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Le propos développé par la curatrice Beatriz Colomina, est de montrer comment, depuis la fin du 19e siècle et jusqu'à aujourd'hui, l'architecture a servi les patients, les soignants et les autorités qui s'en chargent, mais aussi a provoqué elle-même la propagation des maladies. Fukushima en est un exemple, spectaculaire bien que hors propos, illustré par un film dans une exposition qui montre également par des vues et plan de coupes La Salpêtrière, lieu où l'on parquait les soi-disant hystériques, souvent des femmes qui refusaient la norme sociale, Ellis Island qui, sous couvert de mesures d'hygiène, permettait de faire le tri entre bons et mauvais migrants, le recouvrement de la Senne dont la réalisation ne visait pas seulement à repousser les maladies.... L'architecture s'est mis au service de ses clients, dans la conception d'asiles semblables à des prisons, (remodelés en espaces bien plus tolérants et ouverts par exemple par de Vylder et Vinck, lauréats de la Biennale d'Architecture à Venise, à l'institut Kanunnik Petrus à Melle près de Gand), des tendances qui disparaîtront avec le temps: en Lozère, au début du siècle dernier, à Margeride-en-Gévaudan les "malades" sont insérés dans la population locale. Une expérience déjà réalisée à Geel et qui s'y poursuit aujourd'hui dans une tradition légendaire qui remonte au 14e siècle et qui voit les internés interagirent librement avec cette petite ville: en 1938, sur ses 14.000 habitants, quatre mille étaient patients. Ailleurs et aujourd'hui, le bureau 51N4E réalise un projet d'intégration de personnes handicapées dans la ville, avec laquelle ils communiquent plutôt que de s'en voir éloigné comme auparavant. Photos, cartes et plans à l'appui, l'expo montre comment l'architecte est parfois complice d'une différenciation raciale, sous couvert de protection contre les maladies, comme ce fut le cas au Congo. Baloji montre très bien la zone tampon, dans une oeuvre photographique aérienne, qui séparait les quartiers européens des indigènes soi-disant pour cause de maladie chez les seconds. Divers et contrastés, les exemples remonte jusqu'au 15e siècle en évoquant notamment la création du premier lazaretto, le lazaret sur une île de Venise dans un propos qui met en exergue les divers projets de sanatoriums parfois réalisés en Belgique, de Brunfaut, d'Hankar à Kraainem, la Fondation médicale Reine Elisabeth à Laeken par Henri Lacoste, celui spectaculaire de solarium tournant conçu à Aix-les-Bains par le Dr Saidman. Tous revendiquant pour les tuberculeux, le bon air et la lumière. Deux salles annexes déploient cette fois des témoignages en trois dimensions: celui du mobilier conçu par Alvar Aalto qui fut lui-même tuberculeux et qui imagina à Paimio en 1931 dans sa Finlande natale, un sanatorium d'une blancheur et une aseptisation répondant parfaitement aux prescriptions modernistes et médicales adoptant ce qui est aujourd'hui l'attitude des architectes de plus en plus intéressés par le champ du médical, à savoir la position de faiblesse du malade. Spectaculaire aussi la salle qui déploie une un vieux Emerson Respirator destiné aux victimes de la polio: une grande photo les montre alignés en forme de bataillon, cliché mis en regard d'un parking madrilène transformé en hôpital de campagne pour malades du Covid durant la première vague... L'exposition illustre encore notamment des expériences architecturales lancées dans la mouvance de l'antipsychiatrie, notamment en Italie par Franco Basaglia à Trieste qui, dans la mouvance d'un Michel Foucault, dénonçait la politique pratiquée envers les aliénés et les prisonniers, ce qui revenait souvent au même.... Bien sûr parmi les projets revisités celui de l'institut Bordet par Jasinski et Brunfaut, ceux de Horta, Le Corbusier ou Josef Hoffmann entre autres, des réalisations plus simples également comme des petites maisons anti moustiques au début du siècle dernier, l'institut dentaire imaginé par Michel Polak (qui se voit consacré une expo en ce moment à la Fondation Boghossian) dans le parc Léopold ou le projet tout récent et touchant de Maggie Keswick Jencks, architecte de jardin qui, atteinte d'un cancer, imagine des centres ouverts, colorés, d'une atmosphère sereine destinée à soigner, notamment le moral des malades dans des bâtiments remarquables conçus notamment par Frank Gehry, Zaha Hadid ou Richard Rogers. Touffue en cartels, photos, dessins, affiches et panneaux, cette exposition différente, mais exigeante, prouve que si des architectes ont par le passé conçu des folies (des maisons de villégiature), ils ont aussi au cours du temps bâti, et de manière de plus en plus concernée, des édifices imaginés pour ceux qui en souffrent...