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Quand l'action de l'assureur Ageas chuta de 53 à moins de 30 euros en quelques semaines, en février et mars derniers, on pouvait considérer qu'il y avait une occasion à saisir. Sans être certain d'un rebond rapide, ni pouvoir exclure une rechute, bien entendu. Et tout en sachant que les " valeurs sûres " n'existent plus depuis la crise financière de 2008 ! Ces précautions prises, il reste une réalité tangible : le rendement net offert par le dividende de 1,337 euros avait soudainement bondi de 2,4 à 4,4 % ! Ce dividende n'est pas garanti, c'est vrai, mais si le groupe a pu le payer en des circonstances normales, il devrait en tout cas pouvoir y revenir une fois la crise du coronavirus passée. Une pareille flambée du rendement mérite pour le moins réflexion... Un tel raisonnement peut s'appliquer à l'immobilier. Au niveau des actions cotées, mais aussi de la brique. La terrible chute des prix du début des années 80 a permis de réaliser d'excellentes affaires... à ceux qui eurent le courage d'investir à contre-courant. Rien de cela aujourd'hui, du moins sur la base des études récemment publiées. Car si elles évoquent une baisse des prix, pour la première fois depuis près de 40 ans, c'est à la marge. ING a plus d'une fois déjà averti d'une surévaluation du marché résidentiel belge et de la possibilité d'un ressac. C'est dire qu'en prévoyant pour 2020 un repli de 2 % à peine, la banque est presque optimiste. Plus circonspecte, KBC envisage pour sa part un recul de 3 % cette année et encore de 2 % en 2021. Voilà qui reste modeste. De son côté, BNP Paribas Fortis s'attend à un repli de 1 % cette année et à une stabilisation en 2021. Deux facteurs fondamentaux restent orientés au vert, explique la banque : des taux toujours très bas et l'augmentation du nombre de ménages. On sait que la croissance du nombre de divorcés et de célibataires est de longue date un important facteur de soutien au marché, outre l'immigration. Et le confinement lié à la crise du Covid-19 ? Il est trop tôt pour savoir dans quelle mesure il aura objectivement fait baisser le revenu disponible des ménages et plus subjectivement entamé leur confiance, deux autres éléments très importants sur la scène immobilière. Pour le premier, Fortis envisage un repli limité à 2 %. L'institution entrevoit toutefois une autre conséquence : le confinement a retardé les travaux de construction, ce qui va réduire l'offre et donc soutenir les prix. Pour autant que la demande se maintienne, bien entendu. C'est précisément pour avoir une idée des conséquences de la crise du coronavirus que le site d'estimation français en ligne MeilleursAgents a réalisé un sondage, auprès de particuliers comme d'agents immobiliers. Il révèle que la quasi-totalité des candidats à la propriété et à la location maintiennent leur projet, mais qu'ils sont nombreux à envisager d'attendre quelques semaines ou quelques mois. Autre leçon : les acheteurs sont passés de 5 à 10 % de sous-évaluation des biens, alors que les vendeurs continuent comme naguère à surévaluer le leur de 5 %. Ces derniers cèderont-ils à la pression des premiers, ou pas ? Cette crise du Covid-19 et le confinement décidé par les États constituent un fameux exemple de black swan, cet événement imprévisible et aux conséquences désastreuses popularisé par l'économiste Nassim Taleb. Ce cygne noir n'en met pas moins en lumière un risque inhérent au placement immobilier : quid si le locataire a soudainement des difficultés à payer ? Tandis que le Syndicat des locataires appelait à une grève des loyers, ou plus précisément à une auto-réduction des loyers de 25 %, le Syndicat national des propriétaires et copropriétaires (SNPC) encourageait les bailleurs à faire preuve de souplesse. " Il n'y a pas une véritable vague de propriétaires supprimant, reportant ou diminuant leurs loyer, comme il n'y a pas de vague de locataires ne les payant pas ", commentait Patrick Willems, secrétaire général du SNPC, à la Libre. " Mais il y a pas mal d'arrangements à l'amiable. "Il avait été question, en Wallonie, d'abaisser les loyers pendant la période de confinement, à l'avantage de ceux qui en ont souffert, avec pouvoir de décision au juge de Paix. Les bailleurs y ont échappé... pour autant que cette approche juridiquement fort bancale ait eu une chance de passer la rampe. Il n'y a toutefois pas qu'en Wallonie que le " fait du prince " peut réserver une mauvaise surprise au bailleur. Voyez l'Allemagne. Ce pays se caractérise par une forte proportion de locataires (plus de 50 %), les bailleurs étant le plus souvent des institutionnels tels que fonds de pension (y compris étrangers) ou fonds de placement. Vu la modicité des loyers (comme des prix), les fonds investis en appartements étaient chaudement recommandés aux investisseurs ces dernières années. Jusqu'à la douche froide de juin 2019, quand la ville de Berlin (qui compte 85 % de locataires) annonce son intention de geler les loyers. Il faut dire que ceux-ci ont doublé en dix ans, suscitant un énorme mécontentement populaire. La loi est passée le 30 janvier dernier au parlement régional ; elle gèle les loyers pour deux ans et limite leur hausse à 1,3 % par an pour les trois années suivantes. Sur cette lancée, certains activistes plaident à nouveau pour la nationalisation des plus gros propriétaires de la capitale allemande, au premier rang desquels le fonds Deutsche Wohnen. Son action avait perdu 30 % au début de l'été 2019, quand ce scénario fut évoqué pour la première fois. Avec la DLU et le rapatriement de capitaux en provenance de Luxembourg comme catalyseur, pas mal d'argent s'est investi dans l'immobilier belge durant les années 2000. Mouvement accentué par la chute des taux (et donc la recherche de rendement) puis par la crise financière, qui a détourné des actions. L'offre locative a par moments gonflé davantage que la demande et pas mal de (nouveaux) propriétaires furent aussi marris que surpris de voir leur bien inoccupé durant de longs mois. Beaucoup avaient perdu de vue que des milliers de locataires avaient eux aussi profité des taux très bas pour accéder à la propriété et qu'ils faisaient par définition partie des plus solvables. Une réalité peu médiatisée et dès lors mal connue de ceux qui ne l'ont pas vécue. Les temps ont toutefois changé. D'abord, à Bruxelles en particulier, les jeunes sont un peu moins obnubilés par l'accès à la propriété, indépendamment même de la question du prix. Voilà trois ans déjà, le courtier Trevi observait que la proportion de propriétaires-occupants était revenue à 42 % dans la capitale, contre 60 % 15 ans plus tôt. Une tendance qui a (un peu) gagné d'autres grandes villes. Les pertes de revenus liées à la crise du Covid-19 vont jouer dans le même sens au cours des prochains mois ou trimestres, les candidats à l'acquisition d'un logement restant plus longtemps locataires. Les bailleurs ne devraient donc pas manquer de locataires au cours des prochaines années. Même si les plus courtisés d'entre eux, à savoir les fonctionnaires européens et autres expats logés dans la capitale et aux environs, ne constituent pas un univers extensible à l'infini, rappellent les professionnels. Et même s'il faut se faire à l'idée de loyers cessant de grimper. Et c'est un euphémisme car, globalement, on observe un léger repli ces dernières années, qui pourrait s'accentuer à cause de la crise du coronavirus. Les rendements immobiliers n'en resteront pas moins infiniment plus attrayants que ceux des placements obligataires ! Un dernier bémol ne saurait être zappé : les promoteurs ont construit beaucoup d'appartements ces toutes dernières années, un peu trop dans certaines régions. À en croire les experts récemment interrogés par l'Écho, s'il y a plutôt pénurie à Bruxelles et dans quelques autres villes comme Gand, Louvain, voire Liège, c'est plutôt la suroffre qui menace d'autres villes comme Charleroi et Mons. Le fait que l'immobilier constitue un excellent investissement à long terme ne saurait empêcher l'indispensable évocation de ces risques. A fortiori le principal d'entre eux : la non-diversification pour un particulier investissant en direct dans un seul bien.