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Pendant que l'humanité lutte âprement contre le coronavirus, la bataille contre les bactéries résistantes aux antibiotiques continue. " Dans les années 40 à 70, on a connu l'âge d'or des antibiotiques, " explique Jean-François Collet, chercheur WELBIO et professeur à l'Institut de Duve de l'UCLouvain. " Grâce à eux, la mortalité liée aux maladies infectieuses a considérablement reculé. Mais l'utilisation accrue et répétée de ces médicaments a conduit à un problème de taille : le développement de souches bactériennes ayant acquis de nouveaux mécanismes de défense pour contrer leur action. " Considérant que l'antibiorésistance constitue une des plus grandes menaces pesant sur la santé mondiale, le Pr Collet s'intéresse depuis plusieurs années à cette question et en particulier à une des grandes familles de bactéries, celles à Gram négatif comme les salmonelles ou E. coli, responsables de plusieurs infections très graves, et qui causent beaucoup de soucis actuellement. " Depuis plusieurs années, nous travaillons sur la protéine BAM qui ressemble à un tonneau ", raconte Jean-François Collet. " Pour qu'une bactérie à Gram négatif puisse survivre aux attaques des molécules censées la détruire, comme les antibiotiques, elle doit parvenir à construire deux membranes externes. Il s'agit en quelque sorte d'un double mur d'enceinte avec des 'tours de garde' appelées BAM. " " Parmi toutes les protéines qu'on peut trouver dans les membranes externes des bactéries à Gram négatif, s'il y en a une vraiment essentielle et incontournable, c'est bien BAM. Elle sert à insérer d'autres protéines dans les membranes ou à les transporter pour les faire passer au travers des membranes. " " Ces tours de garde sont des lieux de passage obligés pour toutes les protéines-soldats qui montent la garde sur les remparts assurant ainsi la protection des fortifications ainsi que pour celles qui sortent en dehors en vue de surveiller les alentours. Si l'un des murs est abimé, la bactérie meurt. Ces BAM sont dès lors des cibles privilégiées pour le développement de nouveaux antibiotiques. " Cependant, malgré le travail intense de nombreux laboratoires universitaires et de sociétés pharmaceutiques sur BAM, son mode fonctionnement restait mal connu. " Pour mieux connaître le mécanisme de BAM, je me suis dit qu'il serait intéressant d'en savoir plus sur la structure de cette protéine. Nous avons donc engagé une structuraliste, Juliette Létoquart, et nous nous sommes associés avec le laboratoire de Han Remaut à la VUB et au VIB. " " Nous avons aussi bénéficié de l'expertise en dynamique moléculaire de Bogdan I. Iorga, un chercheur du CNRS hébergé chez nous depuis le mois de janvier, et une équipe de l'Université de Leeds a pris en charge la partie protéomique, sachant également que la co-première auteure Raquel Rodriguez Alonso est soutenue par le réseau européen ITN Train2Target qui vise à former une nouvelle génération de scientifiques spécialisés dans la recherche de nouveaux antibiotiques. " Grâce à cette belle collaboration, les scientifiques impliqués ont réalisé une avancée significative dans la recherche biomédicale sur les bactéries résistantes : ils ont réussi l'exploit de capturer une photographie instantanée 3D qui permet d'observer BAM en train d'exporter une des protéines-soldats (RcsF) au travers du mur d'enceinte extérieur. " En quelque sorte, on peut dire que nous avons pris BAM la main dans le sac ", précise le Pr Collet. " Nous voyons la protéine-soldat à l'intérieur de BAM, et ça, c'est une surprise. C'était complètement inattendu ! " " C'est très chouette de pouvoir visualiser ce que nous avons cherché ", se félicite Raquel Rodriguez Alonso. " Cela a pris plus de deux ans de travail. Nous avons dû être très patients. Nous avions eu des images auparavant, mais de qualité insuffisante. " Cette découverte apporte des informations précieuses sur la manière dont certaines bactéries construisent et renforcent leurs murs d'enceinte pour se protéger des attaques des molécules toxiques pour elles. " Le fait d'avoir une structure de la protéine change les règles du jeu ", constate encore Jean-François Collet. " Voir son ennemi et la façon dont ses défenses sont organisées permet de mieux le connaître, d'identifier ses points faibles et donc de pouvoir le combattre plus facilement et le désarmer. " " C'est une avancée significative qui offre un nouvel angle d'attaque pour prendre d'assaut les tours de garde BAM et perturber leur mécanisme. Elle ouvre la voie au développement de nouveaux antibiotiques plus performants pour soigner des infections. "