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Comme c'est le cas pour toutes les addictions, mieux vaut prévenir que guérir. D'où, en ce mois de février, la quatrième édition de la " tournée minérale ", soit le défi de ne pas consommer d'alcool pendant un mois, lancé par la Fondation contre le Cancer.Mais aussi cruciale que soit la prévention, l'élaboration d'un traitement adéquat est également nécessaire, ce que viennent de rappeler des chercheurs du Laboratoire de psychologie médicale et addictologie de la Faculté de médecine de l'Université libre de Bruxelles, localisé à l'Hôpital Brugmann. Et ces derniers peuvent désormais se prévaloir d'une belle avancée en la matière.Les scientifiques bruxellois sont partis d'un double constat qui se vérifie un peu partout à travers le monde : le faible pourcentage (5 à 10%) des patients dépendants à l'alcool qui suivent chaque année une cure de désintoxication et le taux de rechute très élevé malgré un soutien médicamenteux et psychosocial (50% des patients belges qui suivent une première cure rechutent endéans les trois mois, 70 à 90% endéans l'année)." L'idée de l'étude qui a démarré il y a un peu plus de quatre ans était de voir si, de manière complémentaire à la prise en charge psychologique et médicamenteuse, que nous considérons comme tout à fait indispensable, il n'y aurait pas moyen de diminuer le taux de rechutes en s'orientant vers l'apport des neurosciences cognitives et en prenant en considération deux grands mécanismes qui sous-tendent la rechute : le biais attentionnel et l'inhibition ", explique Salvatore Campanella, maître de recherches FNRS et premier auteur de cette étude.Déjà identifiés dans les années 90 au cours d'études sur des animaux, les deux mécanismes en question ont été vraiment bien décrits sur le plan psychologique il y a un peu plus d'une décennie. " Le biais attentionnel consiste en une attirance inconsciente plus marquée pour l'alcool, le patient alcoolique repérant plus vite les éléments environnementaux - publicité, présence de cafés, etc. - qu'une personne non-dépendante ", précise Salvatore Campanella. " L'inhibition, quant à elle, sous-tend la capacité de résistance à ces appels. "" Le caractère original de notre travail réside dans le fait de tester l'évolution de ces deux mécanismes en fonction de la cure de désintoxication, et de voir si cette évolution entre le début et la fin de la cure est prédictive d'une abstinence ou d'une rechute. "Les scientifiques de l'ULB ont inclus dans leur étude 40 patients volontaires ayant entrepris un sevrage de trois à quatre semaines, avec médication et prise en charge psychologique, dans l'unité d'alcoologie du CHU Brugmann. Ils ont ensuite contacté l'entourage de ces patients trois mois après la cure afin de voir si ceux-ci avaient rechuté et à quel moment.En outre, ils ont comparé les " profils cérébraux " des patients toujours abstinents après trois mois, par rapport à ceux qui ont rechuté. Ces profils ont été établis au moyen d'électroencéphalogrammes réalisés au tout début de cure et à la fin du sevrage alors que les patients étaient soumis à différentes tâches.Résultat ? Trois mois après la cure, 15 des 40 patients étaient toujours abstinents, ce qui implique un taux de rechutes de 62,5% (25 patients sur 40). Par ailleurs, 13 parmi les 15 présentaient des taux d'attention et d'inhibition élevés." Les patients abstinents sont ceux qui continuent après leur cure, à 'voir pleinement' les signaux liés à l'alcool ", décrypte Salvatore Campanella. " Ils présentent également une plus grande amélioration quant au mécanisme d'inhibition. Autrement dit, leur capacité à résister à l'alcool est plus élevée qu'elle ne l'était en début de cure de désintoxication. A contrario, la majorité des patients en rechute présentent un taux d'inhibition faible. Ils ont moins de ressources psychologiques pour résister à l'alcool. "Dès lors, la conclusion s'impose d'ellemême : le biais attentionnel et les capacités d'inhibition forment un marqueur neurocognitif de vulnérabilité permettant de prédire le maintien de l'abstinence ou le risque de rechute d'un patient après sa cure.Reste désormais à confirmer cette belle trouvaille en reproduisant l'expérience sur une cohorte de patients plus grande. " Nous sommes déjà en train de le faire ", ajoute Salvatore Campanella." L'enjeu est aussi d'inclure un monitoring du biais attentionnel et de l'inhibition via l'électroencéphalogramme, afin d'orienter, le cas échéant, la prise en charge en post cure, que ce soit en clinique ou en ambulatoire. On peut penser à un entraînement cognitif ou un traitement par neurostimulation électrique de certaines régions du cerveau dont on sait qu'elles sont particulièrement actives dans les mécanismes d'inhibition. L'objectif étant d'améliorer à plus long terme les capacités d'inhibition des patients et par conséquent diminuer le taux de rechutes. "