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En juin 2016 était publié dans le magazine Brain Structure and Function un article relatant les résultats d'une étude portant sur un cosmonaute russe de 44 ans ayant séjourné 169 jours dans la Station spatiale internationale (ISS), où il s'était plié à un entraînement physique et locomoteur afin d'essayer de réduire les effets néfastes de la microgravité sur sa physiologie. S'inscrivant dans le cadre du projet Brain-DTI financé par l'Agence spatiale européenne (ESA), les travaux concernés émanaient d'une collaboration entre l'équipe du professeur Steven Laureys, responsable de l'Unité thématique sur la conscience au sein du GIGA de l'Université de Liège, le Research Center for Equilibrium and Aerospace (AUREA) dirigé par le professeur Floris Wuyts à l'Université d'Anvers, des chercheurs russes et d'autres de la KUL.Trente jours avant son départ pour l'ISS, le cosmonaute russe s'était soumis à une IRM structurelle et à une IRM fonctionnelle (IRMf) à l'état de repos (resting state), c'est-à-dire alors qu'il était éveillé mais n'effectuait aucune tâche. Des examens similaires furent réalisés neuf jours après son retour sur Terre. La comparaison entre les résultats des deux séances de neuroimagerie structurelle ne révéla rien de particulier. Il en fut tout autrement de la comparaison des résultats enregistrés lors des deux séances d'IRMf au repos. En effet, les chercheurs observèrent deux perturbations. D'abord, une perte de connectivité entre l'insula et le reste du cerveau à l'issue du voyage dans l'espace. " L'insula est une structure du cortex vestibulaire et du réseau auditif, où convergent les afférences en provenance des organes otolithes et des canaux semi-circulaires de l'oreille interne ", explique Athena Demertzi (Université de Liège), premier auteur de l'article susmentionné au même titre qu'Angélique Van Ombergen (Université d'Anvers). Ce déficit de connectivité peut notamment être mis en rapport avec des difficultés à se mouvoir ou à s'orienter dans l'espace tridimensionnel.L'autre perturbation identifiée par l'IRMf à l'état de repos était une réduction de la connectivité entre le cervelet et le cortex moteur, ce qui est de nature à affecter l'initiation des mouvements volontaires, la coordination motrice et la proprioception.Deux tâches d'imagerie mentale, l'une motrice, l'autre visuospatiale furent également proposées au cosmonaute russe avant et après sa mission spatiale. Au terme de son séjour dans l'ISS, aucune différence de fonctionnement cérébral ne fut constatée pour la tâche visuospatiale. En revanche, l'activation de son cortex moteur pendant la tâche d'imagerie motrice (s'imaginer jouant au tennis) était plus intense qu'avant son voyage dans l'espace, alors que, nous l'avons signalé, ce cortex était moins connecté au cervelet lorsque l'activité du cerveau était mesurée à l'état de repos. " Sans doute faut-il y voir une réponse d'adaptation-compensation à l'environnement de microgravité ou alors l'effet du retour sur Terre ", dit Athena Demertzi.Les résultats d'une autre recherche très intéressante, conduite par Angélique Van Ombergen, viennent d'être publiés le 21 mai dans le magazine PNAS1. Comme l'indique Steven Laureys, qui est coauteur de l'article, cette étude a mis en évidence des augmentations de volume du liquide céphalo-rachidien (LCR) au niveau des ventricules cérébraux chez 11 cosmonautes russes ayant participé à des missions spatiales de longue durée (en moyenne, 235 jours). Soumis à une importante pression, les ventricules se dilatent. Ayant mené des travaux auprès d'astronautes de la NASA, William Tarver, en 2012, et Andrew Lee, en 2018, ont suggéré que la pression exercée par le volume excédentaire de liquide céphalo-rachidien était à l'origine de modifications de l'acuité visuelle telles qu'elles ont été observées après des missions de longue durée dans l'espace. Ce " syndrome neuro-oculaire associé à un vol spatial " (SANS) exposerait à un risque potentiel de déficits permanents.Les 11 cosmonautes repris dans l'étude dirigée par Angélique Van Ombergen se sont prêtés à des enregistrements en IRM structurelle avant leur départ pour l'espace, une dizaine de jours après leur retour sur Terre et sept mois plus tard. Leurs scores d'acuité visuelle, eux, ont été acquis avant leur envol pour l'ISS et trois jours après la fin de leur mission.Résultats ? Une augmentation du volume du liquide céphalo-rachidien fut observée quelques jours après le vol dans les ventricules latéraux et dans le troisième ventricule - pas dans la quatrième. Sept mois plus tard, la situation n'était pas encore totalement normalisée. " Un cerveau sous pression fonctionne moins bien, dit Steven Laureys. Ce qui peut se révéler problématique pour la santé et la réalisation de certaines tâches. "" Notre analyse de corrélation entre les données sur l'acuité visuelle et les changements de volume du LCR a révélé une association entre les variations de volume des ventricules latéraux et la différence d'acuité visuelle dans l'oeil gauche ", indiquent les auteurs de l'article publié le 21 mai dans PNAS. Aucune corrélation significative n'a pu être établie pour l'oeil droit.Une étude de Thomas Mader (Université d'Alaska à Anchorage) publiée en 2011 dans Ophtalmology faisait état d'une période de déclin des symptômes du SANS pouvant s'étendre sur 19 mois. Faute de volontaires, Angélique Van Ombergen et ses coauteurs ne purent le vérifier. " Les astronautes craignent qu'on détecte chez eux des problèmes qui les écarteraient d'un prochain vol spatial ", explique Steven Laureys.Et de conclure que les missions habitées au très long cours, comme celle projetée à destination de mars, ne pourront se concrétiser que si l'on comprend les mécanismes par lesquels la microgravité affecte le cerveau et que si des solutions sont trouvées pour déjouer ses effets perturbateurs.