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"C ela fait trop longtemps que l'on reste dans un paradigme moraliste, dans des arguments fallacieux pour les alcooliers et dans un comportement d'autruche pour les politiciens. Et, finalement, les grands perdants sont ceux qui souffrent de problèmes d' alcool", précise le Dr Thomas Orban, généraliste et alcoologue, co-fondateur de la Cellule alcool de la SSMG et du Certificat interuniversitaire d'alcoologie. "L'idée du livre m'est venue en pleine pandémie. Je me suis dit plutôt que de donner sans arrêt la trouille aux gens, pourquoi ne leur parlerait-on pas d'un produit qu'ils utilisent depuis toujours, en leur expliquant qu'on peut faire la fête avec l'alcool, mais qu'il faut savoir ce que c'est l'alcool."Voilà comment est né l'ouvrage Alcool, ce qu'on ne vous a jamais dit. Les deux auteurs détaillent les signes avant-coureurs de l'alcoolo-dépendance et exposent les risques qui y sont liés. Leur objectif est en effet d'inciter à mieux connaître ce produit: types de boissons, effets à court, moyen et long terme, unité d'alcool, épidémiologie des troubles liés à l'alcool, mortalité... Ils donnent les clés du bilan médical et de comportement, du diagnostic de consommation, les objectifs de soins et les outils à disposition (cures, livres, suivi médical, AA, médicaments et sites de soutien)... Enfin, ils proposent des pistes pour que la prévention et la réglementation permettent de porter un regard plus éclairé sur ce problème de santé publique et ils appellent les autorités compétentes à agir sans délai. Cet ouvrage s'adresse à tous mais aussi aux soignants et notamment aux médecins généralistes à qui le Dr Orban aimerait transmettre sa vision humaniste des choses: "Sortez de cette vision moraliste et osez aller dans une vision du soin, de l'accompagnement, de l'écoute. On connaît bien ça pour d'autres problèmes de santé mais quand c'est l'alcool, bizarrement, soit on minimise, soit on juge, mais en tout cas souvent on se sent mal à l'aise. Il y a un manque de savoir-faire et de savoir être. Je ne leur jette pas la pierre, c'est un message important de confraternité. Que ce soit pour les généralistes ou les psychiatres, il n'y a pas vraiment de formation de base et peu de formation adéquate, à part celles qu'on a mise en place au sein de la SSMG et puis du Certificat interuniversitaire d'alcoologie"."Il est important de rappeler le rôle du généraliste parce qu'il a une vue de son patient dans la temporalité, il le voit régulièrement et il n'y a pas d'urgence à avoir des résultats. Je fais le parallèle avec les diabétiques qu'on voit régulièrement, à qui il faut souvent rappeler la même chose, qui racontent parfois des carabistouilles parce qu'ils n'ont pas envie de dire qu'ils ont pris plus de gâteau... Après, je ne suis pas naïf, je sais qu'un patient très alcoolodépendant, c'est beaucoup de souffrances, beaucoup de difficultés de gestion via les problèmes neurocognitifs... Néanmoins, c'est la même approche: je vais utiliser le temps, accompagner le patient, l'aider à renforcer sa motivation à changer, accueillir ses moments de fragilité en lui disant que ce n'est pas dramatique, qu'on reprendra quand l'énergie reviendra... On ne soigne pas une pneumonie!", commente-t-il. "L'accueil non stigmatisant, la bienveillance et le non jugement, c'est le b.a.-ba qu'on utilise de plus en plus pour beaucoup de choses: les problèmes de genre, de sexualité... alors pourquoi on n'en parle pas pour l'alcool? Accueillons ces patients comme ils sont. Parfois les gens me disent que je suis gentil, je leur réponds que je ne suis pas gentil mais que je suis professionnel! Je sais que si je vous accueille comme ça, on arrivera mieux à vous soigner. C'est important."Depuis longtemps, Thomas Orban plaide pour un Plan Alcool qui concernerait non seulement la prévention mais aussi la prise en charge multidisciplinaire du patient alcoolodépendant: "Comment se fait-il qu'on trouve normal que pour l'agrément d'une clinique du sein, il faut des infirmiers coordinateurs, alors que ce n'est pas prévu, ni remboursé pour le suivi d'un alcoolodépendant, alors qu'il en aurait bien besoin? Le MG reste au centre comme gestionnaire du DMG mais il faudrait quelqu'un pour accompagner le patient dans le soin, pour l'aider à prendre ses rendez-vous... C'est l'idée du 'take care' or, aujourd'hui, on ne prend pas soin de ces patients alors qu'ils ont des problèmes neurocognitifs, parfois des difficultés psychosociales...", s'insurge-t-il, tout en regrettant la frilosité des politiques à l'idée d'un tel Plan Alcool. "C'est toute la vision de la société qui doit changer, celle de l'enseignement, des parents pour leurs enfants, des entreprises... La nouvelle technique de ceux qui ne veulent pas qu'on s'occupe de l'alcool c'est de dire qu'il ne faut pas stigmatiser ceux qui veulent boire et de traiter ceux qui s'en s'occupent d'hygiénistes. Ces arguments fallacieux cachent des tueurs: en vous laissant faire, en ne vous aidant pas à y voir clair, on fabrique vos cancers, vos violences, les accidents de la route... Il faut oser le dire. Et ce n'est pas en s'affrontant qu'on va aller mieux, c'est plutôt en tablant sur l'intelligence collective", plaide Thomas Orban. "Apprenez à connaître l'alcool et après, vous déciderez en connaissance de cause", insiste-t-il. "Quand vous demandez aux gens s'ils savent ce que devient l' alcool dans le corps, quels sont les problèmes qu'il pose à long terme, la plupart d'entre eux répondent 'la cirrhose'... Or, non, le plus fréquent c'est le cancer. Ce n'est pas un hasard si la "Tournée minérale" a été inventée par la Fondation contre le cancer! C'est le message: arrêtons de banaliser l'alcool, sachons de quoi on parle!"