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Le commissaire Maigret, qui prend de l'âge et du poids, se trouve confronté à une affaire qui ébranle son imposante carcasse, qui fendille son armure de vieux limier. Une jeune fille provinciale, montée à Paris pour tenter sa chance dans cette France de l'après-guerre, est retrouvée lardée de coups de couteau. L'inconnue, la petite vingtaine, belle comme un coeur, émeut le vieux commissaire, plus décidé que jamais à retrouver les auteurs du crime. Patiemment, placidement, sans brusquerie, Maigret, aidé de ses fidèles assistants Janvier et Lucas, dénoue peu à peu la pelote de mystère autour de cette Cendrillon qui s'était faite belle pour se rendre à ce bal tragique et perdu. Patrice Leconte, dont Monsieur Hire - il y a plus 30 ans, inspiré du roman de Simenon, avec Michel Blanc et Sandrine Bonnaire, est sans doute le plus beau film -, retrouve la gueule d'atmosphère des années 50 filmée dans une espèce de brume de nostalgie quasi sépia. Le décor et la reconstitution, superbes, n'empiètent en rien sur l'enquête, dont la lenteur parcimonieuse est en harmonie avec la démarche du commissaire, interprété par un Gérard Depardieu qui ne doit pas se forcer beaucoup pour être à la fois lourd et bourru. Cette transposition, basée sur le roman de Simenon Maigret et la jeune morte, à ceci d'astucieux qu'elle se permet, dans son adaptation, des dialogues quelques fois savoureux, donne un rôle autre que potiche à l'épouse du commissaire (Anne Loiret y ajoute sa forte personnalité), le livre conférant dès l'origine un supplément d'âme au policier, en faisant de lui un père orphelin en quête de sa fille qui aurait eu le même âge que la victime. Par parenthèse, on se demande si la figure de Guillaume, son fils, n'est pas venue hanter Gérard Depardieu durant le tournage... Une filiation, décidément le maître mot, s'opère entre Leconte et Simenon, comme ailleurs dans l'intrigue du roman et donc du film qui, dans son atmosphère fantomatique, fait ressurgir l'encore élégante Aurore Clément. Plus profond et humain qu'il n'y paraît, l'oeuvre de Simenon est ici magnifiée par Patrice Leconte et un Depardieu qui rejoint les Maigret légendaires qu'il s'agisse de Gabin au cinéma, de Jean Richard ou Bruno Crémer à la télévision. Maigret ne se prénomme plus Jules mais... Gérard.