...

"E n 2019, suite à une volonté de l'Inami, nous avons créé des Centres d'excellence pour la chirurgie de l'oesophage et celle du pancréas, l'idée étant de limiter le nombre de centres en fonction du volume d'activité. Pour créer un centre reconnu pour l'oesophage, il fallait avoir 20 cas opérés/an", précise la Dr Florence Hut, directrice médicale du CHwapi à Tournai. Engagé dans le réseau Phare avec le CH de Mouscron, Epicura et le CHR Haute Senne, le CHwapi n'a pas pu déposer une candidature pour créer un tel centre à partir de cette structure. " Les patients du CH de Mouscron venaient déjà ici, Epicura adresse ses cas à Bordet ou à Erasme, et l'hôpital de Soignies a des accords pour l'oncologie avec Jolimont. Nous nous sommes donc adressés au GHdC (Charleroi) avec lequel nous avons d'autres collaborations. Nous avons choisi de localiser le centre à Tournai parce qu'à l'époque c'était ici que nous avions le plus grand volume, mais il s'agit bien du centre commun au CHwapi et au GHdC. Nos deux institutions n'avaient pas individuellement 20 patients/an sur une des trois dernières années, alors qu'ensemble, on en avait 24." En pratique, le CHwapi collabore avec trois centres hospitaliers: le GHdC, le CH de Mouscron et l'hôpital de Jolimont. " Le diagnostic et la prise en charge initiale se font systématiquement dans l'hôpital référent. Ensuite, le dossier du patient est transféré au CHwapi pour validation en Concertation multidisciplinaire dans le Centre de référence. Après, le patient est vu par le chirurgien de l'hôpital référent et il est transféré à Tournai au moment de l'intervention chirurgicale. Le chirurgien référent vient opérer le patient au CHwapi, en collaboration avec moi", explique le Dr Philippe Hauters, chirurgien digestif et coordinateur chirurgical du Centre de chirurgie de l'oesophage. " Tous les traitements néoadjuvants sont faits dans le centre référent. Le patient voit le chirurgien référent du GHdC, de Jolimont... et puis la prise en charge chirurgicale se fait à Tournai en collaboration avec le Dr Hauters. Le suivi après sa sortie du CHwapi, est assuré par le chirurgien référent", ajoute le Dr Nicolas Tinton, chirurgien digestif au GHdC. " Les patients sont hospitalisés cinq jours avant l'opération au CHwapi puisque nous avons un protocole de désinfection de la sphère ORL, de la kinésithérapie préopératoire classique, de la préparation intestinale... Ceci permet aussi aux chirurgiens du CHwapi de faire connaissance avec le patient", fait observer le Dr Hauters. " Ce qui fait notre particularité au CHwapi c'est que, sous l'impulsion du Pr Marc De Kock, anesthésiste/réanimateur, nous avons mis en place un programme de préhabilitation multimodale, tel que défini par le Pr Francesco Carli à Montréal. Il consiste en un soutien psychologique et nutritionnel et un entraînement à l'effort", poursuit-il. " La chirurgie de l'oesophage est une intervention particulièrement lourde, avec plusieurs sites opératoires (thorax et abdomen), c'est donc un grand stress pour l'organisme. Pour le préparer à ce stress, nous avons décidé de préhabiliter les patients par l'exercice physique avant la chirurgie. Dans ce type de traitement, c'est indispensable parce que ce qui fait que le patient va s'en sortir avec plus ou moins de complications, c'est la capacité de sa réaction inflammatoire à gérer l'agression tissulaire. Des études récentes montrent que l'exercice physique est un bon moyen de rendre une réaction inflammatoire adaptée, c'est-à-dire suffisante pour fermer les plaies mais pas excessive pour entraîner l'organisme vers un catabolisme majeur", souligne le Pr Marc De Kock. Cette préhabilitation ne concerne pas les patients diagnostiqués à un stade très précoce, qui sont opérés le plus rapidement possible. Elle est proposée aux patients qui ont un traitement néoadjuvant (environ 2/3): " Il y a un délai libre de quatre à six semaines entre la fin de ces traitements et la chirurgie. Ce moment nous permet de faire cet entraînement physique à l'effort, kiné respiratoire incluse", note le Dr Hauters. Selon les résultats d'une étude sur 20 patients, réalisée dans le cadre du mémoire de fin d'année d'une kiné, la préhabilitation permet d'améliorer les performances physiques des patients et de diminuer les complications médicales postopératoires, mais pas les complications chirurgicales. " Nous n'avons pas trouvé de différence significative en fonction du BMI (par exemple) sur la morbidité. Par contre, on a démontré que cette préhabilitation dépend essentiellement de l'implication du patient: s'il est très collaborant, il va en bénéficier mais, chez ceux qui sont réticents ou non compliants, c'est voué à l'échec. Ce programme concerne les patients du CHwapi, la préhabilitation comme on l'entend n'a pas été implantée de façon aussi systématique par les centres référents. A présent que nous avons des résultats un peu tangibles, l'idée est de leur proposer aussi ce programme de préhabilitation", ajoute-t-il. L'équipe de diététique prend également en charge ces patients pour dépister la dénutrition et proposer si besoin des compléments nutritionnels oraux voire une nutrition entérale. " En préopératoire, on veut assurer le meilleur état nutritionnel du patient pour qu'il ait toutes les chances de son côté", assure Ysaline Colbrant, diététicienne. " La création des centres de référence a été imposée par l'Inami sur base du fait que la mortalité à 30 et 90 jours pour les activités avant 2016, était inférieure dans les centres de hauts volumes. C'est le seul critère objectif analysé par l'Inami pour décider de mettre ces centres en place", souligne le Dr Hauters. L'Inami vient de publier les chiffres après deux ans de convention. " Au CHwapi, notre taux de mortalité à 30 jours est de 0%, à 90 jours, de 5,9% et notre survie à un an est de 87%. Ces résultats sont encourageants et s'inscrivent dans la philosophie du projet mis en place au niveau national. Mais il faut rester prudent parce que notre effectif est relativement peu important: 34 patients, alors que pour la Belgique, il y a eu environ 813 patients opérés sur les deux ans. Notre activité représente environ 4% de l'activité belge. Il ne faut donc pas faire dire aux chiffres ce qu'ils ne peuvent pas dire", met-il en garde. Quelle suite envisagent les responsables de ce Centre d'excellence? " Nous aimerions agrandir notre recrutement parce que l'Inami impose des seuils d'activité qu'on va avoir du mal à respecter", observe Philippe Hauters . "L'Inami demande 75 patients opérés au bout des trois années, on arrivera à 60 patients. Il est dommage que les critères d'exclusion des centres reposent uniquement sur le niveau d'activité et que l'on ne tienne pas du tout compte des résultats cliniques. Il y aura sans doute un arbitrage par un groupe de pilotage, j'espère qu'il ne se basera pas seulement sur ce critère mais sur la qualité des prises en charge." " Organiser ce type d'interactions prend beaucoup de temps. C'est une particularité et une fierté d'avoir réussi à mobiliser plusieurs équipes distantes et à coordonner un tel programme avec autant d'intervenants, en respectant les délais", se réjouit néanmoins Florence Hut.