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Le journal du Médecin: Vous avez été championne belge de ski: descendre une piste c'est un peu comme descendre une page blanche? Jolie métaphore, sauf que la page blanche en ski, on la descend très vite, surtout en descente...Alors que remplir les cases d'une page blanche d'un beau livre est beaucoup plus long. On slalome parmi les embûches? Voilà, mais il y a un défi de part et d'autre... Vous avez illustré le Livre la Bible. Mais la "bible" à vos yeux c'est... "le" livre? C'est une sorte de bible universelle. Si nous réunissions toutes les pages que nous avons éditées, à mon avis, nous dépasserions en volume la Bible (rires). Dans votre production, les thématiques religieuses abondent... Je préfère l'expression livres de spiritualité: lorsque l'on se plonge dans La Divine Comédie, c'est le versant mystique de la Chrétienté qui prédomine ; La Légende dorée s'attarde sur la vie des saints et des saintes, livre que nous venons de rééditer en petite collection et un seul volume. Dans le cas du Cantique des oiseaux, il s'agit de la spiritualité soufie ; Triomphes de Pétrarque évoque pour sa part la spiritualité païenne, mais qui porte en lui cependant un désir de transcendance: évoquant l'amour, la mort, la chasteté, le temps et l'éternité. C'est le deuil de son amour. Quant à La Genèse de la Genèse à mes yeux, c'est le moins spirituel de tous et le plus factuel. Florimont Tulkens fut-il votre Saint-Jean-Baptiste, votre prophète? Oui, voire même mon Saint Christophe: il m'a pris sur ses épaules, et m'a aidé à traverser la rivière: un homme merveilleux, d'une grande gentillesse, qui m'autorisait à reproduire toutes les images des Fables de La Fontaine, me laissant lui emprunter ses ouvrages précieux issus de sa librairie de livres anciens place Saint-Jean à Bruxelles, que je lui rapporterais une fois les illustrations photographiées. Il s'agit de mon premier livre et le début d'une belle aventure. Le numérique et internet facilitent-ils grandement la conception d'un livre d'art? Oui, avec des bémols. Nous avons travaillé sans numérique 15 années durant, la moitié de notre parcours. Quand le numérique fait irruption, il se révèle heureusement très lacunaire: ce qui nous a obligés à continuer à chercher ailleurs. Aujourd'hui il l'est encore, car lorsque l'on fouille, on trouve encore des trésors non photographiés et numérisés. Ce travail de recherche se poursuit donc, même si nous débutons désormais par internet, afin de rassembler un maximum d'éléments dont nous pourrions avoir besoin: nous poursuivons ce travail auprès d'experts et de musées. L'autre avantage et inconvénient du numérique tient au fait qu'avant son apparition, la photogravure était réalisée à partir d'Ektachromes. Avec l'irruption du numérique, la résolution des images se révélait souvent trop pauvre: même des musées comme le Metropolitan de New York nous faisaient parvenir des images non utilisables. Pendant deux ans, ce fut une bataille homérique afin de recevoir des reproductions dont la résolution soit suffisante. L'autre problème des images qui nous parviennent en numérique, c'est qu'il est impossible d'en faire un agrandissement, contrairement aux anciens Ektachromes. Pour nous qui travaillons beaucoup sur les détails, c'est un frein. Internet et la numérisation présentent donc beaucoup d'avantages, mais sans effacer le souvenir d'une manière de travailler plus artisanale, mais quelque part plus qualitative et plus libre. Quel avenir envisagez-vous pour le livre d'art? Le livre numérique est trop cher en termes de coûts: tous mes confrères et moi-même avons temporairement abandonné l'idée ; ce sera possible le jour où les droits de reproduction auront disparu. Et quelque part, un livre est un objet qui a un poids, une forme, que l'on peut poser dans sa bibliothèque ou sur la table de salon. Il y a une prise, une manière de feuilleter que l'on ne remplacera pas, car c'est un bel objet: il continue à avoir toute sa raison d'être. Par contre, j'observe un changement de comportement dans l'achat des consommateurs qui en offre de moins en moins... pas durant le confinement cependant. Mais la frénésie d'achats des livres d'art durant la période des fêtes s'est fortement assagie. Ce qui est forcément pénalisant: nous connaissons des niveaux de tirages et de ventes d'il y a quinze ans. La question de la pérennité se pose donc... Le livre d'art, s'il est de qualité, qu'il possède un vrai fonds, un vrai contenu et une véritable pérennité, ce qui est le cas de toute notre collection, vivra toujours. Je continue à bien écouler aujourd'hui les Fables de La Fontaine, le premier ouvrage que j'ai publié en 1992, illustrées par Jean-Baptiste Oudry: il s'agit d'un livre de fonds dont le succès ne se dément pas. Il en va de même pour La Divine Comédie, ou le Faust de Goethe. Nous venons de ressortir La Légende dorée en petite collection et cette fois en un seul volume: le public s'est jeté dessus: 65 euros, 300 peintures de la renaissance pour un ouvrage magnifique et ce, inclus, le texte de Jacques de Voragine. Nous pouvons nous le permettre, car nous avons amorti lors de sa première publication en grande collection, les coûts de production, les droits iconographiques, la maquette... Vous écrivez être plus belge que française, mais plus parisienne que belge? C'était une réflexion de mon mari: je suis arrivé à Paris à 24 ans, m'y suis senti tellement bien que je n'ai plus jamais voulu la quitter, même si je viens encore souvent en Belgique. C'est vraiment devenu mon pays d'adoption. En même temps, je reste belge par mon éducation, ma manière de regarder le monde, d'envisager l'autre, un humour, un côté décalé. Un côté avant-gardiste? Il y a beaucoup de qualités que les Français reconnaissent aux Belges dont j'ai dû sans doute récupérer quelques miettes dans ma manière de vivre et d'être. Avec moins de préjugés? Il y eut un colloque au Théâtre du Rond-point de Jean-Michel Ribes où des intellectuels français et belges débattaient des différences entre la Belgique et la France ; l'un de nos compatriotes a avancé: ' Et nous sommes beaucoup plus libres, car nous n'avons pas comme les Français la peur du regard de l'autre. Vous êtes une nation très ancienne" ajoutait-il, " vous avez connu la royauté la révolution, vous êtes un peu moulé par votre passé alors que nous sommes une nation jeune avec la liberté que cela procure". L'aristocratie existe encore en Belgique, plus en France, et pourtant les Français sont beaucoup plus aristocrates, plus assis sur ce qu'ils ont connu et vécu alors que nous nous sentons beaucoup plus libres d'être qui nous sommes, et puis basta! Bon, en même temps, ce sont des généralités... (elle rit) Diane de Selliers: Et ainsi le désir me mène (Editions Diane de Selliers)