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Devant nos yeux, l'avant-bras du docteur Jean-Florin Ciornohac s'est transformé en bras de robocop, métallique à facettes, et se superpose à l'image de son vrai membre en train d'opérer une épaule. Le chirurgien du CHC de Liège n'a pas encore "ouvert", mais une autre image se superpose à l'image de la caméra, celle d'une reconstitution en trois dimensions de la structure interne du corps du patient, avec toutes ses caractéristiques uniques, découvertes grâce à l'acquisition préalable d'images numériques. "On sait que traditionnellement, on dit 'grande incision, grand chirurgien'. Mais les grandes cicatrices sont plus longues à se refermer, les maladies nosocomiales moins nombreuses sur des ouvertures plus réduites, les patients plus rapidement mobilisés si l'agression chirurgicale est limitée au strict nécessaire."Soudain, deux autres voix interviennent dans la salle d'op de Liège. Le professeur Thomas Grégory et le docteur Aleksandr Strafun, sont pourtant restés dans leur institution respective en France et en Ukraine. Mais, équipés d'un casque 3-D comme leur confrère, ils distinguent en temps réel tous les détails de l'opération, une arthroplastie, soit le remplacement prothétique de l'articulation de l'épaule. Et peuvent prodiguer conseils... ou prendre une leçon. "En fait, les deux utilisations d'apprentissage sont les principales applications au-delà de l'essentiel, le fait de mieux appréhender l'organisme que nous opérons avant même de le faire", explique Jean-Florin Ciornohac. "D'ordinaire, le chirurgien est seul dans la salle d'op. Il est certes assisté de plusieurs professionnels, mais il tient seul le scalpel. Ici, je peux bénéficier de l'expérience de deux confrères de haut niveau sans leur prendre trop de temps. Dans le passé, ils auraient dû prendre l'avion, faire des centaines de kilomètres, loger sur place après les heures de salle d'op, encourir la fatigue. Ici, les nouvelles technologies nous permettent de hausser le niveau d'expertise sans ces inconvénients. De plus, la période Covid a encore augmenté l'intérêt d'une telle technologie, puisque ces déplacements sont interdits afin de ne pas propager le virus."Au coeur de l'opération, le chirurgien remarque un autre progrès. "Pour les assistants, il n'est pas toujours aisé de savoir ce que fait le chirurgien, vers quoi il se dirige, quel sera son prochain geste. Avec cette image 3-D, ils disposent de davantage d'information sur la suite, ils peuvent donc se préparer en conséquence, anticiper le déroulé de l'opération. Cela donne un côté plus fluide aux gestes, améliore la standardisation de l'opération et son efficacité. Sans temps morts, sans délai inutile. Même si notre métier reste un art, notre objectif est de standardiser au maximum les gestes à poser pour une opération donnée, de l'ouverture à la fermeture."Pour Jean-Florin Ciornohac, l'interaction permise par le logiciel de recréation d'image sur lunettes 3-D est essentiellement éducationnelle. "Tout le monde peut voir avec les yeux du chirurgien. C'est comme pour apprendre à conduire. A un certain moment, vous devez vous asseoir sur le siège du conducteur, vous ne pouvez plus rester sur celui du passager. Certes, les chirurgiens peuvent s'exercer sur des cadavres, mais il reste une partie qu'on ne peut apprendre qu'en vrai. Suivre une telle opération avec les yeux du chirurgien permet donc de faire des progrès considérables. Et de faire des opérations fictives avant que l'on puisse donner la main à l'apprenti. Au niveau du ressenti, vous pouvez prendre en main n'importe quel os de votre patient virtuel en hologramme, le tourner, l'observer sous toutes les coutures, voir où passent les petits vaisseaux. Vous savez donc très précisément, ensuite, où mettre le scalpel ou votre vis. Vous savez comment se présente l'omoplate et la cage thoracique."Cette opération s'est réalisée le 10 février: 13 chirurgiens venus de différents pays ont réalisé 13 opérations orthopédiques en réalité mixte, au cours d'un événement de 24 h. L'opération a fait le tour de plusieurs pays, dont la France, l'Inde, les Émirats arabes unis, l'Afrique du Sud, l'Ukraine, l'Allemagne, la Belgique, le Maroc, le Brésil, la Bolivie, le Mexique, les États-Unis et le Royaume-Uni. Les chirurgiens ont pu collaborer en mode virtuel grâce au HoloLens 2 de Microsoft, sous la conduite du Pr Thomas Grégory, de l'hôpital AP-HP Avicenne. C'est en décembre 2017 que le professeur Grégory a mené à bien la toute première opération en réalité mixte. Le but est de montrer à quel point la technologie de la réalité mixte est à même de transformer les soins de santé. Le HoloLens est un casque de réalité mixte holographique sans fil, qui permet de se connecter avec des applications et des solutions qui gèrent ou améliorent la collaboration, l'innovation et la productivité. Dans le cadre de l'événement, le Pr Pascal Verdonck, vice- Président de l'Association belge des directeurs d'hôpitaux et CEO de MedTech Flanders CEO de Med Tech Flanders, a évoqué les défis que rencontrent les hôpitaux dans la mise en place durable de nouvelles solutions technologiques: "Tout part de la vision d'une approche centrée d'une manière unique sur le patient. En 2010, l'objectif de la politique de soins dans l'UE a été défini comme suit: maximiser la santé de la population dans les limites des moyens disponibles et mettre en place un cadre éthique d'équité et de solidarité. Au sein des technologies dédiées à la santé, le secteur des MedTech est soumis à des règles de qualité et de sécurité européennes draconiennes. Leur utilisation optimale reste toutefois souvent tributaire de l'expérience du prestataire de soins, de la qualité de l'hôpital et des connaissances de l'utilisateur." "Aujourd'hui, il est difficile pour les nouvelles technologies de trouver leur place dans les systèmes de remboursement. Le budget est calculé en fonction des dépenses des années précédentes. Une nouvelle technologie est toujours perçue comme un surcoût, souvent difficile à évaluer avec précision et qui ne trouve donc pas toujours sa place dans le budget déjà établi. Sachez que dans cette réalité budgétaire, les professionnels de la santé, mais de plus en plus de patients souhaitent également accéder à ces nouvelles technologies et ce aux meilleures conditions financières. Notre plateforme offre l'opportunité, en concertation avec les trois piliers qui la composent, d'évaluer les différents modèles de financement, puis de faire des propositions de financements alternatifs aux décideurs politiques et administratifs. Cela donne aux nouveaux dispositifs médicaux l'opportunité d'entrer dans les soins donnés aux patients belges."