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Une vaste enquête du quotidien Libération vient de dévoiler comment un protocole de "traitement précoce" du Covid-19 a été créé en France par la Coordination santé libre, qui regroupe des collectifs covidosceptiques. Reposant sur des bases scientifiques hasardeuses, il implique l'utilisation de l'ivermectine, de l'hydroxychloroquine ou de... l'acupuncture. Pour le profane, difficile de distinguer l'imposture: l'analyse est appuyée par la généticienne Alexandra Henrion-Caude et la députée Martine Wonner. En fait, il s'agit de la même nébuleuse, pour l'occasion rebaptisée "Médecins en résistance", qui applaudissait au documentaire complotiste "Hold-up". Libé analyse finement comment cette galaxie, aussi habile dans sa communication que peu soucieuse de faits et de vérité, réunit des scientifiques, des médecins et des personnels de santé qui s'abritent derrière la sacro-sainte liberté de prescription. De quoi inquiéter: la Haute Autorité de santé comme l'Agence française de sécurité du médicament mettent en garde contre ce protocole de soins pseudo scientifique. Libération explique comment Wonner, députée mais aussi psychiatre, avec la gynécologue Violaine Guérin, sont à la tête du collectif "Laissons les médecins prescrire", qui avait pour but de coordonner la défense de la prescription de chloroquine. Depuis, ses revendications se sont élargies à une critique globale de la gestion de la crise sanitaire. La coordination entend remettre au coeur de la lutte contre le Covid-19 les médecins généralistes (en opposition aux médecins hospitaliers, jugés trop éloignés du "terrain"), et accusés de conflits d'intérêts. Le traitement proposé affirme s'appuyer non seulement sur l'expérience du collectif, mais également sur des publications scientifiques. Le quotidien français a interrogé Pierre Cochat, président de la commission de la transparence: "Proposer l'association de produits, dans un protocole, découle habituellement d'études préalables, qui laisseraient penser que le faible effet d'un produit A, par exemple, sera potentialisé par un produit B. Or ce n'est pas le cas ici. Les bases de ce traitement et la construction de ce protocole ne sont absolument pas scientifiques". Et de poursuivre: "Je comprends très bien le désarroi que traduit ce protocole. On vit une période très difficile et l'on est preneur de toutes les bonnes idées. Mais avec ça, on ne donne pas les moyens d'arriver à une solution, et d'avoir accès à une preuve d'efficacité. Là, on ne valide rien. On est dans le dogmatique, c'est Merlin l'enchanteur ou Panoramix".Les recettes françaises font évidemment florès en Belgique via les réseaux sociaux qui n'ont guère de frontières. Toutefois, notre pays ne semble pas avoir (encore) développé un tel mouvement structuré par des médecins. Même si certains praticiens proposent leurs poudres de perlinpinpin, mais à la marge. Certains d'entre eux se sont vus soutenir bruyamment sur les réseaux par des trolls parfois attachés aux gilets jaunes, voire carrément à des groupes d'extrême-droite. Pour Manuel Abramowicz, rédacteur en chef de la revue RésistanceS et observateur aguerri de la peste brune dans notre pays, l'extrême droite a d'abord été groggy face à la maladie. Mais les extrémistes ont vite trouvé le moyen de marier Covid avec leur habituel combat contre les "I-P-M-G": i comme "immigrés", - p comme "politiciens traditionnels", - m comme "médias": mainstream, les organes d'informatiques conformistes - et g comme "gauchistes": ultra-gauche, "islamo-gauchiste"... On le sait, de nombreux médecins estiment que notre système comporte trop d'Etat, et que le financement par la Sécu donne trop de pouvoir au politique sur la gestion des soins de santé. Pour Manuel Abramowicz, "le parti d'extrême droite allemand Alternative für Deutschland (AdF), s'inquiète de même du rôle central joué dans le combat contre le Covid-19 par les autorités fédérales. Ainsi, pour la cheffe du groupe AfD au Bundestag, il y a indéniablement dans les "importantes aides d'État aux hommes d'affaires, pour les aider d'être sauvés de la ruine", un "côté obscur". Pour elle, l'aide étatique représente un risque évident: l'apparition d'une "économie quasi-étatique dans laquelle seules les grandes entreprises dépendantes des deniers publics peuvent survivre."Abramowicz souligne que le même son de cloche se fait entendre en Belgique. Le 12 mars 2020, "Identitaire Démocrate", un mini-parti issu du Rassemblement populaire, un des pseudopodes du Parti populaire, affirmait: "Si nous ne pouvons plus bouger.... alors les migrants eux restent enfermés dans leur centre et plus aucunes personnes ne peut entrer en Europe".Et l'analyste de poursuivre: "Concernant les mesures sanitaires, l'extrême droite a été au début très discrète. Elle ne s'est pas engouffrée dans une critique de front parce que la population accablée par cette terrible crise approuvait alors dans sa majorité leurs mesures. D'autant plus que des réactions d'"autodéfense" insufflées par le modèle étatique du fascisme d'antan ont été en vogue chez des citoyens: désignation de boucs émissaires (les immigrés chinois), dénonciations publiques (de voisins travaillant dans le secteur de la santé et considérés comme pouvant contaminer l'immeuble), surveillance de proximité (de ceux du quartier ne respectant pas les mesures sanitaires), etc. Ces réactions primitives de gens du peuple sont des signaux encourageants pour le Rassemblement national français, La Liga italienne ou le Vlaams Belang en Flandre, dont le but final identique est la prise du pouvoir".Avec un certain succès. "En effet, ces réflexes de citoyens lambda confirment le façonnage des esprits au son des petites musiques maléfiques que l'extrême droite diffusent depuis plus de trente ans. Cette success-story fasciste a été rendue possible suite aux crises économiques successives et à l'imposition de plans d'austérité gouvernementaux anti-sociaux (1974, 1983, 1993, 2008 et 2020) qui touchent de plein fouet, les classes populaires d'abord, les classes moyennes (majoritaires) ensuite et épargnent systématiquement les riches. Ce qui provoque des inégalités et des drames sociaux quotidiens: augmentation du chômage, des exclusions de celui-ci, abandon des études supérieures ou universitaires d'enfants des classes populaires, paupérisation des logements, ghettoïsation, inflation des suicides sociaux, contamination des problèmes de santé mentale... Cet état des lieux explique en bonne partie la désaffiliation et l'antipolitisme d'une frange de la population. Cette dernière est donc une "bonne cliente" des discours populistes tous azimuts. Cette "phalange du peuple" est surtout défiante à l'égard du pouvoir incarné. Dès lors, la majorité de cette population en dissidence se rallie à celui ou celle qui sera le plus illustratif dans le mode expressif du populisme. C'est donc l'extrême droite qui sort gagnante dans la voie populiste."