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La pauvreté, et par extension la diversité, constituent les domaines d'expertise de Birgitte Schoenmakers, tant au niveau de l'enseignement que dans la recherche. "Impossible d'être un bon docteur sans connaître le contexte socio-économique du patient. Vous ne prescrivez pas systématiquement un puff à un enfant qui, pour la troisième fois, vient en consultation pour une infection des voies respiratoires supérieures par exemple. Le généraliste doit connaître l'environnement de base.""La pauvreté devrait être abordée en profondeur et de manière systématique à chaque étape de la formation de médecine, et non comme un thème isolé", poursuit l'intéressée. "Qu'il s'agisse de maladies systémiques, de troubles cardio-vasculaires ou d'orthopédie, il faut se demander comment un problème s'exprime dans une population en situation de pauvreté." Selon les chiffres de Statbel, l'office belge de statistique, 2,2 millions de Belges couraient un risque de pauvreté ou d'exclusion sociale en 2021. Près d'une personne sur cinq donc... Concrètement, il s'agit d'une des trois situations suivantes: un foyer où le montant total de revenus disponibles se situe en dessous du niveau de pauvreté (1.287 euros par mois pour une personne seule), un foyer où l'intensité de travail est faible, une famille en situation de grave privation matérielle et sociale. Plus de la moitié de cette catégorie de gens (1.384.000 personnes) ont dû faire face l'an dernier à l'un de ces trois sous-risques, alors que 246.000 Belges (2,2% de la population) combinent ses trois risques: en grave privation au niveau social et matériel, avec peu d'intensité de travail et courant un risque de pauvreté monétaire. Dans ces statistiques, les grands absents sont les gens qui courent un risque de pauvreté subjective, fait remarquer Birgitte Schoenmakers. "Je le vois dans mon cabinet. Ce sont des personnes qui n'expriment pas ou à peine leurs difficultés financières, qui n'achètent pas ce que le groupe de référence achète, qui ne voyage pas comme ce dernier." On estime que cela concerne 20% de la population. L'inflation galopante (8,31% en mars, un niveau non atteint depuis mars 1983, surtout imputable à la hausse conséquente du coût de l'énergie) a rendu ce groupe de "pauvres subjectifs" plus visible. "Dernièrement, j'ai accueilli une mère célibataire en consultation qui travaillait comme laborantine et déclarait ne pas allumer le chauffage au cours de la semaine où ses enfants étaient chez son ex. En d'autres mots, il s'agit souvent de personnes au niveau d'études élevé, avec un revenu stable, qui n'ont pas jamais connu la pauvreté, mais qui glisse dans cette direction.""Tout le monde peut s'identifier à ces personnes", poursuit-elle. De quoi, selon la généraliste - du moins l'espère-t-elle-, permettre aux médecins de mieux comprendre la pauvreté (des patients) en général. Non pas que les médecins regardent ce groupe d'un oeil accusateur, souligne Mme Schoenmakers , "mais je remarque parfois que des collègues sont surpris que des patients en situation de pauvreté aient encore une voiture, ou qu'ils aient un emploi malgré leur situation financière. Comprendre la pauvreté exige une bonne connaissance de cette problématique. Qu'est-ce que la pauvreté, et comment y arrive-t-on?" L'absence de connaissances du milieu conduit parfois à mettre les patients en situation de pauvreté dans le même panier que des personnes ayant eu peu de chances de se former. Des personnes avec qui il est de toute façon plus difficile de communiquer, explique le Pr Birgitte Schoenmakers . "Par conséquent, les médecins s'engageront dans une communication moins poussée et se concentreront davantage sur les examens "techniques". C'est ce qui se passe également quand une barrière linguistique se fait sentir entre le patient et son médecin. Cette situation vous amène à soigner le patient différemment."La pauvreté en médecine générale peut être détectée de plusieurs façons . "En lisant la carte d'identité, nous savons déjà si une personne bénéficie d'un statut Omnio et a donc droit à une intervention majorée. En outre, la profession, le lieu de résidence ou le quartier en disent long sur les conditions de vie d'une personne. Une visite à domicile peut aussi révéler beaucoup de choses", poursuit Brigitte Schoenmakers. Il faut regarder plus loin que la façade, au sens littéral. "Une maison nouvellement construite par exemple, avec un grand terrain, mais qui n'est pas très bien décorée à l'intérieur, avec encore - trop - de coins inachevés, trahit le fait qu'une grande partie du budget disponible est consacrée au logement et qu'il reste donc peu pour les autres dépenses."Bien que de nombreux patients ne l'évoquent pas spontanément, ils apprécient que vous vous intéressiez à leur situation socio-économique lors de la consultation, assure-t-elle. Dès que possible, la généraliste ajoute une note à ce sujet dans le DMI. "Quand un patient me dit qu'il a été licencié ou qu'il cherche du travail, je vais l'interroger à ce sujet dès la consultation suivante." Les patients qui vivent dans la pauvreté depuis des années sont "habitués" à ce que ces informations soient connues et que leur dossier soit examiné par toutes sortes de personnes et d'instances. Mais avec ceux que l'on appelle les "nouveaux pauvres", il faut parfois plusieurs consultations pour se rendre réellement compte de leur situation socio-économique, note le Pr Schoenmakers. Pourquoi ce dernier point est-il si important? "Car cela peut aider à replacer certains troubles récurrents dans leur contexte", souligne la généraliste. " La pauvreté a un impact sur l'intégrité physique et psychologique. Cette situation occasionne davantage de maladies chroniques, une vie en bonne santé plus courte, des comorbidités. Plus de troubles "psy" aussi: la honte et la culpabilité, une piètre estime de soi, l'insécurité et le stress permanent peuvent conduire à l'apparition de troubles anxieux, de dépressions, de psychoses, d'une négligences quant aux soins que l'on apporte à soi-même..."La connaissance du statut socio-économique des patients permet également aux médecins de les traiter plus efficacement. Birgitte Schoenmakers: "l'observance thérapeutique est en moyenne de 50%, mais elle baisse à 30% pour les patients en situation de pauvreté. Cela peut être dû à leur niveau d'éducation et à leurs connaissances en matière de santé, mais souvent aussi au coût des médicaments.""Je prescris de toute façon des médicaments génériques, mais si un patient doit faire vivre une famille de plusieurs personnes avec 150 euros par semaine, soyez sûrs que les inhibiteurs de cholestérol seront les premiers frais qu'ils élimineront..."Il en va de même pour les soins dentaires. Birgitte Schoenmakers le sait par expérience. "Je mets un point d'honneur à inspecter les dents de chaque enfant en situation de pauvreté. J'envoie toujours les parents chez le dentiste en leur disant que s'ils se font suivre chaque année, cela ne leur coûtera rien."L'observance des renvois vers le spécialiste constitue toutefois souvent un défi pour les personnes défavorisées. "Par peur des conséquences d'un éventuel diagnostic", explique Schoenmakers. "Pensez à la perte de revenus quand une opération doit être effectuée et que cela les place temporairement en situation d'incapacité de travail, ou au licenciement si l'invalidité perdure, ou devient permanente. D'autant plus que ce type de personnes se trouve souvent déjà dans un position de vulnérabilité au niveau professionnel.""C'est pourquoi, par exemple, lorsque j'oriente un patient vers un hôpital, je m'efforce de contacter les services sociaux à l'avance. Je n'envoie pas non plus les patients vers des policliniques où des frais administratifs supplémentaires seront facturés et où travaillent des médecins non conventionnés."Lorsqu'on a affaire à un patient en situation de pauvreté, il est important de veiller à ses compétences en matière de santé et de prendre le temps de bien expliquer et de cadrer les redirections vers le spécialiste, mais aussi les choix de traitement et les prescriptions, etc., conclut Birgitte Schoenmakers . "Cela peut se faire très simplement en faisant répéter aux patients ce que vous venez de dire. 'Je vous ai prescrit un antibiotique. Comment allez-vous le prendre? Ou encore: je vous ai donné un dépliant. Comprenez-vous ce qui s'y trouve? ' Insistez sur le fait qu'ils doivent vous dire s'ils ne comprennent pas quelque chose, et qu'il y a toujours des solutions pour l'aborder d'une manière différente."