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La constatation est sans appel: 12% des Belges prennent des benzodiazépines et substances apparentées (Z-drugs). La durée recommandée d'un tel traitement est de deux à quatre semaines or, un utilisateur sur trois qui commence à en consommer en prend encore huit ans plus tard. Mélissa Ceuterick et Piet Bracke, du département de sociologie de l'Université de Gand, ont donc décidé de lancer un projet de recherche sur l'utilisation des benzodiazépines/Z-drugs. Récemment, ils ont dévoilé les résultats de leur étude Benzonet qui avait pour objectif de mieux comprendre le vécu des utilisateurs à long terme de somnifères et sédatifs. Ils ont notamment montré que les campagnes et mesures de prévention existantes ne touchent pas suffisamment ce groupe cible et que la honte que ces consommateurs éprouvent complique leur recherche d'une aide appropriée. Jusqu'à présent leurs travaux se sont limités à la partie flamande du pays. Pour donner un tour plus national à leur travail, ils ont contacté le Dr Jean-Luc Belche et Béatrice Scholtès du département de Médecine générale de l'Université de Liège. C'est ainsi que ces deux équipes lancent cet été le projet Benzocare (Persons with a Benzodiazepine/Z-drugs use disorder in mental health Care), financé par Belspo. Cette étude entend combler un manque, expliquent ses auteurs: " Jusqu'à présent, en Belgique, la plupart des recherches se sont concentrées sur la dépendance à de faibles doses et sur l'arrêt progressif du traitement, réalisé dans le cadre des soins primaires ou avec l'aide des pharmaciens d'officine. Cependant, les données internationales montrent que de nombreuses personnes dépendantes de fortes doses ne sont pas en mesure de parvenir à une abstinence à long terme par le biais de ces stratégies d'arrêt. Pour ceux-ci, des soins intégrés complets semblent plus efficaces. On ne sait toujours pas combien de personnes souffrant d'une dépendance ou d'une comorbidité liée aux benzodiazépines et/ou apparentés (Z-drugs) et nécessitant un traitement, sont bien orientées dans les services de santé mentale, ni combien d'entre elles reçoivent un traitement efficace." Les chercheurs désirent analyser l'effet de la récente désinstitutionnalisation du secteur des soins de santé mentale et du passage d'une prise en charge en milieu hospitalier à un soutien communautaire et de proximité visant à garantir la continuité des soins et de l'intégration des soins d'assuétudes dans les soins de santé mentale depuis 2019. " Pour l'instant, il y a un fossé entre la perception des professionnels de la santé mentale et des soins aux personnes dépendantes aux benzodiazépines/Z-drugs et le vécu de ces dernières. Le premier volet de notre projet d'étude va se pencher sur la perspective des professionnels du secteur", précise Pauline Van Ngoc (ULiège), psychologue au département de Médecine générale de l'ULiège. " On recrute des professionnels de la santé (psychiatres, psychologues, médecins généralistes, travailleurs sociaux et infirmiers) qui travaillent dans des établissements ambulatoires ou résidentiels avec des personnes présentant ce type de consommation problématique pour discuter de leurs expériences en matière de traitement de ces patients (selon un guide thématique d'entretiens approfondis co-construit entre l'ULiège et l'Université de Gand). Ces entretiens dureront environ deux heures. Notre échantillon est assez petit (huit en Wallonie et huit en Flandre), avec un maximum de profils variés: pratique en région rurale, urbaine... Je compte commencer les entretiens à la fin du mois d'août et les poursuivre en septembre, octobre", ajoute-t-elle. Dans le comité d'accompagnement, on retrouve entre autres le SPF Santé publique, la Fedito bruxelloise et wallonne, Eurotox, BelPEP (Belgian Psychotropics Experts Platform), l'APB, l'UCLouvain, le Réseau Alto etc. Après cette partie concernant la perspective des professionnels du secteur, les chercheurs feront une autre étude consacrée à la celle des personnes qui ont consommé des benzodiazépines et qui n'en consomment plus actuellement (cinq en Wallonie et cinq en Flandre). " Notre but est de comparer les deux perspectives en termes de besoins, de barrières, de facilitateurs ou facteurs favorables. Ensuite, on souhaite établir des recommandations politiques. La méthode Delphi nous permettra d'avoir l'avis de différents experts sur le sujet afin de traduire les résultats en recommandations pour fournir des soins appropriés à ce groupe de patients." Le projet Benzocare a commencé le 15 mars 2021 pour une durée de trois ans. " A la fin, nous aimerions présenter nos résultats dans des revues à destination des professionnels des deux régions, créer des podcasts sur chacune des perspectives et participer à des événements sur ce sujet", explique Pauline Van Ngoc. Rendez-vous est pris en 2024 pour découvrir les conclusions de ce travail...