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Carl Vanwelde a publié durant des années des Visites buissonnières dans notre journal. "Mon ami Maurice Einhorn, qui en était rédac-chef, souhaitait apporter une note poétique et positive au journal dont certaines pages donnaient de la profession une image tristounette", rappelle l'auteur de plusieurs centaines de courts récits, tantôt drôles, tantôt émouvants, toujours habités d'une réflexion sur le sens de la vie. Ces tranches d'humanité ont été regroupées par les éditions Weyrich dans des Carnets buissonniers illustrés par Michèle Corbisier. "Tous ces textes sont traversés par la même petite musique modeste et entêtante, ici en mineur, là en majeur. Ce n'est pas une symphonie, rien de grandiose ici, mais de courtes sonates, variations douces - avec une pointe d'amertume parfois, une pincée de sel - sur la brièveté et la fugacité des choses de la vie. L'humain n'en sort ni grand ni fort, mais fragile et attendrissant", commente l'écrivain et poète Francis Dannemark. Dans la préface de ce recueil, la généraliste et auteure Cécile Bolly tente de percer le mystère des Carnets buissonniers. "Il doit bien y avoir un secret? Sans doute... à moins que ce ne soit une évidence, tout simplement... En fidèle disciple de Paracelse, Carl sait que toute médecine est amour. Il aime ses patients, et c'est ce qui lui permet d'exercer la médecine avec toute sa personne. Cela peut paraître incongru de parler d'amour au moment où l'exercice de la médecine est tenté de se soumettre à des preuves, des procédures, des certifications de toutes sortes. C'est bien pour cela que Carl n'a pas perdu son temps en rassemblant tous ces portraits de patients et que vous ne perdrez pas le vôtre en les découvrant." Les nombreux lecteurs qui savourent depuis des années la chronique Tombé de la trousse, publiée chaque semaine dans le jdM, le savent bien: la lecture d'un billet de Carl Vanwelde ne laisse jamais indifférent. Nous vous proposons ici une sélection de quelques extraits choisis pour vous plonger dans l'univers attachant d'un médecin généraliste, auteur et professeur de médecine générale. "Gérard est livide au fond d'une chambre que je découvre dans la pénombre. Les veines qu'il s'est maladroitement tailladées ne saignent déjà plus à mon arrivée, zébrant les avant-bras maigres de balafres éloquentes. Il a la courtoisie de me prévenir: "Gaffe au sang, j'ai le virus." Un plateau de médicaments sur la table de nuit m'éclaire sur le stade de l'affection, si le visage émacié ne l'avait déjà fait. (...)""Soudain, Ourson pleure, avec de grosses larmes bruyantes entrecoupées de reniflements, par vagues successives de plus en plus sauvages. Le pied croisé tremble et il tente de le maintenir de la main, sort un mouchoir souillé avec lequel il s'éponge le visage. J'apprends par bribes l'envers d'une vie habitée par l'alcool, l'argent vite gagné et deux fois dépensé, les dettes, les huissiers, l'épouse qui a pris le large, les gosses dont il n'a plus de nouvelles depuis six mois. Il demande de l'aide, mais j'en distingue mal les contours: certains paysages recèlent tant de reliefs qu'on n'aperçoit jamais le fond de la vallée. (...) ""Pendant quinze ans, j'ai quitté Mady les narines en fête. Je me souviens comme si c'était hier de l'éblouissement provoqué par les effluves entêtants de 'Poison' découvert en avant-première, de la subtile flagrance de 'Knowing' ou du bouquet capiteux de 'Dune'. Les plus luxueuses eaux de toilette de Dior, Lancôme et Gucchi apportaient au modeste appartement social une touche voluptueuse dont mes sens se souviennent encore avec émotion cinq ans après sa mort. C'était son seul caprice, petit clin d'oeil à une existence miséreuse nourrie de soupe populaire et lavée au savon de Marseille. (...)""Elle est aussi blonde qu'il est gris. Il raconte sa pauvre vie, sa toux, la mort de son chien, les maux de dos et ses insomnies. Il a le front ridé, les yeux cernés et sécrète l'inquiétude. Elle sera médecin dans une semaine. Il joue le rôle de patient simulé dans une épreuve finale. Ces deux-là se font face, se toisent, l'ancien et la nouvelle, l'espoir de guérir et celui d'être guéri. Il admire ses gestes précis, la douceur de son timbre de voix, sa qualité d'écoute, la limpidité de son visage encore imprégné d'enfance. Elle le remercie pour sa patience à reprendre trente fois les mêmes plaintes, les mêmes soupirs, les mêmes spasmes. Elle le touche, lui prend la main, tend l'oreille vers une bouche dont ne sort qu'un souffle de voix. Tout ceci est simulé certes, mais d'une importance inouïe. Dans une semaine, deux tout au plus, la même fille blonde sera au chevet d'un patient aussi gris, aussi court d'haleine que celui de ce jour. Ce sera "son" premier patient pour de vrai et elle n'aura plus droit à l'erreur. (...)"