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En mars dernier, l'équipe du Pr Olivier Luminet (psychologie de la santé, UCLouvain) a lancé une enquête en ligne pour étudier les réactions émotionnelles et les comportements mis en place par la population pour faire face à la pandémie du coronavirus. Elle a révélé un niveau moyen de peur et d'anxiété. " Un petit peu moins élevé qu'attendu, ce qu'on explique par une grande mobilisation du public, les mesures étaient drastiques mais claires : restez chez vous ! Cela a sans doute permis de contrôler un certain niveau d'anxiété ", a-t-il précisé lors d'un webinaire organisé par la Fondation Louvain. " Dans la première phase, on n'avait pas tellement le choix, il fallait mettre le plus rapidement possible les gens à l'abri face à l'explosion de la pandémie. Maintenant, on sait qu'on va devoir tenir sur le long terme, on ne peut plus rester dans une dynamique paternaliste où les autorités disent ce qu'il faut faire. La population doit sentir ses responsabilités sans qu'on doive nécessairement lui donner le chemin à suivre. " Actuellement, on assiste à une perte d'adhésion des consignes, notamment de la part des jeunes. " Ce qui est compliqué ", explique le psychologue , " ce sont les messages contradictoires et inattendus. Il y a eu un relâchement fin juin quand les autorités nous ont rendu quelques libertés, et puis, brusquement, fin juillet, un retour en arrière. Ce phénomène avant/arrière crée des réactions émotionnelles fortes qui peuvent expliquer qu'il y ait de la peur chez certains et de la colère chez d'autres. Ce caractère imprévisible a entraîné une chute dramatique du niveau de motivation que l'on doit maintenant essayer de récupérer. C'est un défi pour les mois qui viennent. " Le sentiment de peur permet de faciliter un certain nombre de comportements protecteurs comme l'hygiène des mains, mais on ne peut pas maintenir la population dans un état de peur permanente : " La difficulté actuelle est de montrer aux gens les risques qu'il peut y avoir s'ils n'appliquent pas certaines règles, tout en leur donnant un niveau de confiance et de contrôle sur ce qu'il va se passer. Il faut donc jouer sur un équilibre de la peur : s'il n'y en a plus, les gens ne pensent plus à la pandémie et s'il y en a trop, ils peuvent évoluer vers un état dépressif. "Autre élément observé en ce moment : une charge mentale trop lourde. " Les gens sont fatigués parce qu'ils ont été anxieux, parce qu'ils ont dû gérer leur travail et leurs enfants à la maison...Cette fatigue fait qu'ils comprennent encore moins les règles. Il faut en tenir compte : pour le moment, n'importe quelle information nouvelle est plus difficile à ingérer qu'au début. Il faut simplifier les messages, c'est capital. On ne peut pas assumer tous ces changements qui concernent la bulle, le masque, la quarantaine... ", constate-t-il. De plus, les réactions de déni sont aggravées par des messages politiques trop moralisateurs. " Les règles répressives doivent être utilisées le moins possible parce qu'elles peuvent générer de la colère qui peut entraîner d'autres comportements encore plus négatifs. Il ne faut pas non plus traiter de fous ceux qui mènent de campagne anti-masque, parce que cela reflète un malaise qui doit être pris en compte. " Dans les premiers temps de la crise sanitaire, les avis des psychologues ont été peu pris en compte pour la prévention et l'aide aux changements de comportements. Depuis mai, un groupe d'experts " Psychologie & Corona " émet des recommandations dont l'ambition est d'aider à faire face aux défis sociétaux posés par la pandémie. " Progressivement, on a l'impression d'être plus entendu ", admet Olivier Luminet. " La clarification des messages est un élément central, c'est pourquoi on plaide pour un baromètre reprenant des indicateurs globaux et un code couleur indiquant clairement la situation à partir d'indices prioritaires (notamment le taux d'hospitalisation). De nouveau, c'est une manière de responsabiliser les gens et de les aider à rester motivés sur le long terme, d'anticiper les décisions. L'utilisation des chiffres crée parfois des effets d'angoisse inutiles ". Pour le spécialiste, il est important de montrer des simulations sur l'évolution de la situation en fonction des mesures prises : " On l'a peu fait jusqu'à présent mais il est clair que s'il n'y avait pas eu de confinement, la situation épidémiologique serait dramatique. À terme, je pense qu'il sera aussi important de cibler certains groupes (par exemple, les jeunes via les universités) et de hiérarchiser les mesures." Ainsi, le rapport de synthèse du groupe suggère le classement suivant : 1. garder une distance interpersonnelle ; 2. limiter le nombre de contacts proches ; 3. porter un masque lorsque la distance ne peut être maintenue suffisamment ; et 4. veiller à l'hygiène des mains, de la toux, des éternuements. La compréhension des messages par la population est donc au coeur de cette problématique, certains se réfèrent au monde politique, d'autres aux experts ou encore aux leaders d'opinion. " Mobiliser ces derniers est essentiel parce qu'ils peuvent faire passer un message plus facilement. Les jeunes écoutent peu les autorités. Il faut faire des efforts de communication pour être compris et éviter des situations telles que le coup de gueule de Nicolas Bedos (qui a encouragé à ne pas respecter les règles sanitaires imposées, ndlr). Comme psychologue, nous ne disons pas que son message est suicidaire, cela reflète aussi un état de l'opinion publique et on doit en tenir compte parce que maintenant, il y a des gens qui développent vraiment un sentiment de colère par rapport à la situation et il faut essayer de la canaliser ", conclut Olivier Luminet.