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Le voyage nous manque déjà et donc les aéroports, leur univers désormais impersonnel et ouaté. Le photographe belge Harry Gruyaert (interviewé dans ces pages il y a deux ans), membre de l'agence Magnum depuis quarante ans, as de la couleur irisée, les conçoit comme une scène, un théâtre, une sorte d' En attendant Godot, lequel finit par arriver, même si c'est parfois avec retard dans ses correspondances. Gruyaert saisit l'attente - des personnes qui lisent, la distraction en mangeant, en regardant les avions aller et venir pour les plus jeunes -, géométrise les lieux, les aérogares, surprend un dormeur le visage illuminé par le hublot, ou des contrôles de sécurité valise endormis eux aussi, derrière un grillage qui veille. Il photographie comme un Edward Hopper contemporain la lumière solaire détourant le contour des objets et des personnes. Même s'il y a quelques groupes, il saisit surtout des solitudes, des abandons comme si ses photos déjà anciennes annonçaient déjà le vide provoqué par l'épidémie. Le contraste, les lumières chaudes, le choix des architectures aéroportuaires, plutôt anciennes - de celles qui encore une âme, l'absence ou presque de smartphones procurent presque l'illusion d'une plongée dans les trente glorieuses : à croire que ces deux hommes en costume impatients devant la porte d'embarquement viennent juste de finir leur cigarette. Avant d'en rallumer une dans l'avion ?