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"L'apparition de la pilule comme moyen contraceptif a indéniablement déclenché une révolution sociale. La sexualité était liée au mariage et à la fécondité. L'Église catholique était absolument opposée à tout ce qui permettrait aux femmes de vivre leur sexualité en toute impunité. Ma mère, qui était pédiatre à une époque où la contraception orale n'existait pas encore, donnait aux femmes qui venaient d'accoucher l'adresse d'une pharmacie à Bruxelles (il n'y en avait qu'une) qui vendait des diaphragmes 'sous le manteau'. C'était la seule forme de contraception disponible pour les femmes. Mais il était interdit d'en parler ", explique la Dr Anne Verougstraete, gynécologue à l'ULB-VUB, spécialisée dans l'avortement et la contraception. À l'occasion du 50e anniversaire de la pilule, le Prof Johannes Bitzer (1) avait décrit comment les chercheurs avaient réussi à comprendre le processus d'ovulation, et comment elle pouvait être bloquée. Cependant, c'est grâce à la coalition de féministes éminentes, ferventes partisanes d'une contraception fiable, et de biologistes, chimistes et cliniciens, qu'une combinaison d'hormones " pouvant réguler le cycle et traiter les troubles menstruels " est devenue réalité. Quelques années plus tard, le 11 mai 1960, la première pilule contraceptive a été lancée, à un dosage plus faible, par Schering AG, aujourd'hui devenu Bayer. " Un Belge était également impliqué, on l'oublie souvent ", poursuit la Dr Verougstraete. Le Dr Ferdinand Peeters, gynécologue à Turnhout, a démontré, à l'aide d'une série de tests cliniques, que la combinaison de 4 mg d'acétate de noréthistérone et de 0,05 mg d'éthinyloestradiol pouvait empêcher une grossesse, avec moins d'effets secondaires. Il a réussi à convaincre Schering de commercialiser cette combinaison. Mais le biologiste américain Gregory Pincus reste malgré tout connu comme " l'inventeur " de la pilule contraceptive. " La contribution des féministes a été décisive. En effet, le débat social était considérable : les femmes allaient-elles donc pouvoir avoir des relations sexuelles en toute liberté, sans risquer de tomber enceintes ? Il existait également des risques médicaux liés aux doses élevées d'hormones contenues dans la pilule, dont le risque de thrombose. Il a fallu un certain temps avant que les patientes à risque soient identifiées. La recherche de doses plus faibles était un coup de pouce dans la bonne direction. " Dans notre pays, ce n'est qu'en 1973 que la loi interdisant l'information et la publicité sur la contraception a été abolie. Auparavant, le Dr Willy Peers avait été relégué au laboratoire pendant plusieurs mois, parce qu'il avait prescrit une contraception à des femmes qui venaient à Kind & Gezin. En 1973, il s'est retrouvé en prison après un avortement pour des raisons sociales. L'affaire n'a jamais été plaidée et il n'a jamais été condamné, mais les remous politiques qu'elle a provoqués ont finalement conduit à la légalisation de la communication d'informations et de la publicité sur la contraception. " Le problème est désormais qu'un certain nombre de femmes ne veulent plus prendre d'hormones, une tendance à la hausse que tout gynécologue observe quotidiennement. Plusieurs journalistes féminines 'tendance' écrivent au sujet de la perte de libido, de l'émoussement émotionnel, de l'infertilité, du cancer et des thromboses, dus aux hormones. Elles trouvent qu'il vaut mieux vivre avec ses hormones naturelles. " Les montagnes russes émotionnelles du cycle en font partie. Ces idées s'inscrivent dans la tendance consistant à vivre sainement en harmonie avec la nature, avec le succès grandissant de l'alimentation biologique et l'opposition contre la viande aux hormones. Sans oublier l'aspect écologique - des urines pleines d'hormones qui se retrouvent dans la nature, entraînant la féminisation des poissons mâles. Tout cela ajoute de l'eau au moulin du débat " antihormones ". " Lorsque j'explique aux femmes les avantages de la pilule contraceptive hormonale, beaucoup n'écoutent pas mes arguments ; certaines attachent plus d'importance aux influenceurs sur les réseaux sociaux ", regrette la Dr Verougstraete . " Mais cela n'a pas de sens de prescrire la pilule aux femmes qui ne veulent pas la prendre ! " Il y a le stérilet au cuivre, dont il existe heureusement maintenant de petits modèles qui conviennent aux jeunes femmes, et le préservatif, qui est visiblement difficile à utiliser lors de chaque rapport. " Entre-temps, il existe également des centaines d'applications qui vous aideraient à ne pas tomber enceinte. Cependant, la plupart d'entre elles donnent des informations erronées, qui débouchent sur une grossesse non désirée. Une application suédoise payante (Natural Cycles) est à peu près aussi fiable que la pilule (7/100 femmes par an tombent enceintes). Au bout de trois mois, l'application indique que vous êtes en sécurité pendant 60 % du cycle. Mais cela signifie aussi que vous ne pouvez pas avoir de rapports sexuels ou que vous devez utiliser des préservatifs pendant un peu moins de la moitié du temps. 'Sensiplan "(2) est une méthode naturelle qui nécessite quelques mois de formation : vous devez suivre votre cycle, mesurer votre température tous les jours, apprendre à évaluer la glaire cervicale pour savoir quand vous devenez fertile. Cela prend beaucoup de temps. Mais pour celles qui sont très motivées et capables d'apprendre la méthode, le résultat est bon ", aurait déclaré la Dr Verougstraete lors du congrès de la Société européenne de Contraception 2020, s'il n'avait pas été annulé. Le stérilet hormonal est mieux accepté, parce qu'il agit en grande partie localement et que l'ovulation est généralement préservée. Depuis le 1er avril 2020, l'INAMI prévoit une intervention supplémentaire pour les jeunes femmes (24 ans et moins) pour un certain nombre de contraceptifs (3). " Nous avons constaté que le nombre d'avortements chez les jeunes a diminué, entre autres grâce à la gratuité de la contraception. Les très jeunes femmes (15-16 ans) prennent toujours volontiers la pilule. Cela se traduit par un faible nombre d'avortements et d'accouchements chez les jeunes dans notre pays. " En attendant, des pilules à base d'oestrogènes naturels (estradiol) sont également commercialisées ou en cours d'étude (estetrol). C'est certainement une option pour les femmes qui supportent mal les oestrogènes de synthèse. Il est important que les femmes se sentent bien par rapport à la contraception qu'elles utilisent, sinon elles arrêteront et cela augmentera le risque de grossesse non désirée. " Par ailleurs, peu d'études ont été réalisées sur la libido chez les femmes. Or, s'il existait une pilule pour les hommes, cet aspect aurait été étudié en premier lieu ", a conclut la Dre Verougstraete.