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Plus de 25 ans après les faits, leurs conclusions sont sidérantes, non seulement dans l'implication directe de soldats français aux côtés de l'armée rwandaise et des milices, mais aussi dans le sauvetage des génocidaires sous couvert de l'opération Émeraude, qui n'avait d'humanitaire au départ que le camouflage. Tentant un temps de faire croire à un attentat du FPR (l'enquête du juge Bruguière est balayée par la commission parlementaire de 98), une croyance encore aujourd'hui propagée par une bonne partie des autorités françaises, la France, deux décennies après les faits, refuse toujours de reconnaître ses erreurs et son implication. L'ouvrage relate comment aux yeux de Hubert Védrine mais surtout de François Mitterrand, le pré carré français (dont font désormais partie Congo et le Rwanda, où la France prend le relais de la Belgique) doit être défendu face à la menace anglo-saxonne (le complexe de Fachoda est toujours vivace), et la stabilité vaut bien des victimes et des dictateurs corrompus. L'ouvrage montre comment Mitterrand, déjà ministre de l'Intérieur en 1956 et intraitable face à la condamnation à la peine de mort des fellaghas algériens, on l'oublie souvent, s'est empressé dès son élection au poste suprême en 1981de réhabiliter les généraux putschistes d'Alger, et ce y compris dans leur droit à la retraite. Et même s'il doit cohabiter à l'époque du génocide, l'ouvrage pointe le monarchisme républicain qui autorise le président, chef des armées, à mobiliser, sans l'accord du parlement ou du gouvernement, les troupes selon son "bon plaisir". Sourd aussi cette assertion au pays des droits de l'homme inaliénables, qu'un mort noir n'égale pas vraiment un mort blanc. Mitterrand aurait déclaré en privé à l'été 94: "D ans ces pays-là, un génocide c'est pas trop important." Tandis que Charles Pasqua, interrogé à la télévision le 4 juillet de la même année affirmait que " pour les Africains, ces affrontements tribaux n'ont pas le caractère atroce qu'ils ont pour nous". Et on s'étonne que ces deux-là s'entendaient bien! Ouvrage passionnant, argumenté qui se lit comme un polar, ce livre esquive quelque peu l'anglicisation réelle du Rwanda (par la faute du génocide, il faut le préciser), ne relève pas que le grand chambardement géopolitique dans un pays aussi petit soit-il est la conséquence de la chute du mur, et ne met pas en rapport l'avènement du génocide rwandais, avec la guerre civile, et également ethnique, qui se déroula au Burundi entre 1990 et 93, et qui a certainement influé sur le climat politique dans le Rwanda voisin.