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Le journal du Médecin : "American Crisis" fut-il le morceau déclencheur de cet album ? Bob Mould : Il s'agit d'une chanson composée voici trois ans. À l'époque, je me suis concentré sur l'écriture de l'album Sunshine Rock, plutôt optimiste et positif : American Crisis, lourd dans les textes et bruyant dans la musique, faisait tache dans l'ensemble. Je l'ai donc mis de côté. Et lorsque je me suis mis à composer à nouveau en septembre dernier, j'ai réalisé que ce morceau trahissait un sens de révolte tout à fait opportun vu la situation aux États-Unis... qui n'avait fait qu'empirer au cours des trois dernières années. Serait-ce une collection de protest-songs électriques ? Pour la plupart. Nous nous situons à un moment de l'histoire où il est important pour chacun d'exprimer ses opinions. Heart On My Sleeve, morceau introductif, réfère à la catastrophe écologique. Est-ce la raison pour laquelle vous l'interprétez de façon acoustique... pour ne pas utiliser l'électricité ? Non, il s'agit d'une chanson calme qui me permet de planter le décor, afin d'exposer clairement ma pensée, sans le bruit de la guitare électrique. Ce qui signifie que vous souhaitiez que l'auditeur écoute attentivement les paroles ? Oui, c'est une sorte d'introduction à ma pensée et au maelstrom électrique qui va suivre. La rage est-elle une bonne source d'inspiration ? En effet ! C'est l'une des nombreuses en tout cas. À mon sens, nous sommes trop résignés : me voici donc à nouveau... hurlant ! (rires) Vous êtes devenu an angry old man ? Exact. Mais je ne serais jamais un angry old republican (rires), plutôt une angry old gay man. Tout ce qui se déroule actuellement me rappelle les années Reagan et, se faisant, les années sida. Mais lorsque j'ai écrit American Crisis, j'ignorais tout de la pandémie qui nous attendait... Vous allez passer pour le Nostradamus du rock pour avoir vu venir la pandémie ? En fait, à force d'écouter les télévangélistes annonceurs de fin du monde, les Américains auraient dû la voir venir... Pourquoi vos chansons sont elles toujours " in your face ", directes ? Nous sommes " in deep shit ", il est donc important d'avoir les idées claires. Si la façon dont le monde tourne ne nous plaît guère, il faut le proclamer, écouter le mouvement Black Live Matters, les gens de la rue : je me sens dans l'obligation de livrer mes petites réflexions sur les inadéquations, les inégalités... et parfois en hurlant. Mais ce n'est pas la première fois que vous faites cela : la plupart de vos albums sont ainsi ? Certes, mais l'urgence est encore plus grande. Je voulais dire non seulement directes au niveau des mots, mais également de la musique... Bien sûr. Par nature, mon travail est assez lourd et plutôt direct. Mais, j'ai également sorti des albums délicats, raffinés et même électroniques. Le précédent, Sunshine Rock, comportait des arrangements d'instruments à cordes, des claviers et des chansons très matures. Ce n'est pas vraiment le cas sur celui-ci (il rit) A 60 ans, vous cultivez une sorte d'attitude "rien à perdre"... qui vous caractérisait déjà auparavant. Plus que jamais ! On ne pourrait rêver pire que ce que nous vivons actuellement : alors pourquoi ne pas le dire ? J'espérais que certains de mes collègues fassent de même, afin qu'en novembre nous soyons débarrassés de ces gens. Dire la vérité est plus important que de chanter la concorde. Etait-il plus compliqué d'être homosexuel dans le rock indépendant qu'en pop musique ? Dans les années 80, au sein de la scène punk et alternative, cela fut très facile : la compréhension et la tolérance y étaient grandes. À l'époque, j'étais un homosexuel non déclaré, car tellement concentré sur ma musique, ne sachant quoi faire de mon homosexualité, aussi bien dans le travail que dans ma vie privée. Être face à un gouvernement qui aurait préféré me voir mort plutôt que gay n'a sans doute pas aidé non plus. Vous êtes-vous senti pillé au fil des années par des groupes comme les Pixies, Dinosaur Jr, Nirvana ou les Foo Fighters... Ils ont surtout pillé les Ramones ! ... Non, sérieusement, on a tous commencé d'une manière ou d'une autre quelque part. Je ne me suis jamais senti dépouillé. il y a de la place pour tout le monde dans la musique... Quelle différence faites vous entre un guitariste de rock alternatif et un de hard rock... Les solos de guitare ! Et les attitudes : des blonds peroxydés qui prennent souvent des poses théâtrales face à des types en t-shirt sale qui regardent leurs mains voire leurs pieds en jouant... Le mur de guitares que vous avez développé durant votre carrière, serait-il une sorte de protection, le signe d'une grande timidité ? Non. J'ai grandi dans un environnement violent et la musique m'a toujours permis de me défouler, d'effacer les tensions et les souvenirs douloureux. Pourquoi y a-t-il peu de gens de couleur dans l'indie-rock et la musique punk ? Au début des années 80, il y en eu un certain nombre : je pense à des formations comme Fishbone. Peut-être que ce mouvement à commencé dans un environnement blanc. Mais à l'époque la scène me paraissait plutôt inclusive. Tout le monde était le bienvenu du moment qu'on ne ruinait pas la scène : que l'on soit femme, homo, hétéro... tous les gens à la marge étaient les bienvenus. Ceci dit, dans le genre hip-hop, à l'inverse, on croise peu de Blancs. Bob Mould : Blue Hearts (Merge Records)