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Il s'agit de repenser l'organisation des soins existants, d'en renforcer l'accessibilité et de mettre en place des solutions innovantes pour combler les lacunes actuelles. Explications avec Dominique Roberfroid, senior expert in clinical evaluation and epidemiology. Le journal du Médecin: Quelles sont les différences spécifiques entre démence précoce et tardive? Dominique Roberfroid: Premièrement, les causes de la démence précoce sont plus variées. Par exemple, la maladie d'Alzheimer est retrouvée dans 30% des cas, alors que cette proportion s'élève à 60% dans la démence tardive. Une neurodégénérescence des lobes frontaux et temporaux est par contre plus fréquente dans la démence précoce, ainsi que des démences secondaires à un autre problème d'origine neurologique (maladie de Huntington, sclérose en plaques), infectieuse (VIH, neurosyphilis) ou toxique (consommation excessive d'alcool). Une mutation génétique (autosomique dominante) est retrouvée dans 15% des démences précoces et dans 50% des démences très précoces (début avant 45 ans). En second lieu, assez logiquement, ces causes plus diverses se traduisent aussi par une présentation clinique plus variable, et dès lors par un diagnostic moins facile à poser, surtout dans cette population relativement jeune où l'incidence de la démence est faible (les démences précoces représentent approximativement 4% de l'ensemble des démences en Belgique). En sus de l'atteinte cognitive que l'on retrouve également dans les formes tardives, les signaux d'alarme suivants devraient être bien connus des prestataires de soins de première ligne et déclencher une mise au point plus approfondie: 1. une altération d'ordre psychiatrique, comportemental ou cognitif observée pour la première fois chez une personne de 55 à 64 ans sans antécédents psychiatriques personnels ou une altération d'ordre psychiatrique, comportemental ou cognitif observée chez une personne présentant des antécédents familiaux de démence précoce. 2. des symptômes psychiatriques qui ne sont pas améliorés par les traitements recommandés et/ou par la psychothérapie. 3. des symptômes neurologiques qui surviennent de façon progressive, tels que l'incapacité à exécuter certains mouvements volontaires (apraxie), une paralysie du mouvement vertical des yeux, des problèmes d'équilibre ou des chutes (...). Pour quelles raisons la démence précoce débouche-t-elle sur un parcours d'obstacles pour le patient? Un premier problème est le diagnostic souvent posé avec retard, pour les raisons expliquées plus haut. Ensuite, les personnes consultées dans le cadre de l'étude pointent le manque d'organisation et d'expertise de la prise en charge de la démence précoce. De façon générale, les soins proposés sont perçus comme peu spécifiques, mal organisés et mal adaptés à ce groupe d'âge, même dans des structures relativement pointues comme les cliniques de la mémoire. Enfin, l'accessibilité financière et géographique à certains services et soins peut poser problème. Que nous apprennent les modèles étrangers? Nous avons examiné les plans démence nationaux mis en place dans quatre pays voisins: l'Allemagne, l'Angleterre, la France et les Pays-Bas. Aucun de ces plans ne concerne spécifiquement la démence précoce, mais ils abordent tous peu ou prou la problématique des patients plus jeunes. L'objectif premier de ces plans démence nationaux est de soutenir et autonomiser les personnes atteintes de démence (quel que soit leur âge) et leurs aidants proches, et d'aider les patients à conserver une place à part entière dans la société. Dans les quatre pays, les cliniques de la mémoire jouent un rôle de premier plan dans la prise en charge des patients. Dans la plupart des pays, chaque patient se voit attribuer une personne de référence unique, aussi appelée un case manager, qui peut servir de point de contact pour les patients, les aidants proches et les autres acteurs de la prise en charge. La France et les Pays-Bas se sont également dotés de centres de référence pour la démence précoce, dont l'objectif est de coordonner la prise en charge et la recherche au niveau macro. Quels mécanismes concrets proposez-vous pour améliorer la coordination entre les différents niveaux de soins (soins primaires, spécialisés, sociaux) afin de répondre aux besoins spécifiques des patients atteints de démence précoce et de leurs aidants? Premièrement, le parcours de soins pour les patients atteints de démence précoce doit être clairement défini dans le cadre d'un plan régional/communautaire cohérent et global de lutte contre la démence, comme par exemple le plan démence flamand pour 2021-2025, dont les objectifs sont la prévention de la démence, l'amélioration de la qualité des soins et le soutien aux aidants proches. Ce plan devra également spécifier les moyens dévolus à la mise en oeuvre des interventions et les acteurs qui en sont responsables, ainsi que les dispositions pour le suivi et l'évaluation des activités et résultats. Deuxièmement, développer (au niveau des entités fédérées) un centre de référence sur la démence précoce permettrait d'élaborer et d'implémenter des directives evidence-based actualisées, d'harmoniser les meilleures pratiques et de former les professionnels. Ce centre devrait également servir de pôle d'information sur les ressources et organisations de soutien, et être accessible par le biais d'un site web convivial ou d'autres supports d'information. Enfin, le parcours des personnes atteintes de démence précoce s'inscrit dans la durée et la multiplicité des acteurs et des institutions. Il est donc important de veiller à ce que tout patient qui en a besoin puisse s'appuyer sur les compétences d'un case manager dédié, dont le rôle est de guider le patient et sa famille tout au long du parcours de soins et ce, dès les premiers symptômes. Le case manager assure le lien entre les différents dispensateurs de soins et avec les services sociaux et administratifs. Divers profils professionnels existants endossent déjà en partie cette fonction, comme les médecins généralistes, les assistants sociaux des cliniques de la mémoire ou les référents démence dans les maisons de repos. Y a-t-il suffisamment de places (et l'envie d'accueillir des patients relativement jeunes) dans le résidentiel? Il est difficile de répondre à la question du nombre de places car le nombre exact de patients souffrant de démence précoce en Belgique n'est pas connu. Sur base des données internationales extrapolées à la Belgique, entre 5.000 et 8.000 personnes âgées de 30 à 64 ans seraient concernées. La proportion de ces personnes qui ne pourraient plus vivre à domicile et devraient être hébergées en institution est encore moins bien connue. On voit cependant émerger depuis quelques années des solutions d'accueil résidentiel proposant un environnement qui se rapproche du domicile privé et permet aux résidents de conserver un maximum de contrôle sur leur vie quotidienne (...). Comment envisagez-vous de pallier les disparités géographiques et financières dans l'accès aux services spécialisés, notamment en Wallonie et à Bruxelles où le manque d'expertise est criant? Tout d'abord, il est important que chaque patient atteint de démence précoce, quel que soit son lieu d'habitation, ait accès à un parcours de soins cohérent incluant une détection précoce de la maladie, un diagnostic coordonné et un accompagnement post-diagnostic multidisciplinaire. Ce dernier recouvre un soutien psychologique adapté à l'âge et centré sur la famille, en particulier au moment du diagnostic, ainsi qu'une rééducation cognitive, des interventions psycho-éducatives et psychosociales, et une adaptation du lieu de vie. Pour atteindre cet objectif, il faut assurer la continuité de l'accompagnement par un case manager dédié à chaque patient, promouvoir l'intégration des soins et des services via un plan régional/communautaire cohérent et global de lutte contre la démence, et renforcer l'accès à des informations valides et utiles via des centres de référence sur la démence précoce (...).