...

En 2023, tout le monde, ou presque, a déjà entendu parler de l'ARN - un intermédiaire de l'information génétique. Mais l'ARN circulaire, lui, demeure relativement anonyme. "L'ARN circulaire est assez récent et n'a été découvert qu'en 1971 par Diener et ses collaborateur [1]", explique Benoît Muylkens. "C'était un domaine très peu étudié jusqu'il y a une petite dizaine d'années."Qu'a-t-il de particulier, cet ARN circulaire? "La plupart des transcrits connus - intermédiaires de l'information génétique - sont linéaires: ils ont un début et une fin, à l'instar d'une corde. Dans le cas de l'ARN circulaire, l'intermédiaire se circularise: les deux bouts de la corde sont reliés entre eux. Il n'a plus d'extrémités et se stabilise. De plus, l'ARN circulaire peut endosser différents rôles. Il a un potentiel codant, il peut servir d'éponge à microARN et inhiber leurs effets ou encore être une éponge à protéines. Dans ce contexte, des protéines peuvent être soit inhibées, soit échafaudées par les ARN circulaires."Au-delà des termes techniques, le rôle des ARN circulaires est étudié dans deux domaines majeurs de la recherche: l'oncologie et les neurosciences (à la fois pour leur rôle dans le développement normal du système nerveux et des maladies neurodégénératives). "Ce sont les deux grands domaines aujourd'hui qui monopolisent l'attention des chercheurs", confirme le Pr Muylkens. "Cependant, l'ARN circulaire est également étudié dans d'autres domaines, comme la cardiologie. Par exemple, certains ARN circulaires seraient favorables à la réparation du tissu cardiaque dans le cadre d'accidents ischémiques."Revenons à l'oncologie, au coeur de la thématique de recherche du PDR. "Certains ARN circulaires sont déjà connus comme biomarqueurs de cancers. Les ARN circulaires sont également connus pour interférer sur le développement tumoral, tantôt en l'accélérant, tantôt en l'inhibant. Certains sont surexprimés et participent à l'oncogenèse, à l'aggravation de la maladie, notamment au potentiel métastatique de certains cancers. D'autres sont protecteurs, ralentissant le développement du cancer, par le biais des gènes suppresseurs de tumeur, mais sont sous régulés. Ce qui donne au cancer plus de possibilités de se développer."Le PDR qui lie les Prs Muylkens, Van Lint et Dewals s'intitule "Identification et caractérisation d'ARN circulaires viraux dans les cancers et hyperproliférations cellulaires induites par des herpèsvirus et des rétrovirus lymphotropes (virus provoquant des lymphomes et des leucémies, ndlr)". "Nous travaillons tous les trois sur le lien qui existe entre infection par un virus - en l'occurrence un herpèsvirus ou un rétrovirus - et la modification de la physiologie des cellules infectées", détaille Benoît Muylkens. Cette modification est en l'occurrence une surprolifération des cellules, une des propriétés du cancer. Les virus étudiés sont des virus humains connus pour ces phénomènes d'induction de prolifération cellulaire. "Nous travaillons cependant principalement sur des modèles animaux. L'équipe du Pr Van Lint travaille sur un rétrovirus qui est responsable de leucose bovine, qui est un modèle d'une forme de leucémie humaine associée à l'infection par le HTLV-1 (Human T Lymphotropic Virus 1). L'équipe du Pr Dewals travaille sur un herpèsvirus chez le gnou qui, quand il passe chez le bovin, induit une lymphoprofilération de lymphocytes T particuliers. Et nous travaillons sur un virus lymphotrope chez la volaille, la poule, qui est l'herpèsvirus responsable de la maladie de Marek."Ces modèles animaux servent à décrypter les étapes de la cancérogénèse. "Chez l'humain, on ne peut observer la maladie qu'en fin de course, lorsqu'elle est déjà manifeste. On ne peut pas étudier la maladie en cours de route puisque les événements qui aboutissent aux cancers surgissent dans notre enfance, notre adolescence. Nous sommes exposés, à différents moments de notre vie, à des conditions qui ouvrent la porte au développement de cancers. L'intérêt des modèles animaux est que l'on peut, sous réserve de conditions éthiques évidemment, étudier ces étapes de la cancérogénèse dans un modèle homologue. Nous allons notamment invalider l'expression des locus produisant des ARN circulaires pour savoir si des virus délétés ne produisant plus d'ARN circulaire ont un potentiel diminué - ou pas - dans le développement de cancers."Il s'agit évidemment d'une recherche fondamentale où l'objectif est de comprendre le rôle des ARN circulaires. "L'objectif est d'identifier les transcrits circulaires, savoir s'ils sont conservés et associés à la virulence dans le cas des pathogènes qui nous concernent. Nous allons en sélectionner certains pour étudier leur rôle. Nous serons contents si nous pouvons étudier le rôle d'un, voire deux ARN circulaires par virus d'intérêt." Le champ des possibles est évidemment vaste concernant le rôle de ces ARN circulaires. "Nous cherchons à savoir quel est le rôle de ces transcrits dans la régulation du cycle viral, dans la progression de l'infection virale, ou dans le mariage qui existe entre le virus et les cellules et qui participe à cette modification de la prolifération des cellules."Ce PDR donne l'envergure souhaitée au projet, qui rassemble tout de même trois universités francophones. "Cela permet effectivement de dédier un certain nombre de collaborateurs à ce projet: nous pouvons désormais engager des chercheurs. Cela permet également de se rapprocher concrètement des centres de recherche avec lesquels nous collaborions. Cela structure cette collaboration. Enfin, il faut pouvoir engager les moyens financiers nécessaires. Chacun des séquençages que nous réalisons nécessite beaucoup de moyens financiers qui n'étaient pas dans nos mains au préalable."