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Fin 19e siècle, on observe chez les artistes un retour au passé moyenâgeux, sans doute devant l'horreur de l'industrialisation qui marque les mouvements comme le symbolisme ou le préraphaélisme. Dans le domaine de la sculpture, trois artistes, dont deux Belges, vont " symboliser " ce mouvement en trois dimensions cette fois : Auguste Rodin, Constantin Meunier et Georges Minne intègrent tous trois des thématiques comme le péril, la perte ou la séparation, typiques des oeuvres du Moyen Âge. Se faisant, ils s'opposent au traitement classique encore en vogue au 19e siècle. Ceci chacun avec leurs différences : le style est plus massif chez Meunier, notamment dans Le peddleur, et annonce déjà le réalisme socialiste ; Georges Minne se veut plus symboliste et fusionnel comme l'illustre La mère éplorée et ses deux enfants, tandis que Le penseur de Rodin marie à la fois le style classique et une approche plus personnelle, organique. Dans la première salle introductive de cette exposition plongée dans une ferveur toute médiévale (un parallèle avec les temps " obscurs " du Moyen-Âge ? ), ces trois artistes et leurs oeuvres sont mis en regard d'un Christ de piété de Jan Borman, de la fin de la période médiévale, dont la maladresse renforce toute la fragilité humaine. Ce retour dans le passé est initié en Angleterre (berceau de la Révolution industrielle) notamment par Walpole, auteur du premier roman gothique ( Le château d'Otrente) en 1764 et qui se fait bâtir une villa médiévale, Strawberry hill, illustrée en images. Les six anges musiciens des frères Goyers, datant de 1876, sculpté en bois et présentés dans l'expo, réfèrent pour leur part aux tympans des cathédrales gothiques tels que celle d'Amiens. Constantin Meunier, qui comme chacun des trois artistes a droit à sa salle exclusive, allie tradition néogothique et innovation. Considéré comme un artiste engagé, ses débuts furent religieux comme en atteste une Lamentation, peinture de 1871, mise en regard d'un autre issu de l'atelier de Quentin Metsys. La sculpture Le Christ au tombeau est confrontée au Grisou, montrant une femme penchée sur son mari mineur décédé, et qui elle aussi à tout d'une Piéta. Dans son approche sociale, Meunier intègre du religieux, un peu comme les Dardenne au cinéma. Quant à Georges Minne, de son vivant, l'on disait de lui qu'il possédait une âme gothique : ses personnages frêles, décharnés et anguleux évoquent sans détour les maîtres flamands à voir son Porteur d'eau, référant à la figure du Saint Jean-Baptiste. Ses Mères à l'enfant (entre symbolisme et minimalisme parfois pour l'épure dont il fait preuve), elles évoquent insensiblement les vierges du Moyen Âge, anonymes, disposées à côté d'elles. Rien de surprenant d'apprendre que Minne illustra des oeuvres de Maeterlinck et Verhaeren qui en appelèrent aussi aux temps médiévaux. En 1930, il signe une autre Mère et enfant qui évoque invariablement l'Expressionnisme flamand, et qui ferait de Minne un Permeke de la sculpture (même si ce dernier s'y est aussi essayé). Rodin lui s'inspire de la représentation des souffrances du Christ au Moyen-Âge, notamment dans Les bourgeois de Calais, dont les petits bronzes sont présentés. Un autre exemple se trouve dans la mise en parallèle d'une tête anonyme du christ en bois avec celle de Pierre de Wissant, l'un des " Bourgeois ", laquelle arbore une expressivité similaire. Le naturalisme de Rodin, qui s'oppose au classicisme grec et à celui des Beaux-arts, triomphe dans son Christ et Madeleine dont les corps en fusion semblent l'être également avec la pierre. Enfin, dernier thème commun mis en exergue, celui des pleurants, qui fit florès au Moyen Âge. Rodin le reprend dans sa description des Bourgeois de Calais, Meunier dans La douleur, sculpture sociale, et Minne dans Les trois saintes femmes au tombeau : sculptées en un seul tenant, l'artiste les a dotées d'une silhouette fantomatique et d'une allure symbolique. Trois figures qui symbolisent, en quelque sorte, les trois artistes rendant hommage à un Moyen Âge trop rapidement... mis au tombeau par la Renaissance.