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Face à des patients en état d'éveil non répondant (état végétatif, selon l'ancienne terminologie) ou en état de conscience minimale, les centres médicaux spécialisés déploient différentes stratégies pour favoriser le retour à une conscience digne de ce nom, où le patient serait à même de communiquer. " Le problème est qu'aucune de ces approches n'a fait la preuve de son efficacité ", indique le Pr Steven Laureys, responsable du Coma Science Group et de l'Unité thématique sur la conscience au sein du Giga de l'Université de Liège. Certes, certains patients récupèrent, mais il est des plus ardus de démontrer que les soins de revalidation qui lui ont été dispensés y ont contribué.Publiée en 2012 par l'équipe du Pr Joseph Giacino, du Spaulding Rehabilitation Hospital (Harvard Medical School - Boston), une étude randomisée en double aveugle versus placebo montrait que, délivrée à un stade se situant entre quatre et 16 semaines après la lésion cérébrale, l'amantadine, médicament agissant sur la recapture de la dopamine initialement utilisé dans la maladie de Parkinson puis dans la sclérose en plaques, améliorait quelque peu les réponses cognitives et motrices des patients en état d'éveil non répondant et en état de conscience minimale. " La seule recommandation thérapeutique qui ait été formulée en 2018 par le consortium de spécialistes dirigé par Joseph Giacino, sous l'égide de l'American Academy of Neurology, est la prescription d'amantadine chez les patients traumatiques entre quatre et 16 semaines après la lésion ", précise Aurore Thibaut, chercheuse postdoctorante FNRS au Giga Consciousness-Coma Science Group.Grâce au prix Generet pour les maladies rares, d'un million d'euros, décerné au Pr Steven Laureys, les chercheurs liégeois vont soumettre une autre molécule, l'apomorphine, à un essai clinique randomisé en double aveugle versus placebo. Cette recherche se réalisera dans un cadre multicentrique et sera placée sous la responsabilité du Dr Leandro Sanz, doctorant FNRS, et d' Olivia Gosseries, neuropsychologue, chercheuse postdoctorante au Giga Consciousness-Coma Science Group.L'apomorphine agit sur les récepteurs dopaminergiques. Elle est utilisée de longue date dans le traitement de la maladie de Parkinson et du mutisme akinétique. Ross Zafonte, chef du Spaulding Rehabilitation Hospital, fut le premier à s'intéresser à cette molécule dans le cadre des états d'éveil non répondant et de conscience minimale. Il réalisa notamment une étude " open label ", c'est-à-dire sans groupe contrôle, qui révéla que l'administration d'apomorphine entraînait une certaine récupération comportementale chez les huit patients de l'échantillon testé. Cette amélioration survenait entre le premier et le 62e jour suivant le début de la prise du médicament, laquelle était planifiée sur 84 jours avec possibilité de prolongation à 180 jours. " Ces effets était très variables ", rapporte Olivia Gosseries. " Par exemple, certains patients parvenaient à saisir des objets, d'autres recouvraient la parole. Deux patients auraient récupéré complètement après un an et, au total, quatre auraient recouvré la marche. En l'absence de groupe contrôle, on ne pouvait néanmoins exclure qu'il s'agissait d'une récupération spontanée. En outre, l'étude mêlait des patients au stade subaigu de leur état de conscience altérée avec d'autres au stade chronique. Et elle ne faisait pas appel à la neuroimagerie. "C'est précisément ces lacunes que les chercheurs du Coma Science Group ont voulu éliminer dans leur projet de recherche. Celui-ci portera sur 48 patients en état d'éveil non répondant chronique ou en état de conscience minimale chronique, 24 recevant de l'apomorphine par voie intraveineuse, 24 un placebo. Des évaluations comportementales et cognitives seront effectuées, de même que des examens par neuroimagerie (EEG, PET scan, IRMf) avant et après l'administration du traitement, lequel sera délivré durant 30 jours.Une étude pilote est en cours. Il s'agit d'un essai " open label " auquel contribuent six patients en provenance du Centre neurologique William Lennox à Ottignies, sous la supervision du Dr Nicolas Lejeune. Il doit notamment permettre une observation des effets secondaires éventuels susceptibles d'amener un réajustement de la durée du traitement et des doses d'apomorphine qui seront administrées dans l'étude randomisée en double aveugle.Au CHU de Liège, l'effet d'un autre médicament est systématiquement testé chez tous les patients en état de conscience altérée : le zolpidem. De fait, cet hypnotique exerce un effet paradoxal temporaire chez 5% d'entre eux, au point que certains sont même capables de parler ou de marcher. " Dans 95% des cas, le patient ne répond pas ou s'endort ", indique Aurore Thibaut. " Nous administrons donc le zolpidem une fois et ne poursuivons son administration que si la réponse va dans le sens espéré. " L'effet stimulant du zolpidem, chez les patients dont il améliore l'état de conscience, n'excède pas quatre heures. D'autre part, certains patients s'habituent à la molécule, ce qui finit par en saper l'efficacité. " Les effets sont variables selon les individus, commente Olivia Gosseries. " Ainsi, un de nos patients en prend trois doses par jour depuis des années, tandis qu'un autre ne s'en voit délivrer que lors de la visite hebdomadaire de sa famille. Il faut également tenir compte d'un élément important : les émotions ressenties, car quand leur état s'améliore de façon transitoire, les patients réalisent leur situation. Dès lors, certaines familles préfèrent que le médicament ne soit pas délivré à leur proche. "L'équipe liégeoise voudrait tester d'autres traitements pharmacologiques. En particulier, étudier l'effet de la psilocybine, dont l'efficacité a été démontrée dans la dépression, les désordres émotionnels et les addictions, et qui, selon des travaux menés à l'Imperial College of London, augmente également la complexité des réponses cérébrales à des stimulations. Or, on estime qu'un des fondements de la conscience réside dans cette complexité. Ainsi, elle s'estompe par exemple chez des sujets endormis, en dehors des épisodes de sommeil paradoxal, ou chez des sujets sous anesthésie générale. Autre molécule digne d'intérêt : la kétamine, connue comme anesthésique. En effet, bien que censés être inconscients, les individus sains placés sous kétamine produisent des réponses cérébrales complexes à des stimulations et rapportent en outre des expériences assez similaires à celles décrites par les personnes ayant vécu une " expérience de mort imminente " (NDE) - sensation de bien-être, sentiment de communion avec l'univers, etc.En 2006 paraissait dans Nature un article de Nicholas Schiff, de Cornell University (New York). Il nous apprenait que la stimulation du thalamus par des électrodes implantées pouvait être bénéfique aux patients en état de conscience minimale. Cette méthode invasive n'était cependant pas sans risque. Dans la foulée, le Coma Science Group se tourna vers la stimulation transcrânienne à courant continu (tDCS), méthode non invasive dont l'intérêt avait déjà été mis en lumière chez le sujet sain, où elle améliorait les capacités d'attention, la mémoire de travail ou encore la fonction langagière.Aurore Thibaut fut la cheville ouvrière d'une étude portant sur 55 patients en état chronique de conscience minimale, dont les résultats furent publiés en 2014 dans la revue Neurology. D'une durée de 20 minutes, les stimulations ciblaient le cortex préfrontal, lequel sous-tend les fonctions exécutives ou l'attention. Résultats ? Une amélioration clinique chez 43% des participants en état de conscience minimale, lesquels manifestèrent transitoirement des signes de conscience qui n'avaient jamais été observés chez eux auparavant. " Une communication fonctionnelle temporaire put même être établie avec deux d'entre eux ", souligne Aurore Thibaut, qui va lancer prochainement avec Olivia Gosseries des essais relatifs à l'utilisation de la stimulation magnétique transcrânienne de manière répétée dans un but thérapeutique. De surcroît, le Coma Science Group va entreprendre une étude pilote de stimulation transauriculaire du nerf vague chez des patients en état de conscience altérée qui sont encore aux soins intensifs. La stimulation sera censée suivre l'itinéraire suivant : nerf vague - thalamus - cortex, avec l'espoir d'engendrer une réémergence de la conscience.