Les premiers résultats d'un essai de provocation humain portant sur le Sars-CoV-2 viennent d'être diffusés en prépublication. L'objectif des auteurs était principalement de démontrer la faisabilité et la sécurité du recours à cette méthode de recherche avec le coronavirus pandémique... mais leurs travaux n'en ont pas moins déjà livré quelques conclusions extrêmement intéressantes.
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Un essai de provocation humain - human challenge trial dans la langue de Shakespeare - consiste à exposer des volontaires sains à un pathogène dans des conditions expérimentales. Le concept est utilisé depuis plusieurs décennies déjà dans l'étude notamment de l'influenza, de la malaria et de bien d'autres maladies infectieuses... mais l'idée de l'appliquer à un virus comme le Sars-CoV-2, jusqu'il y a peu inconnu de notre système immunitaire, a tout de même suscité initialement quelques réticences. Les possibles bénéfices d'une étude de ce type sont toutefois considérables. Lorsqu'un patient se présente avec une infection virale dans un contexte normal, il manque toujours au tableau une phase préalable qu'il faudra s'efforcer de reconstituer, avec toutes les incertitudes que cela implique. La contamination est-elle vraiment intervenue au moment supposé? Quel était le statut immunitaire du patient à ce point dans le temps? Dans le cadre d'un essai de provocation, il est possible de suivre l'évolution de l'infection dans des circonstances parfaitement claires, mais aussi de prélever des échantillons de sang ou de tissus en ayant la certitude de savoir exactement dans quel contexte les modifications observées se sont produites. L'étude britannique en question a recruté 34 volontaires sains âgés de 18 à 29 ans (1), séronégatifs pour le Sars-CoV-2, sans antécédents d'infection Covid-19 et non vaccinés. Tous les participants ont reçu des gouttes nasales contenant une dose de Sars-CoV-2 dix fois plus faible que ce qu'avait recommandé au printemps 2021 un groupe de travail de l'Organisation Mondiale pour la Santé. L'inoculum contenait la souche originale. 18 des 34 participants (53%) ont été contaminés. C'est un premier constat très intéressant: même lorsque le virus est introduit directement dans le nez, il n'arrive à pénétrer dans l'organisme que dans la moitié des cas environ - du moins lorsque cette souche bien précise est administrée à cette dose chez des individus jeunes et en bonne santé. La charge virale des 18 sujets infectés a rapidement augmenté. Le virus était détectable au niveau de la gorge après moins de deux jours et un peu plus tard dans le nez, où la charge virale cumulative semblait toutefois beaucoup plus élevée. Les auteurs soulignent qu'il est donc important que le masque couvre aussi correctement l'appendice nasal. 16 des 18 contaminés (89%) étaient symptomatiques. Les plaintes - légères à modérées dans tous les cas - étaient principalement celles que l'on retrouve classiquement dans les infections des voies respiratoires supérieures, éventuellement accompagnées de fièvre et/ou de maux de tête. Aucun patient n'a développé d'atteinte pulmonaire identifiable à l'examen clinique ou radiologique, ce qui démontre d'après les auteurs qu'un essai de provocation humain avec le Sars-CoV-2 peut être réalisé en toute sécurité chez des sujets jeunes et qu'il ne serait donc pas irresponsable d'élargir ces recherches. Précisons néanmoins que 12 des 18 patients infectés ont présenté des troubles de l'odorat de gravité variable (pouvant aller jusqu'à l'anosmie), qui avaient généralement disparu dans un délai de 90 jours mais étaient encore présents après six mois dans une minorité de cas. Les plaintes respiratoires se manifestaient de deux à quatre jours après inoculation, avec un pic après environ cinq jours. Le délai de cinq jours initialement avancé comme période d'incubation est donc en réalité le temps qui s'écoule entre la contamination et le pic d'intensité des plaintes. Les auteurs mettent ce constat en relation avec les nombreux cas rapportés de personnes ayant transmis le Sars-CoV-2 à d'autres avant de remarquer leurs propres symptômes. Contrairement à ce qui se passe dans le contexte d'une étude de provocation où les patients sont étroitement surveillés, dans la vie de tous les jours, les premiers signes d'une infection débutante peuvent en effet facilement passer inaperçus et l'intéressé(e) n'est donc pas nécessairement conscient de ses propres symptômes au moment où il ou elle contamine quelqu'un d'autre. Certains participants excrétaient encore des virus vivants 12 jours après inoculation, soit en moyenne dix jours après l'apparition des symptômes. Les auteurs en concluent que les personnes contaminées devraient idéalement s'isoler durant dix jours après la survenue des plaintes. Un dernier point important est que l'étude a relevé une charge virale élevée chez tous les patients infectés, indépendamment de la présence et de la gravité des symptômes. Ce constat contredit donc la position formulée dans le passé que les personnes peu ou pas symptomatiques représenteraient un danger limité en tant que source de contamination. Au cours d'une seconde phase, les auteurs s'attacheront à examiner des marqueurs immunologiques pour tenter d'expliquer pourquoi certains sujets inoculés ont été contaminés et pas d'autres. Entre-temps, des essais de provocation ont également été débutés chez des personnes vaccinées ou précédemment infectées avec des doses croissantes d'inoculum et/ou avec d'autres variants. L'objectif est de créer ainsi une plateforme pour permettre une évaluation rapide des vaccins, antiviraux et outils diagnostiques.