des clés mais l'informatique reste la faiblesse des hôpitaux.
Notre système est "bon" selon le KCE mais la prévention est insuffisante. Il y a trop de réhospitalisations. "La quote-part du patient est énorme: autour de 27%. Pour que le patient paie moins, il faudrait réinjecter de l'argent dans le système. Actuellement, l'argent est dilué dans le système en raison des actes redondants et des mauvais fonctionnements. Le système belge souffre au surplus des diverses réformes de l'État (notamment la 6e, ndlr) qui ont scindé les compétences en santé entre Régions. Les hôpitaux flamands par exemple sont beaucoup plus avancés en matière de concertation avec la 1ère ligne. À Bruxelles, c'est mieux grâce aux efforts de la FAMGB..."
La variabilité pour une même opération n'est plus tenable, si on prend comme exemple le cas des ménisectomies avec des variations de plus de 50% qui ne peuvent s'expliquer seulement par la qualité d'un chirurgien particulier. "Si l'on compare avec la Suède, on peut se demander si les Belges travaillent sur les genoux!"
L'ère des comparaisons entre hôpitaux est inéluctable à l'heure digitale: les objets connectés permettent des mesures au plus près des patients (lire page 32 la chronique de Jean Creplet). Une institution beaucoup plus chère devra s'aligner sur les moyennes dégagées par les datas digitales... La Belgique ne pourra pas éternellement refuser de publier les outcomes et échappe aux comparaisons internationales... "Singapour offre la santé gratuite pour 6% du PIB de dépenses de santé... L'innovation a un prix. En Belgique, on fait revenir le patient dix fois comme le montre une étude d'Antares sur la BPCO. Ça se paie... Il y a trop d'actes redondants dans notre pays. La 1ère ligne ignore ce qui se pratique dans les hôpitaux, ces derniers ne se parlent pas non plus. Chacun garde jalousement sa part du gâteau... Même si ça fait hurler, si je transfère 30% du budget des urgences hospitalières sur les Postes médicaux de garde, je fais une économie car la 1ère ligne coûte moins cher... Idem pour la prévention: un jogging plusieurs fois par semaine fait baisser la fréquence des problèmes cardiaques... Financer des assistants sociaux prévient les maladies mentales..."
10% d'hospitalisations inutiles
L'OCDE déplore chez ses membres 10% d'hospitalisations inutiles... "C'est la moyenne du case-mix de l'hôpital qui donne encore la valeur du prix de journée. C'est un obstacle pour aller vers le financement par pathologie. Tant qu'on travaille au lit justifié on ne pourra pas bouger. Il nous faut une meilleure intégration pour avoir un BMF global avec un financement à la pathologie pour les hôpitaux. Et des données fiables: quel est par exemple le taux d'incontinence post-chirurgie prostatique? 43% en en moyenne Allemagne, 6% à la Martini Klinik de Hambourg... En Belgique, si une excellente maternité à 30 km de chez vous fait 2.000 accouchements par an. Une autre, dans votre ville, à 5 km, en fait 400, une par jour. Deux le lundi, deux le vendredi. Que font-ils entre-temps? Ça vous donne envie?"
Concernant l'imagerie et la biologie, cela ne peut plus durer non plus, estime Bejjani. Dans les années 60, l'honoraire du médecin incluait les charges dans l'honoraire. Aujourd'hui, l'imagerie est devenue à ce point lourde qu'elle se concentre dans des mastodontes hospitaliers. "La nomenclature n'a pas évolué car, nous médecins, n'avons jamais voulu faire de shift de tel secteur vers tel autre secteur. Pourquoi devons-nous subir 15% d'économies sur la biologie clinique? Parce qu'elle va être shiftée vers les honoraires. Mais nous aurions dû, nous médecins, faire certaines réformes il y a bien des années. Mais les spécialistes ensemble au sein du GBS ont du mal à s'aligner et avec le GBO, très clivant, ce n'est jamais facile. Espérons que l'administration avancera avec nous..." Mais le soutien à la 1ère ligne doit être inconditionnel.
Enfin, il faut réformer les suppléments hospitaliers. "La capitation a du sens si on a le choix comme les MG, soit en pratique traditionnelle soit en maison médicale. Ce qui fait mal, ce sont les suppléments d'honoraires. Un supplément de 300% sur une chirurgie à 2.000 euros, cela n'est pas très équitable, le bras de levier est énorme. 150 euros de supplément sur une amygdale à 50 euros, c'est à peine suffisant. C'est problématique d'autant que l'hôpital prélève un gros pourcentage sur ces suppléments. Mais actuellement, si vous coupez les suppléments, la moitié des hôpitaux ferme et les médecins font faillite. A budget égal, les hôpitaux doivent gagner la même chose en travaillant autrement. Et les médecins aussi."
Un paiement à l'heure?
À la suite du symposium de l'Absym, le patron de l'Inami, Benoît Collin, a précisé sur Linkedin n'être pas favorable, per se, à un paiement horaire du médecin. Cependant, une fois que la partie professionnelle et la partie honoraire seront séparées, il faudra objectiver l'horaire concret pour chaque prestataire. "On devra alors se poser la question de la valeur de référence, par exemple d'une heure de médecin. Cela sera mieux parce que basé sur une analyse objective et pas sur un montant historique mélangeant l'honoraire professionnel et les frais de fonctionnement. Je ne plaide donc pas sur la méthode de rémunération finale des prestataires (salarié, indépendant, à l'acte, au forfait, ....). Pour notre système, la rémunération de la prestation est basée sur un honoraire (à l'acte ou forfaitaire) ou sur des indemnités ad hoc indépendamment du mode de rémunération final du prestataire qui n'est pas de la compétence des autorités mais du choix du prestataire ou de son éventuel employeur."
"La co-gestion, c'est nos oignons!"
Le Dr Donald Claeys (GBS) expose la manière dont fonctionne actuellement la co-gestion entre médecins et gestionnaires et lance quelques idées d'amélioration. En l'état, les médecins sont sous-représentés au niveau décisionnel, regrette-t-il.
Le gouvernement s'est donné seulement deux ans pour faire la cartographie des coûts hospitaliers en vue d'évoluer de suppléments d'honoraires à une franche séparation entre l'acte proprement médical et la partie professionnelle... Agenda intenable sans doute...
En attendant, les interférences entre les Conseils médicaux (CM) et les conseils de gestion (CG) des hôpitaux se poursuivent. "Le CM interfère seulement lorsque le budget a été élaboré. Puis il transmet ses directives à la direction", pointe Claeys.
Le secrétaire général du GBS se demande d'emblée si "médecin chef" et "directeur médical" sont bien des synonymes car on trouve l'un ou l'autre intitulé selon l'hôpital... Quoi qu'il en soit, voici comment la co-gouvernance se passe actuellement. Le CG fait des propositions au CM. Celui-ci donne un avis soit simple (le CG ne doit pas suivre l'avis) soit renforcé (Le CG est tenu de faire des réunions de concertation avec le CM1. L'avis simple concerne la désignation d'un chef de service, la nomination d'un médecin, l'équipement médical, un nouveau bâtiment, certaines plaintes... L'avis renforcé est nécessaire pour des dispositions générales, la nomination du médecin chef, le licenciement d'un médecin, sauf en cas d'urgence ainsi que l'équipement et le personnel financés par les honoraires.
Comité de concertation
Tous les mois on réunit le Comité de concertation (CC), présidé par le président du CG avec délégation du CM, médecin chef, directeur général plus personnes ad hoc. Seuls le président et quelques membres votent. "La représentation des médecins n'est pas idéale. Les petites spécialités sont mises en minorité."
Si la co-couvernance existe déjà dans les faits au sein du CG, ce n'est pas pour autant de la co-gestion. Car un certain nombre de médecins hospitaliers (indépendants notamment) sont mal représentés. "Il reste à construire la représentation médicale au niveau le plus bas, département par département... Remarquons que l'avis renforcé est toujours demandé sur proposition du CG et jamais au CG [sur proposition du CM]..."
Chirurgien, le Dr Claeys explique que "si on sépare frais de fonctionnement et honoraires et que les APR-DRG financent directement l'hôpital, je ne serai plus capable d'assumer les décisions de service. Les honoraires purs, c'est chimérique. Un radiologue pourrait conclure "si je n'ai rien à dire, je ne m'en occupe plus. Je ne gère plus en bon père de famille. J'ai mon honoraire et je m'en fous"... Pourtant, ce sont nos oignons! Aujourd'hui, le financement de la radiologie vient directement de l'Inami. Le BMF rembourse (pas assez) la salle d'op' des chirurgiens qui complètent avec leurs honoraires. L'ambulatoire n'est pratiquement pas financé. La réforme propose que l'argent de la radiologie aille directement vers l'hôpital et que le radiologue reçoive l'argent net sous forme d'honoraires. On est supposé payer au chirurgien les frais réels réinjectés dans la salle d'op et on arrête les rétrocessions sur les honoraires du chirurgien."
Volontaire désigné
La clé se situe au niveau du médecin chef de service, le "volontaire désigné". Le plus important c'est qu'on le nomme en fonction de son leadership. "Or, aujourd'hui le chef de service, c'est le plus malléable, le plus gentil, ou le plus vieux mais pas le plus grand leader! Il faut le rémunérer, ne pas nommer n'importe qui, primus inter pares. Il ne doit pas rester 30 ans à son poste. Il faut le remplacer s'il dysfonctionne."
Enfin, Donald Claeys recommande une approche bottom-up et non un médecin-chef qui commande d'en haut: "Nul n'est plus qualifié pour délivrer une information sur la spécialité médicale que le spécialiste lui-même."
1. Loi sur les hôpitaux de 1987.