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De tout temps, le vol des oiseaux a fasciné l'homme, au point d'éveiller en lui le désir incoercible de dompter les airs tout comme il avait maîtrisé les mers dès le Néolithique et l'Age du bronze. Le mythe d'Icare exprime cette antique ambition qui devait mettre des siècles avant de se réaliser. Aujourd'hui, le rêve est devenu réalité. L'homme commence à habiter l'espace. Peut-être un jour l'homme se sera rendu maître du système solaire ? L'univers de Yoko Tsuno deviendra-t-il un jour réalité ?D'autre part, le ciel étoilé fascine depuis la plus haute Antiquité. Les mages mésopotamiens et égyptiens scrutaient déjà les étoiles. Les marins antiques savaient naviguer sur les mers. En Grèce, le ciel constellé d'étoiles a éveillé la curiosité des premiers scientifiques et des philosophes de la nature 2. L'univers a hanté les rêves, les angoisses et les plumes des poètes, des littérateurs, des penseurs, des savants, des mystiques depuis la Préhistoire. " Le silence éternel de ces espaces infini m'effraie. ", écrivait Blaise Pascal.Les grands rêves ont leur immortalité propre 2. Celui de la conquête de la Lune renaît sous la plume d'Hergé dans deux albums légendaires, Objectif Lune (1953) et On a marché sur la Lune (1954). Ces planches, dont certaines cases ont conservé une somptueuse beauté 3, ont largement contribué à faire de Tintin un personnage mythique.On a marché sur la Lune est un huit clos d'une grande efficacité, emportant l'univers hergéen (il n'y manque que la Castafiore et Séraphin Lampion) vers notre satellite. Les deux intrus, le Colonel Boris, sorte de Colonel Olrik de la série, et l'ingénieur Wolff n'y survivront pas. Le premier sera abattu, le second se suicidera. Hergé ramène tout son petit monde sur terre. Happy end.Cette " happy end " ne fut pas celle de tous les vols habités. Le 22 janvier 1967, les trois astronautes d'Apollo 1 périssent dans leur capsule brûlés vifs suite à un court-circuit ayant enflammé l'O2. Le 23 avril 1967, le russe Komarov se tue lors de la rentrée dans l'atmosphère. Le 16 janvier 2003, la navette Columbia se désintègre lors de son retour dans l'atmosphère, entraînant sept astronautes dans la mort. Mémoire doit également être faite du sauvetage d'Apollo 13 (voir Apollo 13, le film éponyme de Ron Howard, 1995) qui vit le contrôle de mission, basé à Houston, ramener sur terre un vaisseau spatial sévèrement endommagé.On le sait également, le retour des astronautes à la vie quotidienne n'a pas toujours été empreint de succès. Parmi l'équipage d'Apollo 11, Neil Armstrong s'est replié sur lui-même, refusant toute manifestation publique, dans sa ferme de l'Ohio. Edwin Aldrin a sombré dans la dépression et l'alcoolisme. Edgard Mitchell, membre de la mission Apollo 14, sombra dans le mysticisme, s'adonnant aux sciences occultes et aux phénomènes paranormaux. André Taymans avait-il ces destins en tête lorsqu'il dessinait Moon River, la première aventure de Caroline Baldwin ? De retour sur terre, Frank White sombre dans une dépression compliquée de bouffées psychotiques.Les photographes, les romanciers et les cinéastes se sont également emparés de cette épopée. Deux titres peuvent être épinglés : Bivouac sur la Lune, de Norman Mailer et La course aux étoiles, de James Michener.Qu'en est-il de Mars ? L'envoi d'un vaisseau habité sur la planète rouge est en préparation. Cette nouvelle étape de l'aventure spatiale réalise un autre thème omniprésent dans l'imaginaire collectif (voir notamment, dans L'Ecole de Marcinelle, Jeannette Pointu, par Westerlain, L'an 2000. Mission sur mars, Marcinelle, Dupuis, 1993).La Seconde Guerre révéla au monde les potentialités destructrices des V1 et des V2 3. Les scientifiques qui conçurent et firent voler les premières fusées (et qui furent l'objet d'une chasse acharnée par les services secrets des pays vainqueurs) s'appuyèrent sur un système concentrationnaire totalement déshumanisé. Entre vingt et trente mille prisonniers moururent dans l'enfer de Dora, ce camp voué à la construction des fusées. L'enfer sur terre fut le berceau de la conquête spatiale.Von Braun fut cependant placé à la tête du programme spatial américain sans le moindre état d'âme. Sur le plan scientifique, la conquête de l'espace fut l'objet d'une titanesque lutte de prestige entre les deux protagonistes, mobilisant des centaines de milliers de travailleurs, savants, ingénieurs, ouvriers, etc... La fin de la Guerre froide au début des années 70 donna lieu à des gestes spectaculaires. En 1975, une capsule américaine s'arrimait à un vaisseau spatial Soyouz, signe d'un partage du savoir-faire technologique entre les deux États. La poignée de main entre les deux chefs de mission fit le tour du monde.La course à l'espace fut comme un remake de la fable de La Fontaine, Le lièvre et la tortue. Tout d'abord largement distancés par l'URSS (les Russes envoient la chienne Leika dans l'espace en sachant pertinemment qu'ils ne sauraient pas la récupérer, Gagarine en 1961), les Américains sont embarqués dans l'aventure par le Président Kennedy qui assigne à la NASA un but : alunir avant la fin de la décennie. Le 20 février 1962, la NASA envoie John Glenn dans l'espace.Alors que le programme soviétique s'est basé sur plusieurs déclinaisons du vaisseau Vostok (lancé par la fusée Soyouz, la plus fréquemment utilisée, toutes nations confondues), les Américains ont fait se succéder trois programmes : Mercury (auquel fait écho la rocambolesque récupération de la capsule Mercury du Capitaine Dayton par Buck Danny et ses ailiers dans Opération Mercury), Gemini et enfin Apollo, le programme vainqueur de la Lune dont les capsules étaient lancées par la fusée Saturne V.Le programme Gemini représenta un tournant dans la course à l'espace. Avec lui, les Américains apprirent à maîtriser la technique des changements d'orbite, des rendez-vous spatiaux entre deux capsules (le premier eut lieu entre Gemini 6 et Gemini 7), les sorties dans l'espace (Ed White sort trois semaines après Alexeï Leonov), autant de préalables à l'objectif ultime.Le 9 juillet 1967, le plus imposant lanceur jamais utilisé, la fusée Saturne V, aux dimensions impressionnantes (110 mètres de hauteur ; 2.900 tonnes de poids ; 3,5 millions de litres d'ergol dans ses réservoirs ; consommation par seconde d'un mélange de 15 tonnes d'O2 et de kérosène) envoie Apollo 4 à près de 18.000 km de la Terre. La mission est un succès total. A la Noël 1968, Frank Borman, Bill Anders et Jim Lovell tournent autour de la Lune. Le 16 juillet 1969, la mission historique Apollo 11 s'envole vers notre satellite.Si la raison première des vols spatiaux habités était d'ordre géostratégique, à titre secondaire ces derniers offraient également un environnement propice à l'observation de phénomènes dans des conditions radicalement autres que celles offertes par la Terre. Tous les domaines scientifiques furent (et sont toujours) concernés. Dans le domaine des sciences du vivant (médecine comprise), l'apesanteur, le vide et les températures extrêmes (dans le cas des sorties hors du vaisseau), les radiations, les conditions de confinement et d'isolement des équipages lors des vols de longue durée constituent en effet des caractéristiques originales pour un observateur. Les vaisseaux spatiaux sont ainsi devenus de véritables laboratoires emportant du matériel scientifique de pointe au sein desquels les équipages sont à la fois les observateurs et les cobayes.Les différents types de stations spatiales, une spécialité russe, (pages 108-111) tout d'abord, l'ISS (International Space Station) sont le lieu de mesures physiologiques intensives : stimulateurs sensoriels, endoscopes, ECG, EEG, échographes, prélèvements de selles, d'urine, de sang, de salive,... occupent les équipages confinés pendant des mois dans ces laboratoires d'un type nouveau. Les astronautes vont jusqu'à accepter des examens pénibles, comme des biopsies musculaires, voire la mise en place d'un cathéter cardiaque ou d'un tube oesophagien.Cette aventure hors du commun est donc également une gigantesque entreprise techno-scientifique. Dans le seul domaine médical, ses retombées sont triples. Tout d'abord, la compréhension des performances et de la physiologie en état d'apesanteur est sortie des limbes. Cet aspect est d'autant plus fondamental qu'il permet la construction de vaisseaux spatiaux de mieux en mieux adaptés, ce que les longues durées de vol orbitaire et surtout la préparation de la conquête de Mars rendent indispensable. Ensuite, les vols spatiaux ont permis de mieux comprendre des mécanismes physiopathologiques fondamentaux dans les cas notamment de l'ostéoporose, de la déficience immunitaire ou encore des troubles de l'équilibre. Enfin, le développement de matériaux spéciaux impacta la composition des prothèses en chirurgie et la lyophilisation des aliments a impacté l'industrie alimentaire.Soulignons les qualités littéraires et pédagogiques de cet ouvrage. D'une grande clarté d'écriture et magistralement illustré, il est d'autant plus solide que ses deux auteurs, Jean-François Clervoy et Frank Lehot ont été impliqués dans l'aventure spatiale le premier en tant qu'astronaute, le second en tant que médecin et instructeur des vols en apesanteur.Le plus grand exploit techno scientifique de tous les temps a donc pris naissance dans les camps de la mort et a été géré, du moins partiellement, par d'anciens scientifiques nazis. Que des milliers de familles russes ou américaines aient pu vivre de ce projet grandiose mais dont les racines plongent dans les pires camps concentrationnaires jamais imaginés appartient à la tragique réalité de l'histoire. " C'est l'épopée humaine âpre, immense, - écroulée ", écrivait Victor Hugo dans La légende des siècles (La vision d'où sortit ce livre).Avec un recul de plus de 60 ans, les retombées de la conquête spatiale sont de trois ordres. Tout d'abord, cette entreprise techno-scientifique hors du commun a mobilisé pendant des décennies des milliers de sous-traitants et des centaines de milliers de travailleurs, toutes spécialités et tous niveaux confondus. Chaque puissance spatiale a dû favoriser l'émergence d'un maillage complexe d'entreprises orientées vers cette épopée, qui impacta considérablement l'économie moderne.Ensuite, la multitude des défis techniques et médicaux à résoudre a été un puissant stimulant pour la recherche tant fondamentale qu'appliquée dans tous les domaines, la médecine notamment.Enfin, si la conquête spatiale fut le théâtre d'une âpre rivalité entre les USA et l'URSS, la Chine intervenant depuis peu en tant que puissance spatiale, elle devint à la fin de la Guerre froide l'objet d'une collaboration internationale dont la mise en orbite de l'IST est emblématique.