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Au cours du cycle menstruel de la femme, la couche la plus interne de l'utérus, l'endomètre, qui comprend des cellules glandulaires et des cellules stromales, s'épaissit de plus en plus en réponse à la stimulation exercée par les hormones produites par les ovaires. À la fin du cycle, l'endomètre desquame s'il n'y a pas eu implantation d'un embryon, est évacué lors des menstruations. Il n'est pas rare cependant que du tissu endométrial s'implante de façon pathologique en dehors de la cavité utérine: c'est l'endométriose. Généralement pelvienne, cette affection a une affinité particulière pour les ovaires (dans plus de 50% des cas), le péritoine, les trompes de Fallope, les ligaments utéro-sacrés, les parois de la vessie, les uretères, les parois du rectum, de l'intestin grêle, du côlon ou de l'appendice. Plus rarement, des îlots de tissu endométrial ectopique élisent domicile sur le diaphragme, la plèvre, les poumons ou l'ombilic. La paroi abdominale peut être envahie également, surtout après une opération chirurgicale d'ordre gynécologique. Des cas sporadiques ont même été décrits aux niveaux cérébral, hépatique et oculaire. L'endométriose est décrite comme une pathologie gynécologique bénigne hormonodépendante. Bénigne: non qu'elle soit anodine, sans désagréments majeurs, mais par opposition à maligne. Néanmoins, elle présente des caractéristiques néoplasiques dans son développement. Plus précisément, elle semble être mimétique, sous bien des aspects, de la cascade métastatique qui aboutit, dans le cancer, à la formation de foyers tumoraux secondaires à distance. Les cellules endométriales issues de la membrane interne de la cavité utérine sont capables d'envahir d'autres tissus, à l'instar des cellules tumorales métastatiques sans toutefois engager le pronostic vital de la patiente. Cela suppose des interactions complexes entre lesdites cellules endométriales et le tissu hôte, à l'image de celles dont est le théâtre la formation de métastases. Au-delà de ce mimétisme existe-t-il un risque de cancérisation des lésions endométriales? Cette évolution péjorative serait rare et concernerait principalement l'endométriose ovarienne, qui pourrait dégénérer en tumeurs de l'ovaire endométrioïdes ou à cellules claires. Selon une étude publiée en 2016 par des chercheurs lyonnais, la transformation maligne ne se produirait toutefois que dans 0,3 à 1,6% des cas, au terme d'une longue évolution, soit plus de dix ans. Les douleurs causées par l'endométriose se manifestent préférentiellement et de façon plus aiguë durant les règles. En effet, les lésions d'endométriose subissent les mêmes influences hormonales du cycle menstruel que l'endomètre tapissant la cavité utérine. Au moment des menstruations, elles desquament, saignent et sont le siège d'une inflammation et d'une nécrose. Mais le sang et les cellules d'endométriose n'ont aucune issue vers l'extérieur du corps ; ils s'écoulent dans le pelvis où ils peuvent irriter les organes avoisinants et le péritoine. À cela se greffent d'autres risques: la présence de tissu ectopique peut entraîner la formation de kystes au niveau ovarien (endométriomes), d'adhérences et de réactions de fibrose. Ces anomalies sont non seulement à l'origine de douleurs, mais sont également susceptibles d'induire une infertilité suivant les organes touchés. L'endométriose peut être étrangement asymptomatique. La nature de ses symptômes, quand il y en a, n'est pas toujours fonction de la localisation des lésions, et leur intensité n'est pas nécessairement corrélée avec l'étendue de ces dernières. "Par exemple, de très petites lésions superficielles sur le péritoine, difficiles à diagnostiquer au toucher vaginal, par échographie ou par résonance magnétique, peuvent occasionner de fortes douleurs, alors qu'il arrive que d'autres lésions plus étendues et profondes, situées derrière l'utérus, soient beaucoup moins douloureuses, voire asymptomatiques", rapporte le Dr Linda Tebache, gynécologue et spécialiste en chirurgie pelvienne mini-invasive au Liège University Center of Endometriosis and Reproductive Medicine (Lucerm) du CHR de la Citadelle. Selon leur localisation et la nature des atteintes (inflammation, kystes, adhérences, fibrose), les douleurs d'endométriose peuvent être cycliques, car intimement liées aux menstruations, ou chroniques. Chez certaines femmes, elles entraînent l'incapacité de mener une vie normale, sur les plans professionnel, familial ou sexuel, soit pendant quelques jours chaque mois, soit plus durablement. Au nombre des symptômes les plus fréquents de la maladie, on recense notamment des dysménorrhées, des dyspareunies ainsi que des dyschésies et des mictalgies. Par leur composante fibrotique, les lésions d'endométriose peuvent engendrer une attraction, voire un accolement de différents organes pelviens entre eux. Ce qui peut mener à des troubles dans leur fonctionnement et à des douleurs. Par exemple, une dyschésie (constipation d'évacuation) lorsque le phénomène concerne le rectum et l'utérus. La solution est alors l'exérèse des lésions d'endométriose si le traitement hormonal initialement prescrit n'a pas été efficace sur la symptomatologie. Dans la même logique, la présence d'endométriomes ovariens et/ou de nodules d'endométriose au niveau des ligaments qui soutiennent l'utérus peut créer des douleurs lors des rapports sexuels, car le pénis peut heurter ces lésions lors de la pénétration profonde. Dans les cas d'adhérences et de fibrose générées par l'état inflammatoire du pelvis affecté par de l'endométriose, le rectum ou le sigmoïde peuvent être collés à l'utérus ; la vessie, idem. De même, l'ovaire peut apparaître comme soudé à la trompe de Fallope. "Pour décrire ces phénomènes de façon imagée, on parle de "frozen pelvis", étant donné que les organes concernés semblent comme congelés", commente Linda Tebache. Les adhérences peuvent être également (mais pas toujours) une source de douleurs de type "tiraillement" lors de la miction, de la défécation ou de l'ovulation. Les adhérences entre l'ovaire et la trompe utérine sont une cause possible d'infertilité, dans la mesure où elles empêchent la bonne mobilité et donc le bon fonctionnement de la trompe. "Lorsque l'ovaire a libéré son ovocyte dans la cavité péritonéale, le pavillon de la trompe doit être à même de se mouvoir correctement pour être attiré par les signaux moléculaires qui lui permettront d'aller capter l'ovocyte émis", précise la gynécologue du CHU de Liège .Les nodules d'endométriose peuvent boucher la trompe de Fallope et empêcher l'ovocyte capturé de rencontrer le spermatozoïde. Adhérences, inflammation, nodules d'endométriose au niveau de la trompe utérine peuvent également provoquer un problème de péristaltisme qui conduira au même résultat: l'infertilité. Tantôt des adhérences entravent les contractions qui permettent à la trompe de faire progresser l'ovocyte à la rencontre du spermatozoïde, tantôt l'inflammation fige les cellules ciliées tapissant la paroi interne de la trompe. Or, elles contribuent, elles aussi, au cheminement de l'ovocyte en direction de l'utérus. De plus, des phénomènes inflammatoires générés par les nodules d'endométriose peuvent affecter l'implantation embryonnaire dans la cavité utérine. À ce tableau, il faut ajouter les endométriomes (kystes) ovariens, dont la taille, très variable, va de quelques millimètres jusqu'à une dizaine de centimètres. Si ces kystes sont volumineux, ils perturbent l'architecture du petit bassin, plaçant les ovaires hors de portée des trompes, et, surtout, ils compriment et enflamment le tissus ovarien sain. Mais un problème de fond subsiste: quelle est l'origine de la présence de tissu endométrial ectopique? C'est la question qui nous aborderons dans notre prochain numéro.