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La convergence du CHU de Liège et du CHR Citadelle, les deux principaux acteurs du réseau Elipse formé en 2021 avec la Clinique André Renard, le Centre hospitalier du Bois de l'Abbaye (CHBA), les CHR de Huy et Verviers, le Centre hospitalier Reine Astrid de Malmedy et l'Intercommunale de soins Isosl, permettrait de constituer le plus gros réseau hospitalier universitaire de Wallonie. Soit une offre de soins forte de près de 4.000 lits, rassemblant près de 20.000 médecins et collaborateurs. Marc De Paoli, administrateur délégué du CHU de Liège depuis bientôt trois ans, après 17 ans à la tête de la Clinique André Renard, porte un regard éclairé sur la situation actuelle des hôpitaux et, bien au-delà du cas d'école liégeo-liégeois, sur l'urgence d'unir les forces vives au sein de réseaux forts. Le journal du Médecin: Les deux "facilitateurs" indépendants nommés en début d'année ont terminé leur mission ponctuelle, et rentré un rapport a priori plutôt positif. Où en sont les discussions? Les différents scrutins électoraux impactent-ils les négociations? Marc De Paoli: Les discussions continuent dans l'ombre, il est fondamental de trouver des accords. Nous sommes aujourd'hui dans une phase de constitution de nouvelles majorités au fédéral, - au régional et en Fédération Wallonie-Bruxelles, c'est réglé - et au niveau local. La Citadelle est une intercommunale et le CHU de Liège un OIP (Organisme d'intérêt public) de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Les nouveaux conseils communaux et provinciaux vont s'installer en décembre, éliront les membres des intercommunales, et ce n'est qu'au mois de juin l'année prochaine que les assemblées générales des intercommunales entérineront... Le temps hospitalier est continu, contrairement au temps politique. Nous devons donc poursuivre la logique car c'est dans l'intérêt général des hôpitaux eux-mêmes - du corps médical et de l'ensemble des travailleurs - et de la population. Le dossier n'est pas facile - s'il l'était, il serait réglé depuis des années -, les négociations se poursuivent au ralenti et j'espère qu'elles aboutiront. La question dépasse largement la Cité ardente, on l'a vu avec la non-fusion entre la Clinique SLBO et le CHU UCL Namur au moment même de l'annonce du regroupement à Liège... Les hôpitaux sont à un tournant, l'étude Maha 2024 le montre à nouveau. Les banques commencent à ne plus prêter aux communes, si on ne prête plus aux hôpitaux, comment va-t-on faire? Nous avons l'obligation morale de trouver des accords. La logique des réseaux a du sens car on ne peut plus faire de tout, partout, parce qu'on n'a plus assez de médecins, d'infirmiers ni de moyens financiers. Se regrouper permet de répondre à cette triple raréfaction, en spécialisant les différents sites, ce qui permet de 'consommer' moins de soignants et de mieux utiliser les forces vives. Des groupements forts, voire des fusions, sont indispensables. Pour les pathologies très rares et complexes, nous devons même - je le pense et ça n'engage que moi - aller au-delà du réseau, en trouvant des accords interréseaux. Il faut encourager, favoriser, stimuler, tout en préservant - c'est très important - l'accessibilité des patients. Les hôpitaux de proximité restent indispensables, à taille plus humaine qu'un hôpital de 1.000 lits, pour les pathologies classiques. Les patients qui nécessitent un plateau technique plus lourd comprennent très bien qu'on leur demande de faire plus de kilomètres. C'est important, aussi, pour préserver certains agréments? Il est important de spécialiser l'un ou l'autre site afin de conserver les fonctions suprarégionales - on ne fait bien que ce que l'on fait souvent - et maintenir l'activité sur les autres sites, tout en spécialisant certaines fonctions locorégionales. Faire cela suppose que chaque hôpital fasse la concession de certaines activités en contrepartie d'autres. La difficulté financière apparaît toutefois très vite: certaines activités sont plus rentables parce que leur nomenclature Inami est favorable. Les réseaux sont un bon départ, mais on est au milieu du gué: on nous demande de travailler ensemble, mais on reste financé individuellement en fonction de notre activité, donc spontanément, ça ne se fait pas. La réflexion doit venir du fédéral? Si on ne va pas plus loin dans la logique de réseaux en donnant des incitants ou en modifiant le mode de financement, le réflexe protectionniste, surtout en période de difficultés financières, fait que personne n'aura envie de concéder. On compte tous nos sous et nos admissions car on a tous des indicateurs de performance. On est obligé de fonctionner comme ça. La réforme de la nomenclature, avec la volonté de Frank Vandenbroucke de forfaitariser les facturations par pathologie et l'acte intellectuel plutôt que l'acte technique, doit aller de pair avec celle des réseaux. Les spécialités qui n'ont pas d'actes techniques, comme l'oncologie ou la pédiatrie, n'ont que des consultations, alors que ces médecins ont fait autant d'années de spécialisation. Certains hôpitaux ont mis en place des mécanismes de fonds de solidarité, c'est très bien, mais il reste de grosses disparités. Et il ne faut pas perdre de vue qu'il n'y a pas que les hôpitaux: la nomenclature doit être réfléchie dans son ensemble pour ne pas créer de distorsion entre les revenus des médecins hospitaliers et non hospitaliers. Y aurait-il eu moins de frilosité à se regrouper avant les différentes crises que l'on a connues depuis 2020? Les crises ont accéléré le phénomène. Mécaniquement, tout augmente: les rémunérations (70% des médecins sont salariés à l'hôpital universitaire, NdlR), les frais de fonctionnement, la technologie... Donc, à financement constant, on n'y arrivera de toute façon pas. Est-ce qu'on continue ce modèle-là jusqu'au bout? Ne serait-il pas utile de réfléchir à un autre mode de fonctionnement? Deux structures juridiques sur deux sites différents nécessitent de multiplier tout par deux: deux directions, deux systèmes informatiques - or l'informatique coûte très cher -, deux centrales d'achats... Si on a deux sites avec une seule entité juridique, on ne divise pas par deux, mais on peut faire 15 à 30% d'économie en optimisant les moyens disponibles. Le statut des médecins peut être harmonisé, qu'ils travaillent sur le site A ou B, et mettre des services ensemble permet d'épargner des jours de garde face à la pénurie. Il y a toutefois des fonctions dans lesquelles on ne sait pas rationaliser, et donc on ne le fait pas. Le CHU de Liège revient à l'équilibre grâce à la hausse d'activité que le corps médical a assumée, ainsi qu'à la prise de conscience, parmi l'ensemble des prestataires, qu'on doit faire des économies dans la mesure du possible. Les services administratifs ont eux aussi revu très activement leurs processus. C'est l'ensemble des forces vives de notre hôpital qui a bougé, notamment parce que nous avons dit les choses avec transparence et en identifiant les leviers d'action possibles. Je précise que nous y sommes parvenus sans licenciement aucun, en soutenant les départs naturels sur une structure qui compte 7.000 travailleurs. Si l'on prend par exemple les fonctions administratives, en mettant des bornes d'inscription, nous avons quasiment divisé par deux le besoin en employés dans les guichets et ces personnes ont pu être réaffectées dans d'autres services pour remplacer les départs naturels. Et nous avons mené ce changement dans une articulation entre la digitalisation et l'humanisation car l'hôpital, c'est avant tout un lieu où l'on prend soin. C'est par de telles mesures qu'on revient à l'équilibre, mais elles ont une limite et donc, que fait-on à un horizon de cinq à dix ans? Se regrouper est aussi intéressant en matière de durabilité? Nous sommes tous sensibilisés à l'environnement, localement. Nous avons d'ailleurs établi avec tous les collègues en interne une feuille de route comprenant 110 mesures allant des achats durables à l'intégration du cycle de vie des matériaux, en passant par une gouvernance plus soutenable. Mais l'union fait la force et ensemble, on pourrait réfléchir davantage dans des domaines comme la cuisine durable ou l'élimination des déchets. Si l'on prend l'exemple des déchets hospitaliers B2, il n'y a que deux sites en Belgique: Casteau et Anvers. Donc, tous les jours, des camions partent de Liège et font des centaines de kilomètres... Ça n'a pas de sens, pourquoi ne pas investir entre hôpitaux pour traiter nos B2 à Liège? Le côté humain est aussi important face à la perte de sens des soignants. Spécialiser les sites permettrait d'éviter une concurrence effrénée et créerait de meilleures conditions de travail. Les hôpitaux doivent prendre soin de celles et ceux qui prennent soin au quotidien. Le CHU dispose d'un pôle 'Humanisation' qui regroupe des conseillers en prévention et des psychologues chargés de veiller au bien-être du personnel. Entretenir de bonnes relations est fondamental, avec respect et dans la transparence avec toutes les parties prenantes, le conseil d'administration, le conseil médical, les organisations syndicales... Je suis adepte de la co-construction et travaille toujours main dans la main avec elles.