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Si la psychiatrie est le parent pauvre de la médecine, la nutrition n'est pas en meilleure posture. Pour faire changer les choses, Jean-Paul Thyssen (UCLouvain), Anne Boucquiau (Fondation contre le Cancer), Nicolas Paquot (ULiège) et Jean-Charles Preiser (ULB) font paraître un plaidoyer pour l'enseignement de la nutrition clinique aux futurs médecins dans la Revue médicale de Liège (1). Pourquoi cet appel? "Pour plusieurs raisons, la première c' est que la malnutrition est le premier facteur de risque des maladies non transmissibles. La deuxième c' est que les médecins restent mal préparés pour répondre aux questions de leurs patients sur ce sujet. Enfin, dans le domaine de la nutrition, peu de formations sont réellement certifiées. Actuellement, seuls les diététiciens ont un diplôme reconnu et protégé. En revanche, la formation de nutritionniste n'étant pas encadrée, n' importe qui peut se décréter "coach en nutrition", "nutrithérapeute"...", précise le Pr Nicolas Paquot (service diabétologie, nutrition & maladies métaboliques du CHU Liège). D'où l'idée de cet article pour expliquer pourquoi il faudrait une formation adéquate et reconnue pour les médecins. " C' est en sens que les Académies royales de médecine (ARMB et KAGB) ont remis en février un avis conjoint sur la reconnaissance des travailleurs de la santé ayant une compétence en nutrition. Il y aurait trois catégories: les diététiciens nutritionnistes, les médecins spécialistes en nutrition clinique qui auraient suivi une formation telle que celle dispensée dans le Certificat interuniversitaire en nutrition clinique, et puis une troisième catégorie qui pourrait être des médecins, vétérinaires, agronomes, pharmaciens, kinés qui auraient suivi une formation en nutrition (à mettre en place) reconnue par les universités", indique-t-il. Pour les auteurs du plaidoyer, l'idéal serait d'intégrer de façon beaucoup plus précoce dans le cursus des formations médicales des notions de base en nutrition et puis de les distiller, de façon transversale, dans tous les enseignements, pour qu'à la fin de leur formation, médecins généralistes et spécialistes puissent répondre aux questions de leurs patients. Ceci s'inscrit aussi dans l'amélioration de la collaboration avec les diététiciens, la complémentarité médecin/diététicien nécessitant un socle de connaissances et d'expertises communes. Or, si on observe que les étudiants qui débutent leur cursus ont une certaine attente vis-à-vis de la nutrition, cet intérêt s'émousse au fil des ans. "Ils sont par exemple ravis quand je donne mon cours de nutrition en deuxième année et puis, tout s'étiole parce qu'ils partent vers les différentes spécialités et les différentes approches thérapeutiques, techniques, médicamenteuses. Alors que si on continuait à mettre en avant les aspects nutritionnels dans chaque cours, cela motiverait les futurs médecins à trouver la nutrition importante. In fine, je pense que tout le monde en reste relativement convaincu mais est démotivé parce que la nutrition prend du temps et qu'on n'en voit pas les résultats immédiatement", constate le spécialiste. L'un des premiers bénéfices attendus concerne bien sûr la prévention: "Ici, le médecin généraliste est en première ligne: s'il avait une meilleure formation en nutrition, il pourrait donner des conseils". Sans oublier qu'aujourd'hui, le médecin a aussi un rôle à jouer dans la transition vers une alimentation saine et écoresponsable. L'autre point qui peut expliquer la perte d'intérêt pour la nutrition est qu'elle paraît moins scientifique. "Et ce pour différentes raisons: tout le monde mange, donc tout le monde a son avis mais de là à être spécialiste en nutrition, ce n' est pas la même chose ; ensuite, en nutrition comme ailleurs, les notions évoluent donc les messages ne sont pas toujours les mêmes au cours du temps, ce qui induit de la confusion ; enfin, les médecins veulent que la médecine reste basée sur des preuves or, dans le domaine de la nutrition, il n' y a pas beaucoup d'études cliniques parce qu'il est difficile de mettre clairement en évidence l' action de la nutrition dans un traitement et parce que les études cliniques sont difficiles à mener et coûtent cher"."Les doyens se montrent intéressés, mais le problème c' est que les études de médecine ont été raccourcies et que les connaissances en médecine explosent, il est donc compliqué de rajouter des cours de nutrition. Mais il faut le faire, des réformes sont en cours, et il faut éveiller l' attention des étudiants parce que la nutrition est impliquée dans tous les domaines de la pathologie."Dans cette optique, Nicolas Paquot estime que l'avis de l'Académie royale de médecine est un fameux coup de pouce: "C'est important parce que maintenant le monde politique ne peut plus passer outre cet avis émis des deux côtés de la frontière linguistique".Si des changements se dessinent, la récente habilitation des hautes écoles à organiser des masters en nutrition, prévue dans le cadre de la réforme du décret Paysage, n'est pas sans inquiéter le Pr Paquot: "On se demande à qui s'adresse cette formation et pour faire quoi? Sur le fond je ne suis pas contre parce que cet enseignement serait encadré et parce qu' il y a une grande demande des professionnels de la santé pour être formés en nutrition, mais quelle serait la place exacte de ces personnes? Il pourrait s'agir de la formation intermédiaire entre les cliniciens et les diététiciens..." Le rôle de chaque intervenant va devoir être clarifié.