"L es conséquences psychologiques pour le personnel soignant sont encore difficiles à estimer ", juge Isabelle Merckaert. " C'est certainement durant ces semaines de déconfinement et de sortie de la phase aiguë de pandémie que les personnes sont susceptibles de ressentir à des degrés divers un certain épuisement émotionnel voire de développer des réactions post traumatiques. Il faut y porter une grande attention ", insiste-t-elle.

" Des sentiments intenses de terreur, de craintes pour leur vie et celle de leurs proches, ont pu être évoqués par les soignants des unités de première ligne durant les premières semaines de la pandémie. Il y avait beaucoup d'incertitudes, peu d'informations sur les risques réels de contamination, sur les complications potentielles et souvent un manque de moyens de protection. Il n'y avait que peu de connaissance sur l'efficacité des gestes barrières ", poursuit la psychologue .

Mais tous les soignants n'ont pas ressenti de sentiments intenses dans les heures qui ont suivi la confrontation aux premiers malades atteints par le virus et hospitalisés. " Certains les ont développés ou vont les développer dans les semaines voire les mois à venir et sous diverses manifestations. Ce sont des personnes qui vont devenir hyper vigilantes, ayant constamment l'impression qu'une catastrophe va arriver. Elles peuvent rapporter des intrusions dans leur esprit d'images, de sons ou d'autres sensations qui évoquent une situation vécue et traumatisante. Elles peuvent se sentir anxieuses, tristes, avoir un sentiment de ne plus ressentir aucun plaisir dans leur quotidien, ressentir des émotions atténuées, comme si elles fonctionnaient de manière automatique et se trouvaient dans un tunnel ou encore se sentir incapables de s'apaiser dans leur vie quotidienne. C'est là qu'elles risquent de développer des symptômes comme des troubles du sommeil, des cauchemars, recourir à la consommation de substance, d'alcool ou de tabac. On peut alors observer des dérégulations sévères du fonctionnement psychologique ", explique Isabelle Merckaert.

Une des particularités de cette crise a été la nécessité d'anticiper. " Pendant de nombreuses semaines, les soignants ont dû se préparer à faire face à des " vagues " de patients à soigner. Ils ont dû s'adapter à des anticipations médicales très anxiogènes telles que devoir faire face à un manque de respirateurs, et devoir anticiper des choix impossibles permettant de sauver certaines vies sans pouvoir en sauver d'autres. Même s'il n'a pas été nécessaire de prendre de telles décisions, les soignants ont dû activement y réfléchir et s'y préparer. Il y a eu beaucoup d'anticipations anxieuses à ce sujet parmi les soignants. Tout au long de cette période, ils ont accompagné heure après heure des personnes qui sont ensuite décédées, dans un contexte particulier car marqué par la solitude et l'isolement ", ajoute-t-elle .

Différentes stratégies de prise en charge

En fonction de l'étape de la crise, différentes stratégies de prises en charge ont été mises en place à l'Institut Bordet. " Pendant les moments intenses de la crise, il y avait des lignes d'appel pour les soignants, pour qu'ils puissent prendre contact avec nous. Mais assez vite, nous nous sommes rendu compte qu'il était utile de prendre également contact directement avec eux de manière personnalisée. Nous avons fait cela durant les mois d'avril et de mai. Nous avons contacté les soignants qui étaient dans les unités Covid et les soignants qui avaient été exposés à des situations compliquées telles que la prise en charge de patients qui devaient être hospitalisés dans le cadre du traitement de leur cancer et qui étaient infectés par le Covid. Il y a eu un autre défi majeur à relever pour les soignants : celui de continuer à traiter les patients pour leur cancer ou ses complications tout en les protégeant du Covid alors que leur famille ne pouvait pas les accompagner. Il est clair que ce soutien doit pouvoir continuer à être mis en place. "

La reprise à l'Institut Jules Bordet

" La reprise a été très particulière car nous ne sommes pas retournés à la situation d'avant la pandémie. L'hôpital a changé. Il n'est plus le même pour les patients. Les soignants portent des masques. Il y a plus de protocoles de sécurité. Pour certains patients, cela peut rendre l'hôpital moins convivial qu'avant. Pour d'autres, cela le rend plus insécurisant. C'est pour cela que tous les soignants redoublent d'efforts pour accueillir les patients et les accompagner avec le professionnalisme, la chaleur et la bienveillance de l'hôpital au-delà des masques et des autres mesures de protection. "

" Les prises en charge impliquent aujourd'hui de gérer les traitements non-urgents qui ont dû être mis en attente ; les dépistages qui doivent se faire maintenant dans un contexte comprenant de nombreuses mesures de protection, une restriction du nombre de personnes dans les salles d'attentes et les proches qui peuvent moins être présents pour accompagner les moments difficiles. "

La reprise est particulière également car elle s'accompagne de craintes et de questionnements pour le futur. Les soignants ont d'abord des craintes pour leurs institutions qui ont été en difficulté. " Le personnel reste dans un état de vigilance car les risques financiers pour leurs institutions renvoient à la crainte de risques financiers pour soi. Un sentiment qui n'offre certainement pas de l'apaisement. " Ils ont également des craintes pour l'évolution de leur métier et de son exercice dans les mois et les années à venir. Ils doivent également répondre aux questions et aux craintes des patients et de leurs proches. " Est-ce que je peux reprendre une vie comme avant ? Moi qui suis plus à risque, dois-je rester à l'écart de mes proches ? Dans quelles mesures puis-je élargir ma bulle, de la même manière que les autres ou pas ? "

" Toutes ces discussions autour des risques sont encore plus compliquées à gérer pour les soignants confrontés à des patients souffrant de maladies chroniques ", précise la psychologue. " En oncologie, la question de l'incertitude est omniprésente. Avec la pandémie de Covid, les patients, leurs proches et les soignants doivent faire face à de nouvelles incertitudes associées à une maladie inconnue jusqu'il y a peu. La multiplication de ces incertitudes et leur succession au fur et à mesure des phases de la pandémie peuvent entraîner chez de nombreux soignants l'impossibilité de s'apaiser totalement sur leur lieu de travail et en dehors. Le risque d'épuisement psychologique devient alors majeur. "

Des groupes de paroles

La Clinique de psycho-oncologie de l'Institut Bordet et le Centre de psycho-oncologie (asbl) ont collaboré activement et dès le début de la pandémie pour proposer des groupes de paroles à ceux qui le souhaitent, dont font partie des soignants. Ces groupes permettent d'échanger, de se libérer, de parler des peurs qui peuvent s'amplifier ou qui ont des conséquences néfastes sur le quotidien, de réfléchir ensemble sur les manières de se préparer aux mois qui viennent.

" Des groupes de soignants qui se connaissent se sont également créés. Ils avaient envie d'avoir un lieu où réfléchir à comment réguler leurs émotions, et de partager les stratégies pour faire face aux stress potentiellement traumatiques auxquels ils ont été exposés. Apprendre à mieux s'observer soi et comment réagir. Reconnaître les émotions qui se renforcent l'une l'autre et qui font qu'on se retrouve coincé dans un cercle vicieux, où la fatigue, l'anxiété, la frustration... entraînent la rumination des pensées tristes ou anxiogènes. La rumination conduit au manque de sommeil et le manque de sommeil à la fatigue et l'irritabilité. Ces groupes autour de la régulation des émotions aident à réfléchir aux méthodes et aux outils qui peuvent être utiles tels que la méditation, la relaxation et l'hypnose. Des outils qui permettent de s'ancrer dans le quotidien, de réorienter l'attention vers des choses positives et contrôlables et de freiner l'orientation vers le futur et la rumination. "

Extension de la prise en charge psycho- logique

L'extension des soins psychologiques de première ligne remboursés à l'ensemble de la population a récemment été approuvée. Et ce pour faire face aux problèmes psychosociaux en augmentation, liés à la pandémie Covid-19.

L'objectif de cette prise en charge psychologique de première ligne est la prévention, la détection précoce et l'intervention auprès des personnes présentant un mal-être psychologique temporaire, afin d'éviter que des problèmes légers ou modérés n'évoluent vers une pathologie chronique et complexe. Par ailleurs, l'impact de cette crise sur le personnel soignant ne doit pas être sous-estimé. Un risque accru d'infection, une charge de travail importante et le contact avec la souffrance et la mort peuvent entraîner une augmentation des problèmes de santé mentale tels que les plaintes d'anxiété, la dépression ou une consommation accrue d'alcool ou autres substances. Le personnel soignant ne doit donc pas hésiter à faire appel à ces soins.

Une carte interactive a été mise en place pour rechercher plus facilement les psychologues et orthopédagogues de première ligne : http://bit.ly/trouverunPPL.

"L es conséquences psychologiques pour le personnel soignant sont encore difficiles à estimer ", juge Isabelle Merckaert. " C'est certainement durant ces semaines de déconfinement et de sortie de la phase aiguë de pandémie que les personnes sont susceptibles de ressentir à des degrés divers un certain épuisement émotionnel voire de développer des réactions post traumatiques. Il faut y porter une grande attention ", insiste-t-elle. " Des sentiments intenses de terreur, de craintes pour leur vie et celle de leurs proches, ont pu être évoqués par les soignants des unités de première ligne durant les premières semaines de la pandémie. Il y avait beaucoup d'incertitudes, peu d'informations sur les risques réels de contamination, sur les complications potentielles et souvent un manque de moyens de protection. Il n'y avait que peu de connaissance sur l'efficacité des gestes barrières ", poursuit la psychologue .Mais tous les soignants n'ont pas ressenti de sentiments intenses dans les heures qui ont suivi la confrontation aux premiers malades atteints par le virus et hospitalisés. " Certains les ont développés ou vont les développer dans les semaines voire les mois à venir et sous diverses manifestations. Ce sont des personnes qui vont devenir hyper vigilantes, ayant constamment l'impression qu'une catastrophe va arriver. Elles peuvent rapporter des intrusions dans leur esprit d'images, de sons ou d'autres sensations qui évoquent une situation vécue et traumatisante. Elles peuvent se sentir anxieuses, tristes, avoir un sentiment de ne plus ressentir aucun plaisir dans leur quotidien, ressentir des émotions atténuées, comme si elles fonctionnaient de manière automatique et se trouvaient dans un tunnel ou encore se sentir incapables de s'apaiser dans leur vie quotidienne. C'est là qu'elles risquent de développer des symptômes comme des troubles du sommeil, des cauchemars, recourir à la consommation de substance, d'alcool ou de tabac. On peut alors observer des dérégulations sévères du fonctionnement psychologique ", explique Isabelle Merckaert. Une des particularités de cette crise a été la nécessité d'anticiper. " Pendant de nombreuses semaines, les soignants ont dû se préparer à faire face à des " vagues " de patients à soigner. Ils ont dû s'adapter à des anticipations médicales très anxiogènes telles que devoir faire face à un manque de respirateurs, et devoir anticiper des choix impossibles permettant de sauver certaines vies sans pouvoir en sauver d'autres. Même s'il n'a pas été nécessaire de prendre de telles décisions, les soignants ont dû activement y réfléchir et s'y préparer. Il y a eu beaucoup d'anticipations anxieuses à ce sujet parmi les soignants. Tout au long de cette période, ils ont accompagné heure après heure des personnes qui sont ensuite décédées, dans un contexte particulier car marqué par la solitude et l'isolement ", ajoute-t-elle .En fonction de l'étape de la crise, différentes stratégies de prises en charge ont été mises en place à l'Institut Bordet. " Pendant les moments intenses de la crise, il y avait des lignes d'appel pour les soignants, pour qu'ils puissent prendre contact avec nous. Mais assez vite, nous nous sommes rendu compte qu'il était utile de prendre également contact directement avec eux de manière personnalisée. Nous avons fait cela durant les mois d'avril et de mai. Nous avons contacté les soignants qui étaient dans les unités Covid et les soignants qui avaient été exposés à des situations compliquées telles que la prise en charge de patients qui devaient être hospitalisés dans le cadre du traitement de leur cancer et qui étaient infectés par le Covid. Il y a eu un autre défi majeur à relever pour les soignants : celui de continuer à traiter les patients pour leur cancer ou ses complications tout en les protégeant du Covid alors que leur famille ne pouvait pas les accompagner. Il est clair que ce soutien doit pouvoir continuer à être mis en place. "" La reprise a été très particulière car nous ne sommes pas retournés à la situation d'avant la pandémie. L'hôpital a changé. Il n'est plus le même pour les patients. Les soignants portent des masques. Il y a plus de protocoles de sécurité. Pour certains patients, cela peut rendre l'hôpital moins convivial qu'avant. Pour d'autres, cela le rend plus insécurisant. C'est pour cela que tous les soignants redoublent d'efforts pour accueillir les patients et les accompagner avec le professionnalisme, la chaleur et la bienveillance de l'hôpital au-delà des masques et des autres mesures de protection. "" Les prises en charge impliquent aujourd'hui de gérer les traitements non-urgents qui ont dû être mis en attente ; les dépistages qui doivent se faire maintenant dans un contexte comprenant de nombreuses mesures de protection, une restriction du nombre de personnes dans les salles d'attentes et les proches qui peuvent moins être présents pour accompagner les moments difficiles. "La reprise est particulière également car elle s'accompagne de craintes et de questionnements pour le futur. Les soignants ont d'abord des craintes pour leurs institutions qui ont été en difficulté. " Le personnel reste dans un état de vigilance car les risques financiers pour leurs institutions renvoient à la crainte de risques financiers pour soi. Un sentiment qui n'offre certainement pas de l'apaisement. " Ils ont également des craintes pour l'évolution de leur métier et de son exercice dans les mois et les années à venir. Ils doivent également répondre aux questions et aux craintes des patients et de leurs proches. " Est-ce que je peux reprendre une vie comme avant ? Moi qui suis plus à risque, dois-je rester à l'écart de mes proches ? Dans quelles mesures puis-je élargir ma bulle, de la même manière que les autres ou pas ? " " Toutes ces discussions autour des risques sont encore plus compliquées à gérer pour les soignants confrontés à des patients souffrant de maladies chroniques ", précise la psychologue. " En oncologie, la question de l'incertitude est omniprésente. Avec la pandémie de Covid, les patients, leurs proches et les soignants doivent faire face à de nouvelles incertitudes associées à une maladie inconnue jusqu'il y a peu. La multiplication de ces incertitudes et leur succession au fur et à mesure des phases de la pandémie peuvent entraîner chez de nombreux soignants l'impossibilité de s'apaiser totalement sur leur lieu de travail et en dehors. Le risque d'épuisement psychologique devient alors majeur. " La Clinique de psycho-oncologie de l'Institut Bordet et le Centre de psycho-oncologie (asbl) ont collaboré activement et dès le début de la pandémie pour proposer des groupes de paroles à ceux qui le souhaitent, dont font partie des soignants. Ces groupes permettent d'échanger, de se libérer, de parler des peurs qui peuvent s'amplifier ou qui ont des conséquences néfastes sur le quotidien, de réfléchir ensemble sur les manières de se préparer aux mois qui viennent. " Des groupes de soignants qui se connaissent se sont également créés. Ils avaient envie d'avoir un lieu où réfléchir à comment réguler leurs émotions, et de partager les stratégies pour faire face aux stress potentiellement traumatiques auxquels ils ont été exposés. Apprendre à mieux s'observer soi et comment réagir. Reconnaître les émotions qui se renforcent l'une l'autre et qui font qu'on se retrouve coincé dans un cercle vicieux, où la fatigue, l'anxiété, la frustration... entraînent la rumination des pensées tristes ou anxiogènes. La rumination conduit au manque de sommeil et le manque de sommeil à la fatigue et l'irritabilité. Ces groupes autour de la régulation des émotions aident à réfléchir aux méthodes et aux outils qui peuvent être utiles tels que la méditation, la relaxation et l'hypnose. Des outils qui permettent de s'ancrer dans le quotidien, de réorienter l'attention vers des choses positives et contrôlables et de freiner l'orientation vers le futur et la rumination. "