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Manifestation réservée aux professionnels de la finance, le Trends Investment Summit est l'occasion, pour les gestionnaires de fonds, de présenter leur politique, ainsi que leurs performances bien entendu, aux banquiers et autres intermédiaires financiers. Avec infiniment plus de détails que dans les documents auxquels les investisseurs particuliers ont accès! Nous y avons retenu deux exposés de nature très différente. Celui d'Eléonore Bunel d'abord, responsable des investissements en obligations chez Lazard Fund Managers. Ce gestionnaire fait partie du groupe Lazard, la banque d'affaires franco-américaine. Celui de Chris Mahoney ensuite, gestionnaire d'un fonds axé sur l'or auprès de Jupiter Asset Management, société britannique créée en 1985. Dans l'un comme dans l'autre cas, il apparaît clairement que la stratégie de ces professionnels est hors de portée de l'investisseur particulier. Coup d'oeil chez les pros... Pour obtenir du rendement aujourd'hui, il n'est évidemment plus question d'acheter, par exemple, des obligations d'État allemandes ou françaises! La conviction d'Eléonore Bunel est ferme et sans appel. Comment s'en étonner d'ailleurs? Le rendement offert par ces actifs de première qualité est remonté cette année, mais il reste misérable. Les obligations à dix ans de l'État français sont ainsi passées du rouge au vert, soit en chiffres ronds de -0,3% à la fin 2020 à +0,3% ces dernières semaines, mais il n'y pas encore là de quoi pavoiser. Pour l'État allemand, on observe aussi une sensible remontée... si l'on peut ainsi s'exprimer, car le rendement est toujours dans le rouge, étant passé de -0,6% à -0,1%. Le rendement est donc ailleurs. Les investisseurs professionnels vont le chercher dans des obligations d'États moins bien notés, d'entreprises de moindre qualité, dans d'autres devises (fût-ce simplement le dollar), sur les marchés émergents, etc. Sans oublier les instruments hybrides et les financements bancaires spéciaux. La spécialiste de Lazard évoque ainsi les rendements de quelques actifs: Produits hybrides d'entreprises, qualité investissement: 1,6% Produits hybrides d'entreprises, haut rendement: 2,3% Obligations à haut rendement en euro: 3,2% Additional Tier 1 (AT1): 3,3% Quelques mots d'explication. La "qualité investissement" est une notion précise, suivant en cela le jugement que les agences de notation émettent sur les entreprises et autres émetteurs (Etats, provinces, organismes...). Chez Standard & Poors, la principale d'entre elles, la qualité investissement va de AAA (rarissime) à BBB-, en passant notamment par AA, A+, BBB+... En-dessous de BBB-, il n'est plus question de qualité investissement, mais de niveau spéculatif. Ce qu'on exprime de manière moins dramatique en qualifiant de "à haut rendement" les obligations émises par ces entreprises et autres entités. Il va de soi que le rendement exigé par les investisseurs va croissant quand on descend dans l'échelle de qualité. Les produits hybrides ont des caractéristiques à la fois d'obligations et d'actions. Exemple classique: l'obligation convertible (en actions). Notons encore le cas particulier noté AT1: il s'agit d'un financement complémentaire des banques, théoriquement plus risqué et donc plus rémunérateur. Risqué: le mot est lâché. Le risque plus élevé présenté par ces produits en vaut-il la peine? Réponse: oui! Car outre un rendement supérieur, ils ont offert de surprenantes plus-values depuis le début 2019. Résultat: le return (rendement + plus-value) atteint pas moins de 16,8% pour le haut rendement en euro, 20,2% pour le haut rendement en dollar, ou encore 29,8% pour les produits AT1. Des niveaux franchement inespérés pour des obligations et produits assimilés! Quant au risque de défaut présenté par les entreprises de moindre qualité, c'est-à-dire qualifiées de spéculatives, il est actuellement assez faible, comme le montre le graphique ci-contre. Il fut, lors de la crise du Covid, moitié moins élevé environ que lors de la crise financière de 2009 et il est aujourd'hui retombé aux environs de 2% à peine. Autant un investisseur particulier risque de faire de mauvais choix individuels, autant un fonds bien diversifié présente peu de dangers. Voilà pour la situation générale, mais comment le fonds Lazard Credit Opportunities est-il géré concrètement? Qu'a-t-il en portefeuille? Il mise clairement sur des produits de qualité spéculative en étant investi pour moitié en dette financière, telle que l'AT1 évoqué plus haut, et pour 30% en obligations à haut rendement. Par contre, il est surtout investi en Europe: les quatre pays du Sud représentent 43% du portefeuille, suivis par la France, l'Allemagne, puis le Benelux et les États-Unis. Au fait, si les taux d'intérêt remontent durablement, les fabuleuses plus-values évoquées plus haut ne risquent-elles pas de se transformer en moins-values? Eléonore Bunel en est persuadée. C'est pourquoi elle a non seulement "couvert" son portefeuille contre une baisse, mais carrément pris une posture inverse: au moyen d'un paquet de produits dérivés, le fonds sera gagnant dans un contexte de hausse des taux! Trouver du rendement en obligations est décidément devenu un jeu sophistiqué réservé aux professionnels... Gestionnaire de portefeuille chez Jupiter AM, Chris Mahoney tient à souligner que, à long terme, l'or est avant tout sensible au niveau des taux d'intérêt américains à dix ans. En termes réels s'entend, c'est-dire déduction faite de l'inflation. Quand ce taux réel s'inscrit en baisse, l'or s'apprécie. Tel fut le cas entre 2009 et 2013, comme illustré sur le graphique ci-contre. Rebelote en 2019 et 2020. Normal: ce taux réel flanche sérieusement. Mais alors qu'il s'inscrit carrément en territoire négatif cette année (l'inflation dépasse largement le rendement de l'obligation à dix ans, soit moins de 2%), l'or a plutôt tendance à fléchir. Ce n'est pas la première fois: on avait déjà observé cela en 2012. Une tendance à long terme ne saurait se vérifier mois après mois... Le gestionnaire du fonds Jupiter Gold & Silver garde toutefois confiance, estimant que le métal jaune devrait prochainement rebondir. Et l'argent métal davantage encore. Quand le contexte semble favorable, comme aujourd'hui, le fonds investit peu en or physique: 15%, contre jusqu'à 50% quand les perspectives sont médiocres. L'essentiel du portefeuille est constitué d'actions de producteurs, soit 40% pour l'or et pas moins de 45% pour l'argent. Pourquoi? En raison de l'effet de levier: les bénéfices des producteurs progressent (ou régressent) beaucoup plus vite que le prix du métal. Démonstration en a été faite au 1er semestre 2016: alors que le cours de l'or s'appréciait d'une vingtaine de pour cent, une hausse assez spectaculaire, le cours des mines d'or explosait de 250%! On soulignera que Jupiter choisit ces producteurs presque exclusivement dans le monde occidental: Canada, Amérique latine et Australie composent 90% du portefeuille. Les métaux précieux sont volatils, pas question d'y ajouter un risque géopolitique!