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Le journal du Médecin: D'où vous est venue l'idée de ce documentaire? Alexe Poukine: Il y a plusieurs années, enceinte de trois mois, je me suis mise à perdre du sang. À l'hôpital, un médecin a procédé à une échographie. Au bout de quelques minutes, les yeux rivés sur son écran, il a lancé: "Soit j'ai de la merde dans les yeux, soit il est mort." Cette phrase m'a comme pulvérisée. Pourtant, je n'ai rien dit. Longtemps, je me suis raconté que mon silence était dû à la peur qu'en le brusquant, la suite de ma prise en charge ne soit que plus pénible. Si je me sentais en effet à sa merci, la vérité est aussi que je me suis volontairement soumise car dans les représentations que j'avais à l'époque, le médecin était une figure d'autorité à qui on ne s'opposait pas. En 2019, à la suite d'une projection de mon documentaire "Sans frapper", une médecin est venue me parler du lien qu'elle voyait entre le dispositif de mon documentaire et la pratique de la simulation humaine: je me suis dès lors rendue dans plusieurs centres de simulations médicales en Belgique, en France et en Suisse. Vous souhaitiez également évoquer la réalité quotidienne du personnel de santé? L'inverse m'aurait paru inconcevable. Pour rendre partageable leur expérience, j'ai cherché une pratique où - comme dans les simulations - le "faux" révèle le "vrai", et parfois même le transforme. J'ai découvert une troupe de théâtre forum composée de soignants qui, pendant leur temps libre, viennent rejouer des situations problématiques, voire traumatisantes, vécues à l'hôpital. Comme pour la simulation, il s'agit avec cette pratique de trouver les bons mots et les bons gestes pour se préparer au mieux à la 'vraie vie'. Cette approche semble de plus en plus utilisée pour leur fournir les outils nécessaires pour communiquer et exercer leur profession avec bienveillance... En effet. Mais en écoutant des praticiens expérimentés s'exprimer sur leur travail, j'ai progressivement vu émerger certaines ambiguïtés. Beaucoup de soignants dénonçaient l'impossibilité, par manque de temps et de moyens matériels et humains, de mettre en pratique les valeurs humanistes enseignées en simulation. J'en suis venue à me demander si en cherchant à modifier les comportements individuels plutôt qu'à questionner la responsabilité de l'institution, on ne contribuait pas à culpabiliser des personnes déjà sous pression? Au cours du processus qui m'a amenée à élaborer ce documentaire, j'ai souvent repensé au comportement du gynécologue qui m'a reçue lors de ma fausse couche: était-ce la manifestation d'une absence crasse d'éducation émotionnelle, d'une misogynie "ordinaire" ou le point d'issue d'une longue chaîne de violences débutant avec la logique économique du néomanagement hospitalier? Peut-être tout cela à la fois...