"Face aux bouleversements écologiques et sociétaux actuels, le secteur des soins de santé se retrouve à un carrefour critique", explique le Pr Félix Scholtes, neurochirurgien, professeur en faculté de Médecine à l'ULiège et conseiller de la rectrice en sobriété numérique. Parmi les grands défis figure, liste loin d'être exhaustive, de trouver une nouvelle posture des soignants. Cela comprend un enseignement adapté de la médecine face au défi systémique, dont fait partie le problème dit "environnemental".
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"Notre système, extrêmement performant à bien des égards, comporte aussi des risques face aux défis devenant progressivement visibles à travers les changements environnementaux en cours et leur imprévisibilité. En effet, les sociétés modernes, y compris leurs systèmes de santé, sont profondément dépendants des ressources terrestres, alors que le système de la santé n'est responsable que d'un maximum de 20% de notre état de santé, 80% dépendant de facteurs sociaux structurels et de notre environnement écologique", pointe le Pr Félix Scholtes. "La fragilisation écologique a donc des répercussions directes et majeures sur la santé globale, exigeant ainsi une adaptation rapide et efficace.""L'évolution planétaire actuelle exige une transformation profonde et systématique des pratiques de soins de santé. À mesure que notre consommation transgresse progressivement et rapidement les limites de sécurité planétaires pour l'existence humaine, il devient indispensable de concevoir des modèles de soins moins gourmands en énergie et en matériaux." Par exemple, les déchets médicaux, souvent dangereux et difficiles à éliminer, peuvent aisément être mieux gérés, par exemple via des innovations dans le traitement des déchets et l'utilisation de matériaux biodégradables (lire page 23, les gaz anesthésiants). D'autre part, l'efficacité énergétique des infrastructures de santé peut être améliorée, par exemple par des systèmes hospitaliers de chauffage, de ventilation et de climatisation (HVAC) optimisés, l'utilisation d'énergies renouvelables. "L'optimisation de transports durables pour les patients et le personnel comme la promotion des téléconsultations quand elles sont pertinentes peuvent également contribuer à diminuer l'empreinte carbone."Outre les aspects techniques et d'optimisation, la transition vers des soins de santé durables implique une transformation des mentalités et pratiques. "Les professionnels de santé doivent donc être sensibilisés à l'importance de la durabilité et formés aux pratiques qui minimisent l'impact environnemental tout en maintenant des soins de qualité. Cela passe par l'intégration de ces concepts dans la formation initiale et continue des soignants, ainsi que par l'adoption de protocoles de soins qui privilégient l'efficacité des ressources."Le second volet de cette transformation concerne donc la formation, comme l'a détaillé un récent forum sur le sujet en mars 2023[1]. Il est impératif que les cursus en sciences de la santé évoluent pour fournir aux futurs praticiens, au-delà des connaissances disciplinaires, des compétences leur permettant l'exercice de leurs professions de manière durable, adaptable et résiliente. Les programmes éducatifs doivent donc être repensés pour préparer les étudiants à pratiquer la médecine dans un monde en mutation rapide. Cela inclut non seulement des connaissances médicales classiques, mais aussi une compréhension approfondie des impacts environnementaux de leurs pratiques et des stratégies pour les atténuer. "En effet, avec une perspective systémique, les approches pour la santé individuelle et la "santé planétaire" sont typiquement synergiques. Enfin, les futurs soignants doivent être équipés pour naviguer dans un environnement fluctuant et imprévisible où la santé humaine est de plus en plus influencée par des facteurs écologiques et sociaux globaux."L'approche interdisciplinaire, systémique et orientée vers l'acquisition de compétences pertinentes dans l'éducation médicale, au-delà de ce qui paraissait comme suffisant dans l'approche disciplinaire développée surtout au siècle passé, devient ainsi incontournable, intégrant des perspectives issues des sciences de l'environnement, de l'économie, et de l'éthique. "Une telle formation systémique permettrait aux professionnels de santé de mieux comprendre les liens entre la santé des populations et les dynamiques environnementales, notamment, et pouvoir s'en servir pour tenir compte des enjeux de durabilité, évitant ainsi des décisions "en silo" qui peuvent s'avérer contre-productives pour la santé globale."En intégrant ces nouvelles dimensions dans les cursus, on forme des professionnels non seulement capables de soigner les individus, mais aussi de contribuer à la santé planétaire, avec des co-bénéfices majeurs entre les deux, estime le Pr Scholtes. "Ce changement de paradigme dans l'éducation en sciences de la santé est un des piliers essentiels pour bâtir un système de soins capable de répondre aux défis du XXIe siècle."