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Né à Versailles d'un père militaire, Jephan de Villiers qui souffrait des bronches enfant, a développé au fil du temps un univers peuplé de petites créatures des forêts, recueillant au fil de ses promenades l'âme notamment des bois que l'on dit mort... Le journal du Médecin: Seriez-vous un homme des bois? Homme des bois, de la mer, de l'océan, ou la terre plutôt. Les arbres sont très importants depuis que je suis enfant et la découverte de la forêt de Soignes en 1976. Mais il y a d'abord eu le parc de Versailles? C'était plutôt un jardin, celui de ma grand-mère, puisque mon père était officier de carrière en Indochine, et ma mère de santé très fragile: j'étais donc élevé, par ma grand-mère qui a été probablement à l'origine de tout ce qui s'est passé: une écoute et une présence à la fois littéraire, et musicale puisqu'elle me demandait tous les jours d'écrire un poème en alexandrins sur ce que j'avais pu observer ; le lendemain j'avais une réponse dans une enveloppe au pied de mon lit qui prenait la même forme littéraire. J'étais souvent de santé précaire. A l'époque l'on soignait mal les broncho-pneumonies: la fréquentation du collège se révélait difficile, tout se passait à la maison et il y avait surtout ce jardin avec ces arbres, ces marronniers qui étaient mes seuls compagnons dans cette grande solitude: au coeur de ce grand silence, je parlais avec ces arbres. Le parc de Versailles est venu après. Et quant j'ai pu enfin sortir, j'ai d'abord tiré dehors un grand piano droit pour improviser quelque chose afin de remercier ces arbres de leur présence. Et je me suis demandé si mes racines n'étaient pas dans le ciel finalement... En tout cas, il y a eu dès ce moment une décision d'avoir une vie autre. Le déclic supplémentaire et fondamental fut la découverte à Paris du musée d'Art moderne, dans lequel se trouvait la reconstitution de l'atelier de Constantin Branchie, désormais devant Beaubourg. Ce fut un tel éblouissement que je retournais tous les dimanches après-midis m'asseoir dans ce musée: il y avait des oeuvres de Zadkine, Giacometti, la mante religieuse de Germaine Richier... J'ai acheté du plâtre et et du fil de fer et je me suis mis au travail... Quelle est l'importance de la Forêt de Soignes dans votre carrière? Sa découverte en 1976 a été un nouveau déclic qui m'a amené à prendre la décision de m'installer à Bruxelles. C'est la forêt qui va me donner tous les éléments nécessaires au nouveau chapitre qui est cette civilisation imaginaire qui s'est appelée l'Arbonie et qui ne peut-être réalisée qu'à partir d'éléments naturels trouvés sur les sols de la Forêt de Soignes et aujourd'hui sur les bords de la Gironde. Vous évoquez souvent la "cathédrale" de la forêt de Soignes. Il y a d'ailleurs un sentiment religieux dans votre oeuvre: on y trouve notamment des reliquaires... Peut-être le côté sacré des choses qui est tellement oublié: les reliquaires qui sont des objets tout simples rencontrés au hasard sur les bords et qui sont peut-être les derniers. Y aurait il quelque chose de celtique chez vous? Probablement de l'ordre du retour à un moment primitif. Quand je travaille, je pense très souvent aux sociétés qui peut-être existent encore, que nous n'avons pas contaminées ou tentées de transformer certaines peuplades en Amazonie. Les oeuvres qui m'ont le plus bouleversé sont les peintures rupestres dans les grottes de Lascaux notamment. Vous préférez le bois flotté ou trouvé? A mes yeux, c'est la même chose: il y a inévitablement un basculement vers le sol, le basculement dans la forêt, la rencontre avec l'objet qui décide quelque chose. Parfois, je me demande si ce n'est pas la mort qui m'a donné la vie, puisque l'on parle de bois mort, de feuilles mortes qui vont disparaître. Je les reprends, les ramène à l'atelier ; parfois, je procède à de petites cérémonies: je les dépose sur des tables pour ensuite les observer, les photographier. Ensuite, ils deviennent part de cette aventure intérieure et de cette civilisation. Un bois n'est jamais mort? Non, et j'ajoute qu'il y a également tout le récit de l'arbre qui a donné naissance à cet objet. Le voyage de l'objet sur l'eau, la terre, dans le vent. Tout est là. Je me souviens d'ailleurs d'avoir entendu un médecin, j'étais tout petit, avoir dit à ma mère " madame, demain matin cet enfant ne sera plus". Qu'est ce que cela signifie pour un enfant? Et peut-être que dans mon esprit est passée en moi cette pensée " vous allez voir que vous vous trompez". Les poumons sont d'ailleurs comme des arbres, des arborescences? Évidemment. Et à l'époque, ce n'était pas drôle, il n'y avait pas encore tous les médicaments que l'on administre aujourd'hui. Je ne me rendais pas dans un sanatorium: j'avais la possibilité d'aller quelques jours au collège avant que cela ne recommence. Je me pose cependant la question de savoir si cette angoisse du collège n'était pas aussi à l'origine de cela. Parce que le jour où l'on m'a dit que je ne pouvais plus venir je n'ai plus jamais été malade. Ce qui étonne dans votre petit peuple c'est que les figures ont l'air un peu effrayées? Plutôt marqués d'un étonnement perpétuel et permanent qui serait le mien constamment: étonné d'être au monde, de la vie, de ces bois... D'être encore là? Ah oui, tous les jours. Du premier son du matin. On parlait de Soignes: si je n'avais pas ramassé ce que j'appelle des "bois corps" en je ne sais pas quelle année, nous ne serions pas là aujourd'hui. A quoi cela tient! Ce peuple imaginaire, qui est plus un peuple d'un monde intérieur que de la forêt est rempli d'étonnement ce qui n'est plus le cas du nôtre. L'Arbonie, n'est-ce pas aussi l'esprit de la forêt? Il est présent en permanence puisque ce sont les arbres qui m'ont tout donné. Avez-vous été visionnaire en mettant en exergue de la sorte la forêt, alors qu'aujourd'hui l'on édite des livres merveilleux sur les arbres qui se parlent et leur langage? Je me pose souvent la question: étais-je dans le vivant ou le rêve? La proximité avec les arbres faisait que j'espérais qu'on allait les protéger: j'étais fasciné par la forêt et ses habitants qui avaient tout quelque part. Nous avons tellement perdu! Aujourd'hui va-t-on pouvoir retrouver cet équilibre planétaire? Je l'espère: juste changer les choses... et être plus proche les uns des autres. Partager, car c'est la vie... Croyez-vous aux elfes? J'aime en tout cas les mystères, quand les choses ne sont pas explicables. Une fois que le problème est résolu, c'est un peu dommage... Vos sculptures seraient-elles des fables de la forêt Les enfants m'ont dit cela. Mais cela reste tributaire de ce que je vais trouver ensuite, de ce que je vais ramasser. J'aime bien que cela commence demain. Et puis La Fontaine était maître des forêts passionné par les insectes et les fourmis, ce qui est aussi mon cas. Il y a d'ailleurs également un côté chrysalide: pas d'oiseaux dans vos forêts, mais des métamorphoses? On en revient à la solitude de la chambre d'enfant. La fièvre étant tellement forte, j'avais peur de tomber. C'était une sorte de bord du monde. Si je tombe, il faut que je m'invente des ailes imaginaires pour devenir oiseau et me poser sur mon cher arbre. Et cela s'est appelé les âmes -oiseaux. Il y a donc cette métamorphose constante et puis le bestiaire avec les chrysalides et les insectes qui est né d'une rencontre avec les enfants aveugles qui sont un jour venus me rendre visite. Vous jouiez du piano, mais vous êtes un organiste qui décrit la forêt dans une musique silencieuse et organique justement. C'est vrai qu'il y a une musique silencieuse ou un silence musical quelque part qu'il faudrait faire apparaître... De l'ordre du frémissement des feuilles? Oui, j'y ai souvent pensé: si je pouvais arriver à écrire la musique pour mes expos ou simplement enregistrer les sons de la forêt. Ce n'est jamais la même chose ; savoir écouter et s'asseoir. La première fois on nous sommes arrivés sur les bords de Gironde, je connaissais très mal la région, il y avait une brume épaisse et le son des vagues, des oiseaux, du vent, et je lui ai dit écoute les grandes orgues de mer. Le lendemain, la brume avait disparu, mais tous les bois flottés étaient là ; et dans le livre, surgissent les orgues de mer.Et la Forêt de Soignes, c'était les grandes orgues? Voilà...