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M ars 2020, l'heure du confinement a sonné, les cabinets de médecine générale sont priés de fermer leur porte! Qui l'aurait cru? Certainement pas les jeunes diplômés depuis peu, encore en plein apprentissage du métier tant convoité de médecin. "Ne pas ausculter mais continuer de traiter". Vraiment? Lendemain du confinement: Après avoir arpenté des rues désertes, arrivée au travail avec la sensation de vivre un moment historique, pas le temps de s'attarder le cabinet passe en mode "call center": "Bonjour, je vous appelle car je tousse"... Très vite, on se rend compte de la situation alarmante que nous sommes en train de vivre. Les appels s'enchaînent et se ressemblent... Oui mais, une toux est un symptôme pas un diagnostic. Comment faire la différence, qui n'est déjà parfois pas évidente en présentiel, entre une toux infectieuse et une embolie pulmonaire? Les plus âgés nous diront: si tu as un doute, tu envoies aux urgences! Oui mais non, les urgences sont dépassées par les cas Covid qui décompensent. Comment se permettre de leur envoyer une crise d'angoisse parce que l'anamnèse du patient au téléphone nous a fait paniquer? Appel suivant: une dame en MRS qui "désature", le personnel ne veut pas l'envoyer aux urgences de peur qu'elle revienne contaminée. OK, il est temps d'aller fouiller la cave à la recherche de FFP2 datant de la grippe H1N1. Ça périme ça? Bon peu importe, c'est toujours mieux que rien! La dame est en insuffisance respiratoire. Après un débat ardu avec le personnel et la famille pour qu'on puisse appeler les ambulanciers, ceux-ci arrivent tels des cosmonautes et embarquent la patiente sous les applaudissement des voisins aux fenêtres. Là, c'est la sensation d'être un imposteur qui prédomine: pas de test, pas de matériel, pas de diagnostic précis, pas de prise en charge correcte,... personne ne nous a préparés à soigner comme cela. Avancer les yeux bandés, ce n'est pas faire de la médecine. Plus le temps avance, plus on décide de se déplacer ou de faire venir le patient en cas de doute. La responsabilité qui nous incombe en tant que médecin a très vite pris le pas sur les décisions prises plus haut. Un médecin ça ausculte et ça pose un diagnostic avant de traiter. Quelques mois plus tard: les consultations ont repris depuis un bon bout de temps mais ce n'est toujours pas l'afflux que l'on a connu du temps des consultations libres. Une dame arrive avec un diabète complètement déséquilibré. "Bah oui docteur c'était Covid et moi je suis à risque, je ne pouvais pas venir me faire contaminer chez vous!". Zut! C'est là qu'on se rend compte que tout ce qu'on a vu en plus de six mois, ce sont des infections respiratoires hautes entrecoupées de quelques lombalgies! Conséquence: dans la prise en charge un peu plus complexe d'un diabète polymédicamenté, on ne sait plus comment faire! Il faut ressortir les livres et faire appel aux plus expérimentés. Après un an de médecine générale, ça ne devrait pas être le cas! C'est là qu'on se rend compte qu'on a accumulé un retard de six mois voire plus et qu'on ne le récupérera pas car les patients vulnérables tardent encore à consulter et nous sommes passés sur rendez-vous. Ce qui signifie que les cas plus complexes se retrouvent beaucoup moins qu'avant chez les médecins plus jeunes. La médecine générale est riche justement parce qu'elle traite toutes les pathologies. Voir disparaître complètement certaines pathologies est fatalement pénalisant pour les jeunes médecins. Que dire de nos collègues hospitaliers qui ont vu leurs consultations totalement annulées pendant quelques mois? Des chirurgiens qui ont dû "se reposer" une semaine sur trois car toutes les opérations non programmées ont été reportées? De ceux qui ont passé trois mois à réaliser des frottis covid... Peut-on sincèrement dire que cela a été une chance pour leur formation? De plus, la supervision est essentielle à l'apprentissage. Déjà que le manque à ce niveau-là ne date pas d'hier... La crise a clairement eu bon dos dans le non-respect des horaires et le manque d'accompagnement des jeunes médecins. Se retrouver en pleine garde à devoir gérer des situations médicalement et humainement très compliquées sans supervision "parce que c'est la crise" nous a non seulement marqués mais certaines erreurs ne s'effacent pas. Beaucoup ont remis en question leur motivation à continuer ce métier. Beaucoup de cours et de séminaires ont été annulés, ils sont actuellement donnés à distance. Le problème c'est qu'il manque la discussion avec d'autres collègues notamment les plus âgés, qui permettent parfois de résoudre des cas et de se créer un réseau essentiel à notre métier. Alors bien sûr, tout le monde a été ravi de pouvoir prêter main forte en pleine crise. La question ne se posait même pas parce que c'est la raison pour laquelle nous avons "choisi médecine". Il était hors de question de ne pas participer à l'effort collectif! Mais pour beaucoup de jeunes médecins, cette crise a été vécue comme une pause péjorative pour leur formation initiale. En conclusion, il est vrai que ce virus nous a endurcis et nous a finalement quand même beaucoup appris. Mais la vraie chance aurait été d'être correctement entourés pour gérer les cas complexes autrement que par essais et erreurs.