Plusieurs hypothèses ont été émises pour expliquer pourquoi d'anciens joueurs du Calcio avaient été frappés par une "épidémie" de SLA. On sait aujourd'hui que la fréquence de cette maladie est anormalement élevée dans d'autres sports également.
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En 1998, une voix avait fait trembler l'Italie du football, celle de Zdenek Zeman, alors entraîneur de l'AS Roma. "Le Calcio doit sortir de la pharmacie", avait-il dit. Ses paroles avaient manifestement résonné aux oreilles des "veuves du Calcio", les femmes d'anciens joueurs décédés de façon étrange de la sclérose latérale amyotrophique (SLA) ou maladie de Charcot. Elles se manifestèrent et devant l'accumulation de témoignages, Raffaele Guariniello, un procureur adjoint turinois, diligenta une vaste enquête qui, au fil des ans, aboutit à l'analyse de 30.000 dossiers de footballeurs ayant pris part au championnat italien entre 1980 et 2008. Durant cette période, 51 anciens joueurs ont souffert de sclérose latérale amyotrophique et, parmi eux, 48 en étaient décédés. Ces chiffres hors norme - la prévalence de la maladie est de cinq à sept cas pour 100.000 individus - expliquent pourquoi on parla d'une "épidémie" de SLA. La thèse du dopage est évidemment la première à venir à l'esprit quand on sait que les footballeurs atteints de SLA évoluaient tous dans le Calcio. Aucun cas rapporté en Angleterre! Aucun en Allemagne! Un unique cas en France, celui de l'ancien professionnel Patrice Lestage, décédé en 2010 à l'âge de 49 ans... Les joueurs italiens auraient pu recourir à une substance particulière. Mais cela paraît très improbable dans la mesure où le dopage affecte l'ensemble des sports et que dans le cyclisme, où toutes ses voies sont explorées avec un zèle évident, on ne connaît aucun cas de SLA. Raffaele Guariniello commandita d'ailleurs une étude rétrospective dans les milieux cyclistes relative à la période 1945-2001: parmi les 6.000 coureurs professionnels concernés, pas un n'avait souffert de cette pathologie. En réalité, le procureur turinois suivait trois pistes, qu'il résuma le 6 septembre 2008 dans le journal L'Équipe : "Les hypothèses sur lesquelles nous travaillons le plus pour expliquer cette maladie chez les footballeurs sont au nombre de trois: l'usage de substances dopantes, les traumatismes liés au football (les coups pris par les joueurs ainsi que les coups de tête) et l'usage de substances toxiques pour entretenir les pelouses (désherbants, pesticides)."Cette sombre et nébuleuse affaire de SLA dans le Calcio pourrait être considérée comme une histoire surannée. Mais alors une histoire qui renaît de ses cendres, car, ainsi que le rappelle le docteur Jean-Pierre de Mondenard, médecin sportif français et auteur de plusieurs livres sur le cyclisme et sur le dopage en général, des "épidémies" de SLA ont été enregistrées depuis dans d'autres disciplines sportives. Le football américain, par exemple. Ainsi, le 23 mars 2014, un reportage de Nicolas Geay réalisé pour l'émission Stade 2 remit en lumière de funeste façon la légendaire équipe des Springboks qui avait remporté la coupe du monde de rugby en 1995 sur ses terres, en Afrique du Sud. Le reportage nous apprit que deux des anciens champions du monde, Joost Van der Westhuizen, mort en 2017, et Tinus Linee, en 2014, avaient souffert de SLA et que leur équipier Ruben Kruger était décédé en 2010 d'une tumeur au cerveau à l'âge de 39 ans. De surcroît, André Venter, troisième ligne des Springboks de 1996 à 2001, était en proie à une myélite transverse, inflammation de la moelle épinière qui frappe en moyenne une personne sur un million. Interpellant! Depuis l'"épidémie" de SLA chez les footballeurs italiens, plusieurs études épidémiologiques ont été menées dans les milieux sportifs. Leurs résultats contribuent à entretenir le mystère. Ainsi, dans le football, il apparaît non seulement que seuls des joueurs du Calcio ont été touchés, mais aussi que les gardiens de but et les attaquants semblent préservés. Pourquoi? On pourrait arguer de ce que le poste de gardien est particulier - on y joue très peu de la tête, par exemple - et statistiquement moins représenté. Le cas des attaquants surprend davantage, car les avants participent à de nombreux duels aériens et, souvent "matraqués" par les défenseurs adverses, encaissent de nombreux coups. Pour justifier que les joueurs du champ à vocation défensive étaient les seuls frappés par la SLA, le procureur Guariniello déclarait dans le journal Le Monde du 16 janvier 2003 que "le développement de la SLA est favorisé par les traumatismes et lésions aux membres inférieurs". Peut-être. Mais ce raisonnement n'en est pas moins sujet à caution: si les défenseurs taclent régulièrement, les attaquants "encaissent" les coups. Lorsque le procureur Guariniello s'intéressa au sort de quelque 15.000 rugbymen italiens, il dut conclure à l'absence de tout cas de SLA. "Pourtant, dans ce sport, les chocs sont fréquents et le contact avec l'herbe, donc avec les pesticides et désherbants, est plus important que dans le football", indique le Dr de Mondenard. Le cas des rugbymen sud-africains Joost Van der Westhuizen et Tinus Linee, morts de la SLA, et de deux autres anciens membres de l'équipe des Springboks, atteints de pathologies cérébrales, a constitué un nouvel élément à porter au dossier. Pourquoi ces joueurs et aucun autre? Du moins aucun autre cas connu... En Italie, l'intérêt du procureur Guariniello s'est également porté sur 1.973 basketteurs professionnels ayant évolué dans le championnat transalpin entre 1980 et 2004. Comme pour les cyclistes, pas de trace de SLA. "J'ai personnellement effectué une étude sur les 2.363 coureurs ayant disputé le Tour de France entre 1947 et 1998: j'arrive à un constat identique", précise Jean-Pierre de Mondenard. Le lien entre le dopage et la maladie de Charcot paraît donc s'envoler en fumée. Mais peut-être n'est-ce qu'un faux-semblant, peut-être le dopage est-il au moins indirectement impliqué... Des centres universitaires spécialisés dans la SLA ont vu le jour dans différents pays et plusieurs études épidémiologiques ont été réalisées, en particulier dans le monde anglo-saxon. Au Canada, une enquête centrée sur 15.000 joueurs de football américain ayant évolué en ligue nationale a révélé huit cas de SLA - 53,33 pour 100.000. Ce qui défie les normes. Les chercheurs canadiens ont d'ailleurs invité l'ensemble des joueurs à céder leur cerveau à la science. Des neurologues américains ont revisité des cas de SLA. Notamment celui de Lou Gehrig, cette star du baseball des années 1930 qui donna son nom à la sclérose latérale amyotrophique dans les pays anglo-saxons. Pour ces chercheurs, Gehrig aurait en fait été victime d'une démence sénile comparable à l'"encéphalopathie traumatique des pugilistes", une forme d'encéphalopathie chronique post-traumatique. Cette affection neurodégénérative qui touche les boxeurs est de progression lente, contrairement à la SLA. Après avoir entraîné une détérioration graduelle de la personnalité, des troubles de la mémoire, une dysarthrie, un tremblement cérébelleux et une ataxie, elle débouche sur un tableau démentiel - on parle du "syndrome punch-drunk". A priori, la situation des boxeurs serait de nature à invalider l'hypothèse selon laquelle les SLA anormalement nombreuses au sein de certaines catégories d'athlètes seraient causées par des traumatismes crâniens liés à la pratique sportive. "Toutefois, un article publié en 2012 dans la revue Brain sur l'encéphalopathie chronique post-traumatique dévoile que cette affection dans laquelle des dépôts de protéine tau sont retrouvés dans le cerveau des patients est associée à une SLA dans 12% des cas et à une maladie d'Alzheimer dans 11% des cas", rapporte Gaëtan Garraux, chef de clinique dans le service de neurologie du CHU de Liège et professeur de physiologie du système nerveux à la faculté de médecine de l'ULiège. Voilà qui relance le débat... Face aux étranges "épidémies" de SLA apparues dans certains milieux sportifs très ciblés, la piste explicative la plus plausible est celle des traumatismes liés aux contacts entre pratiquants, spécialement au niveau de la tête - cette hypothèse fut notamment privilégiée en 2014 par l'Association américaine de neurologie. Dans le football, le jeu de tête pourrait également être suspecté. Comme le rappelle Jean-Pierre de Mondenard, aucune relation directe n'a été établie entre une substance dopante spécifique et la SLA. Pourtant, il ne jette pas aux orties l'idée d'une possible implication du dopage. "Certaines drogues de la performance, tels les anabolisants, modifient la morphologie des athlètes et d'autres agissent sur leur psychisme", dit-il. " Cela concourt à accroître la violence des chocs dans les sports de contact et, partant, à favoriser les traumatismes." La troisième piste explorée par le procureur Guariniello - les désherbants et pesticides - semble plus improbable, les jardiniers des stades n'étant statistiquement pas plus exposés à la SLA que la moyenne de la population. Quoi qu'il en soit, l'énigme reste entière. Car, par exemple, personne n'a pu expliquer pourquoi, dans le football, seuls les joueurs du Calcio ont été touchés, alors que le dopage n'a manifestement pas de frontières et que le football pratiqué dans des pays comme l'Angleterre ou l'Allemagne est tout aussi "viril" que celui de la péninsule.