C'est dans un contexte difficile marqué par un coup d'État et la crise sanitaire, que l'ONG locale Fraternité Médicale Guinée (FMG) poursuit ses activités. Appuyée par l'ONG médicale Memisa et le soutien financier de l'Union européenne, FMG continue à renforcer les structures sanitaires afin de garantir la continuité des soins. Le système de santé guinéen est confronté à de nombreux défis, notamment suite à l'épidémie d'Ebola entre 2013 et 2015. Et le pays souffre d'une pénurie de personnel de santé (qualifié), notamment en santé mentale. Entretien avec le Dr Abdoulaye Sow, fondateur et directeur de FMG.
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Dans ce pays de 12 millions d'habitants situé au sud du Mali, les personnes atteintes de maladie mentale sont stigmatisées et souvent renvoyées aux guérisseurs traditionnels. Jusqu'il y a cinq ans, les patients atteints de troubles psychiques étaient uniquement traités à l'hôpital de Conakry, situé à la capitale, comprenant 40 lits et où travaillent cinq psychiatres, et dans cinq centres de santé. Ce qui est très peu, soutient le Dr Abdoulaye Sow. " Depuis lors avec l'appui de Memisa, nous avons décentralisé ce service vers les centres de santé dans différentes villes du pays. Notre action consiste à former les médecins généralistes à la prise en charge des problèmes de santé mentale. Dix centres de santé s'occupent de problèmes psychiques en traitement ambulatoire et 6.000 patients ont été suivis depuis le début de l'action." Le journal du Médecin: quels sont les problèmes psychiques les plus rencontrés en Guinée?Dr Abdoulaye Sow: Il y a beaucoup de psychoses en tout genre, mais les problèmes d'épilepsie sont considérés comme des problèmes de santé mentale, et nous recevons beaucoup de cas. Cela correspond à 50% de notre patientèle. Dans ceux-ci nous rencontrons beaucoup de jeunes mais en réalité toutes les catégories sont touchées. Les causes des troubles psychiques sont multiples: problèmes environnementaux, biologiques et psychologiques. L'épilepsie par contre vient d'un problème neurologique lié aux séquelles des infections ou de problèmes survenus lors de l'accouchement. Y-a t-il des protocoles de prises en charge des patients atteints de troubles psychiques? Nous suivons les protocoles de l'OMS qui permettent aux soignants de première ligne, non spécialisés dans les problèmes de santé mentale, de pouvoir diagnostiquer. Et nous avons adapté les protocoles à notre niveau, en fonction du contexte culturel guinéen, ce qui nous permet aujourd'hui d'accueillir les malades mentaux, de dialoguer avec leurs familles et de poser les diagnostics. Nous sommes en train d'élaborer également un guide propre à notre programme qui permet aux médecins, aux infirmiers et aux agents de santé communautaires, chacun à son niveau, de s'occuper à un certain degré de la prise en charge. La formation de psychologue existe-elle en Guinée? Elle n'existe pas. Dans notre structure, il n'y a aucun psychologue de formation, ce sont des infirmiers que nous avons formés et qu'on a convertis en psychologues. Il y a aussi des agents de santé communautaire qui font le travail psychologique de première ligne avant de référer aux infirmiers-psychologues. Nous sommes en train de former également des agents de santé communautaire auprès de la population pour identifier certains aspects liés aux violences intrafamiliales. Ces agents-là feront remonter les informations au niveau des centres de santé dans lesquels des personnes formées pourront accueillir les victimes dans un espace de soutien psychologique. Comment les viols et les violences intraconjugales sont-ils pris en charge?Certaines victimes n'osent pas parler de ce qui leur est arrivé de peur d'être stigmatisées, rejetées ou de perdre leurs droits. Donc certaines le cachent ou c'est la famille qui le cache dans d'autres cas. Mais depuis quelques années, des mouvements de jeunes se battent pour que les victimes sortent de l'ombre et viennent dénoncer elles-mêmes les abus. Et notre organisation accompagne ces victimes dans les procédures judiciaires pour interpeler les violeurs. Il y a aussi beaucoup de violences intraconjugales. Des jeunes en parlent et ont d'ailleurs créé des groupes WhatsApp. De notre côté, lors d'un signalement, nous envoyons un agent de santé communautaire pour rencontrer les familles et voir s'il est possible d'engager une procédure judiciaire. Les activistes sont surtout présents dans les grandes villes du pays ou à Conakry. En milieu rural, c'est plus rare, on parle moins de cette violence. Il n'y a pas encore beaucoup d'activistes qui peuvent accompagner le processus. Quelle est la prise en charge médicale dans le cas d'un viol? Les soins sont prodigués au niveau des services de gynécologie et un kit est fourni avec un traitement préventif contre les MST et VIH, et une pilule contraceptive d'urgence. Ce sont généralement les parents de la victime qui s'occupent de payer les soins mais ils ont la possibilité d'être remboursés. Et pour ceux qui ne sont pas capables de payer, si nous sommes informés, nous pouvons intervenir. Médecin et enseignant-chercheur, vous venez de terminer votre doctorat à l'ULB en santé publique sur le thème: "L'intégration des soins en santé mentale dans les centres de santé permet-elle d'améliorer la qualité globale des soins de première ligne?" Quelles sont les grandes lignes qui ressortent de votre thèse?Cela fait cinq ans que nous avons commencé à décentraliser le traitement des malades mentaux au niveau des centres de santé avec Memisa. Mais il n'y avait pas de documentation appropriée sur cette pratique. Nous avons travaillé sur plusieurs aspects avec les prestataires des centres de santé afin de voir leur perception de la maladie mentale et pour apprécier le degré de stigmatisation et de discrimination aussi bien par la population en général, que par les étudiants de médecine et les soignants qui s'occupent de malades mentaux. Il y a à tout niveau une forte stigmatisation des maladies mentales mais aussi des soignants des malades mentaux. En Guinée, les soignants qui s'occupent des patients atteints de troubles psychiques sont considérés eux-mêmes comme des malades mentaux ou en devenir. Il n'y a pas d'engouement au niveau des étudiants pour choisir cette spécialité-là. Les guérisseurs traditionnels sont selon la culture guinéenne plus aptes à soigner les troubles psychiques. Ce sont eux qui s'en occupent en premier. Toutes les causes de maladies mentales sont rapportées aux aspects surnaturels, car on les associe au diable, aux ensorcellements, aux mauvais sorts jetés et à la malédiction.