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La loi du 10 mai 2007 relative à la transsexualité constitue la première loi belge en matière de droits des personnes trans. Avant cette date, il y avait un vide juridique quant au changement d'état civil. Le changement de prénom était octroyé comme une faveur à la suite d'une demande introduite auprès du ministre de la Justice. La procédure de changement de la mention du sexe était quant à elle judiciaire. Les procédures étaient souvent longues et onéreuses et il était possible que les juges rendent leur décision de manière arbitraire et selon leur libre appréciation. La loi du 10 mai 2007 met fin à ces divers problèmes, mais en crée d'autres. Retenons-en trois, d'ordre médical. Premièrement, elle impose que les personnes souhaitant changer leur mention du sexe ne soient plus "en mesure de concevoir des enfants", ce qui implique de recourir à une chirurgie génitale stérilisante appelée "chirurgie de réassignation sexuelle". Deuxièmement, le changement de la mention du sexe est conditionné à une approbation psychiatrique: la personne concernée doit remettre à l'officier de l'état civil la déclaration d'un psychiatre attestant qu'elle "a la conviction intime, constante et irréversible d'appartenir au sexe opposé à celui qui est indiqué dans l'acte de naissance". Troisièmement, la loi prévoit qu'une personne qui souhaite changer de prénom doit suivre ou avoir suivi "un traitement hormonal de substitution visant à induire les caractéristiques sexuelles physiques du sexe auquel l'intéressé a la conviction d'appartenir". La psychiatrisation et la stérilisation prévues par la loi du 10 mai 2007 s'expliquent par plusieurs éléments. "Premièrement, la transidentité est historiquement comprise sous le prisme de la psychopathologie et qualifiée de "transsexualisme". Ce dernier terme renvoie notamment aux chirurgies corporelles et génitales auxquelles les personnes concernées ont recours afin que leur apparence "corresponde" au genre auquel elles s'identifient", expliquent Dimitri Tomsej et David Paternotte, auteurs de l'article .Deuxièmement, la loi belge s'est inspirée des pratiques exercées à l'époque par la Genderteam de l'UZ Gent. Cette équipe pluridisciplinaire (psychiatrie, chirurgie, endocrinologie, etc.) accueille des personnes trans qui désirent avoir recours à certains traitements médicaux, dont la chirurgie stérilisante de réassignation sexuelle. Troisièmement, la thématique trans est à l'époque méconnue et même inconnue au sein du monde politique belge et elle apparaît rarement dans le débat public. "Cette ignorance explique le poids de la croyance erronée selon laquelle l'immense majorité des personnes trans souhaite nécessairement avoir recours à une chirurgie génitale et consent ainsi à sa stérilisation", détaillent Dimitri Tomsej et David Paternotte. La psychiatrie est une science en constante évolution, où les remises en question sont légion. La preuve avec le célèbre DSM de l'American Psychiatric Association. En 1980, le DSM parle de "transsexualisme". Il faut attendre 1994 et le DSM-IV pour que la notion de "transexualisme" soit supprimée. On parle alors de "trouble de l'identité sexuelle". Preuve de l'évolution rapide des mentalités vis-à-vis de la transidentité: le DSM-V fait encore évoluer la notion en 2013 en parlant de "dysphorie de genre". Le DSM n'est pas le seul à cheminer de la sorte. En mai 2019, l'OMS va encore plus loin et décide, lors de la révision de la Classification internationale des maladies (CIM), de retirer les transidentités de la liste de troubles mentaux, tout en maintenant les notions d' "incongruence de genre" et d' "incongruence de genre dans l'enfance" dans un chapitre relatif à la santé sexuelle. La législation européenne sera influée par ces changements. À partir de 2009, plusieurs organes du Conseil de l'Europe émettent des recommandations en faveur de la démédicalisation de la procédure de changement d'état civil pour les personnes trans. En 2010 et en 2015, l'Assemblée parlementaire adopte deux résolutions dans lesquelles elle appelle les États membres "à abolir la stérilisation et les autres traitements médicaux obligatoires, ainsi que le diagnostic de santé mentale, en tant qu'obligation juridique préalable à la reconnaissance de l'identité de genre d'une personne dans les lois encadrant la procédure de changement du nom et du genre inscrits à l'état civil". En Belgique, ces prises de positions médicales et politiques font bouger les choses, notamment au niveau des acteurs de la société civile. Dès 2009, ceux-ci réclament une législation dépathologisée, qui supprimerait les conditions de stérilisation et de psychiatrisation relatives à l'octroi du changement d'état civil prévues par la loi du 10 mai 2007. La démédicalisation de la transidentité prend forme avec la loi du 25 juin 2017. Cette dernière prévoit que l'adulte souhaitant changer d'état civil doit uniquement remettre à l'officier de l'état civil "une déclaration qu'il a signée, indiquant que, depuis un certain temps déjà, il a la conviction que le sexe mentionné dans son acte de naissance ne correspond pas à son identité de genre vécue intimement". Cette personne voit alors son changement d'état civil enregistré dans un délai de trois à six mois après confirmation de sa démarche au moyen d'une seconde déclaration. La loi stipule également que les personnes mineures âgées de 16 et 17 ans souhaitant changer la mention de leur sexe dans le registre d'état civil doivent remettre la même déclaration que celle remise par les adultes, en y joignant toutefois "une attestation établie par un pédopsychiatre qui confirme que l'intéressé dispose d'une faculté de discernement suffisante pour avoir la conviction [en question]". Par ailleurs, la loi du 25 juin 2017 prévoit, tant pour les adultes que pour les personnes mineures, l'irrévocabilité du changement d'état civil. Enfin, elle permet aux femmes trans ayant conçu un enfant avec leur partenaire de se voir officiellement appelées "coparentes" (et non "pères"). Par contre, les hommes trans* parents ne sont appelés "pères" que dans le cas où c'est leur partenaire qui accouche ; dans le cas où ils accouchent, ils se voient appelés "mères". Si la loi du 25 juin 2017 constitue un progrès considérable pour les droits des personnes trans, les associations la considèrent comme une "demi-victoire". Celles-ci militent désormais pour que les personnes mineures trans puissent voir la mention de leur genre reconnue à l'état civil sans devoir consulter préalablement un pédopsychiatre. En outre, saisie par les associations, la Cour constitutionnelle exige, dans son arrêt du 19 juin 2019, que le législateur rende le changement d'état civil révocable et supprime l'alternative binaire relative à l'enregistrement de la mention du genre. Le but est de reconnaître l'identité de genre des personnes non binaires ou au genre fluide. Une des options renvoie à la création d'une mention de genre "X", comme l'administration belge le prévoit depuis 2015 dans ses annonces pour des postes vacants. Les associations soulignent toutefois que ce "X" peut présenter à long terme un effet stigmatisant à l'égard des personnes trans. Au début du mois de novembre 2020, Vincent Van Quickenborne (Open VLD), ministre de la Justice, confirme lors de la présentation de sa note de politique générale que "la législation sur l'enregistrement du sexe sera modifiée pour être conforme à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle." Des propositions de résolution sont aussi déposées au Parlement, certaines reproduisant assez fidèlement les demandes des associations. La question des droits trans et la révision de la loi du 25 juin 2017 figurent donc d'ores et déjà à l'agenda politique de cette législature.