En dix ans, les outils numériques ont connu une formidable évolution qui bouleverse la médecine. La psychiatrie se doit aussi de les intégrer activement dans sa pratique clinique, à l'instar du smartphone dont on ne peut plus faire l'impasse en consultation. Éléments d'explication avec le Pr Olivier Bonnot (Nantes).
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Aujourd'hui, internet a changé la vision générale de la psychiatrie et celle des patients sur leur pathologie. " Nous sommes guidés par la technique, c'est déroutant mais c'est à nous de nous adapter, on n'a pas le choix", a expliqué le Pr Olivier Bonnot (CHU Nantes), lors d'une conférence sur l'utilisation des nouvelles technologies en pédopsychiatrie, donnée dans le cadre des séminaires Avenir et perspectives en pédopsychiatrie organisés par le service de pédopsychiatrie de l'Huderf (Bruxelles). On le sait, la pandémie a précipité l'usage de la visioconférence et de la télémédecine. " Même les plus résistants se sont mis à y trouver des avantages: ce qu'on perd d'un côté, on peut le regagner d'un autre (autres éléments, autre sémiologie)". Le psychiatre évoque aussi la double face des réseaux sociaux: positive quand les groupes d'entraide ont permis de mieux tenir pendant le confinement et négative dans le sens où ils sont addictifs et changent l'image de soi et du monde... " C'est une sémiologie qu'on n'étudie pas assez quand on voit nos patients: il faudrait leur demander sur quels réseaux sociaux ils sont, comment ils s'en servent, leurs amis sur les réseaux... C'est très important, peut-être plus aujourd'hui que d'être invité à un anniversaire, par exemple". Le Gaming utilisé en thérapie pose la question de savoir comment rivaliser avec la qualité exceptionnelle des jeux vidéos disponibles sur le marché. Quant à la réalité virtuelle, déjà utilisée dans certaines thérapies (agoraphobie, autisme...), elle s'imposera de plus en plus pour les groupes thérapeutiques. " Le point important du numérique c'est la question de l'intelligence artificielle qui engendre beaucoup de fantasmes", ajoute-t-il . "Le big data est devenu l'alpha et l'oméga de la médecine: plus il y a de data, plus les estimations sont meilleures, quel que soit l'algorithme. Et qui a le plus de data? Google! Il y a une multitude d'algorithmes d'aide à la décision et de prise en charge. Certains pensent que c'est applicable à la psychiatrie or on voit que c'est un peu limité parce que les données sont moins pertinentes, plus hétérogènes et moins objectives que pour le cancer, la radiologie, la dermatologie, l'ophtalmologie... C'est un défi pour l'IA, les big data n'ont pas beaucoup de sens en psychiatrie, il faut faire des algorithmes experts c'est-à-dire contextualiser en fonction des sujets etc." Aujourd'hui, le smartphone est devenu l'outil numérique incontournable. " Cette nouvelle technologie s'est installée à une vitesse sans précédent dans l'histoire et a changé beaucoup de choses très rapidement dont la psychiatrie. Il faut une nouvelle sémiologie d'usage: aujourd'hui, le temps passé par un ado sur son smartphone est tel qu'il serait incongru -et pourtant, c'est ce qu'on fait! - de ne pas voir cet usage sur au moins un tiers de la consultation: Sur quels réseaux sociaux est-il? Quels groupes WhatsApp? Est-ce qu'il joue? Comment communique-t-il? Envoie-t-il des photos?...", estime Olivier Bonnot. Il regrette donc l'absence de critères sémiologiques fins sur l'usage du smartphone: " Chacun fait un peu comme il veut. Si on constate qu'un ado est triste et qu'il n'est pas sur son groupe WhatsApp de l'école, ces deux éléments ont le même poids pour nous indiquer qu'il a plus de chance d'avoir une dépression. Aujourd'hui, ce n'est pas un critère, ou on dit que c'est un élément de contexte. Or, ce n'est peut-être pas un élément de contexte mais de sémiologie". Pour le pédopsychiatre, le phénotype digital (traces qu'on laisse sur Internet) est un élément très important, dont il faut s'emparer. Il donne quelques exemple: " Facebook lit les messages, détecte les comportements suicidaires et envoie une alerte au premier cercle d'amis. Mindstrong fabrique une app pour détecter précocement la dépression en fonction de la façon dont le sujet tape sur son smartphone et scrolle son écran. Grâce à une montre connectée, Mindblue prévoit la rechute dépressive en fonction des mouvements du poignet". " Le phénotype digital c'est tous ces éléments que le digital peut produire et qui apportent une forme de clinique. Entre la sémiologie d'usage et le phénotype digital, on a toute une clinique à inventer en psychiatrie. Il faut s'en saisir, on pourrait avoir quelque chose d'encore plus prédictif que l'intersubjectivité. Cela réinterroge notre façon de voir le diagnostic et notre place, voire notre métier. Si cela détecte mieux, c'est peut-être mieux. Pour l'instant, ce n'est pas encore tout à fait menaçant mais cela arrive à très grande vitesse...", met-il en garde. On parle ici d'une forme de nouveau soin tournant autour de la question de l'empowerment du patient. " L'outil digital devient un tiers soignant, il intervient au milieu de la relation, il est utile aux patients et aux soignants. Plusieurs choses ont été développées comme par exemple des applications pour accompagner les parents d'enfants autistes (SmartAutisme), les enfants TDAH (Pandah), pour la prévention de la récidive suicidaire chez les adolescents et les jeunes adultes (Medical Companion)". Si la psychiatrie doit s'emparer de cette révolution déjà en marche, elle doit aussi résoudre certaines questions comme celles de la sécurité des outils informatiques et du stockage des données, de leur acceptabilité, de leurs limites (big data, algorithmes...), du marché et de l'éthique: " Qui est responsable quand les soins se font un peu sans vous?" , s'interroge ainsi le Pr Bonnot.