À l'occasion du cycle "Université en transition, défis écologiques et soins de santé", organisé par l'UCLouvain le 17 avril dernier [1], la Pr Nathalie Delzenne (UCLouvain) a parlé de l'alimentation en lien avec l'environnement, de l'épigénétique en passant par la malnutrition et la durabilité.
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À l'échelle mondiale, des maladies associées au surpoids et à l'obésité côtoient des carences nutritionnelles, notamment chez les femmes et les enfants. La Pr Nathalie Delzenne (UCLouvain) explique l'importance des phénomènes épigénétiques en lien avec la nutrition: "On sait que les enfants à naître de mères en excès pondéral ont un risque de surpoids et d'obésité. A contrario, ceux dont la mère a souffert de dénutrition durant la grossesse développeront beaucoup plus rapidement à la fois du surpoids, de l'obésité, du diabète et des maladies associées, s'ils ont accès à de la nourriture surabondante. C'est donc un problème croissant dans toutes les régions où le monde rural se dirige vers les villes." La décennie 2016-2025 a été définie par l'ONU comme celle de l'action pour la nutrition, dans l'objectif de garantir un accès universel à une alimentation plus saine et durable afin d'éradiquer toutes les formes de malnutrition dans le monde. Différents moyens permettent de pallier aux carences nutritionnelles: une alimentation saine et durable, la fortification des denrées alimentaires, la bio fortification (par exemple, le riz doré OGM enrichi en bêta- carotène) et les compléments alimentaires. "Ces démarches sont-elles durables ? La diversité alimentaire est un critère très important, les personnes qui ont des comportements alimentaires très diversifiés ont aussi moins de risque de carences, de surpoids et d'obésité. Dès lors, vaut-il mieux prévenir et empêcher l'apparition de ces maladies ou opter pour une solution médicamenteuse?", s'interroge-t-elle, en soulevant un point important: "On a souvent tendance à dire qu'il faut prendre en compte l'aspect environnemental pour essayer d'avoir une alimentation correcte, favoriser l'exercice physique, l'hygiène de vie et la santé. Mais il ne faut pas oublier la part de responsabilité personnelle." "Certains pensent que l'alimentation malsaine est moins chère, en fait ce n'est pas vrai, cela dépend du type d'aliments ultratransformés consommés", constate la Pr Delzenne. "Ceux-ci posent des problèmes parce qu'ils contiennent plus de sucre, de sel, des additifs, moins de fibres, plus de graisses totales saturées et d'acides gras trans et plus d'énergie/volume. On y retrouve aussi plus de résidus de pesticides, de métaux lourds, de médicaments et d'emballages." "On en arrive maintenant, et c'est relativement récent, à se dire qu'on doit essayer de travailler les deux concepts en même temps: une nutrition adéquate et une approche écoresponsable (EAT-Lancet Diet). En faisant par exemple la part belle à une nourriture à base de végétaux, noix, grains complets, certains poissons, en limitant l'apport en viande et parfois en produits laitiers." La spécialiste donne l'exemple de Ouagadougou où jusqu'à 43% des adultes sont en surpoids ou obèses. "Une étude a montré que leurs systèmes alimentaires sont responsables de 26% des émissions de gaz à effet de serre, de 50% de l'utilisation abusive des sols et de 79% de l'utilisation de l'eau. Il y a donc un vrai problème écologique, couplé à un problème de santé. Ils ont mis en place un programme d'intervention nutritionnelle et implémenté les concepts d'alimentation durable (sain, abordable, adapté à la culture et respectueux de l'environnement)." Dans le cadre de NutriNet-Santé en France: BioNutriNet Project, une étude longitudinale de 2014 à 2018, sur plus de 15.000 sujets, a montré que les personnes qui ont un score de durabilité élevé dans leur comportement alimentaire ont un risque moindre de développer de l'obésité et un surpoids[2]. "Il n'empêche que dans toutes les régions du monde, le coût d'une alimentation santé a fortement augmenté en quelques années. La situation est dramatique!", s'insurge-t-elle. Enfin, Nathalie Delzenne attire l'attention sur l'évolution des concepts: "Par exemple, pas mal d'articles sur le microbiote intestinal démontrent que ceux qui adoptent une alimentation déséquilibrée du point de vue écologique et nutritionnel, ont également des changements de la composition de leur microbiote. Les polluants retrouvés dans l'alimentation mais aussi des détergents, certains additifs, changent la composition du microbiote intestinal qui, à son tour, peut participer à l'évolution des maladies associées à l'obésité." De nouvelles cibles biologiques en lien avec l'environnement influencent le risque d'obésité et de maladies chroniques, complète-t-elle: le stress, l'altération des rythmes (saison, journée/nuit, repas), les facteurs transgénérationnels, l'accumulation de toxiques lipophiles d'origine environnementale... En Belgique, les recommandations nutritionnelles et alimentaires du Conseil supérieur de la santé sont actuellement en révision pour prendre en compte les aspects de durabilité, précise encore la chercheuse, qui pointe du doigt les antagonismes nés autour de l'alimentation durable et la coexistence de divers courants: "Manger bio ne veut pas nécessairement dire manger sain et durable... Nous sommes à une période de transition, ce que j'appelle l'alimentation 2.0, où il y a une opposition entre la consommation abusive d'aliments ultratransformés et le désir d'adopter le comportement One Health de respect de l'environnement, de l'animal et de la santé humaine ; où on développe des technologies de production de viande in vitro ou la nourriture dans l'espace... Tout cela change la vision qu'on a de l'alimentation."