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Premier point: de quoi parle-t-on exactement? " Il est très compliqué de dire sur base subjective en fonction de l'anamnèse que le patient est anosmique. On peut dire qu'il a un trouble de l'odorat mais l'utilisation des termes anosmie (perte d'odorat complète), hyposmie (perte partielle) et normosmie est réservée lorsque le patient a réalisé des tests semi-objectifs de l'olfaction (sniffing tests), précise Jérôme Lechien (UMon s). "Dans beaucoup de cas, on peut simplement dire que l'odorat est réduit mais reste dans des valeurs normales, on parle alors de normosmie." Autre définition, celle du goût, soit la perception du sucré, salé, acide, amer et umami. " En dehors, on parle plutôt d'arôme, un mélange de goût et d'odorat. C'est important parce que beaucoup de patients disent qu'ils ont un problème de goût alors qu'ils perçoivent le sucré, le salé, etc., mais pas le chocolat ou la banane, par exemple, qui sont des arômes. Quand l'odorat est atteint, il y a une réduction des arômes, ce qui est souvent confondu avec le goût. Ces définitions permettent de savoir si le patient a un véritable problème de goût ou si c'est plutôt un problème d'arôme, secondaire à un problème d'odorat", insiste-t-il. La perte d'odorat a été identifiée comme symptôme clé du Covid-19 à la faveur d'une étude (1) menée en mars 2020 par l'équipe des Prs Lechien et Saussez, en collaboration avec des centres hospitaliers européens. " Chez les patients qui avaient bénéficié d'un test PCR, 85% avaient une perte d'odorat et 88% une perte de goût, 44% ont récupéré leurs facultés olfactives dans les deux semaines." Une méta analyse américaine (2) a mis en évidence une variation entre les ethnies, ce symptôme se retrouvant chez 51 à 54% des Caucasiens contre 31% des Asiatiques (sud-est). " Ce qui explique, en partie, pourquoi les études chinoises initiales n'ont pas rapporté ce symptôme. Il a été identifié en Europe parce qu'on est beaucoup plus concernés que les Asiatiques", fait-il observer. Une étude(3), réalisée par le duo d'ORL montois avec des collaborateurs européens, a montré qu'une perte d'odorat brutale et isolée (sans fièvre, sans problème respiratoire...) est un symptôme clé notamment des formes légères et modérées. " Nous avons également étudié les symptômes au niveau des fosses nasales chez ces patients. Quand on a une rhinite, on sent moins les arômes et les odeurs. Pourquoi? Parce qu'on a un oedème des muqueuses nasales, l'endroit qui capte en partie les odeurs (la fente olfactive au niveau de la partie supérieure dans le toit des fosses nasales) est bloqué et les odeurs n'arrivent pas sur les récepteurs. On s'est demandé si c'était le mécanisme dans le cadre du Covid-19 or, moins de 50% des patients ont une obstruction nasale au moment où ils développent leur perte d'odorat." Les Prs Lechien et Saussez (4) ont aussi démontré que plus le patient développe un Covid sévère, plus la prévalence de la perte d'odorat est faible (10 à 20%). Dans les formes légères et modérées, 70 à 85% perdent l'odorat, ce qui confère à ce symptôme une valeur pronostique. " Sur le plan physiopathologique, on pense de plus en plus qu'il y a une dissémination du virus par le biais de la muqueuse olfactive, le long des radicelles du nerf olfactif jusqu'au bulbe olfactif, puis dans le reste du cerveau. Le neuro-épithélium olfactif est un endroit où il y a une surexpression de l'ACE2, le récepteur par lequel le virus entre dans les tissus. On peut donc comprendre pourquoi il pénètre aussi facilement dans le bulbe olfactif et donne cette réaction inflammatoire qui va engendrer une destruction des cellules de soutien aux neurones olfactifs et donner cette perte d'odorat", explique l'ORL. Jérome Lechien a souligné le rôle extrêmement important du médecin généraliste dans la prise en charge de la perte d'odorat liée au Covid-19: " Beaucoup récupèrent dans les deux semaines mais, dans le doute, je leur conseille de commencer une rééducation. Le protocole est très simple: il faut sentir les odeurs du quotidien, trois à cinq fois par jour (pour être sûr qu'ils le fassent deux fois! ) et surtout les regarder, c'est très important. Par exemple, on sent son café et on regarde sa tasse, deux ou trois fois. Idem pour le parfum." " J'insiste sur le fait de regarder parce que, dans la première vague, on a eu quelques patients qui ont fait cela à l'aveugle et qui sont revenus quelques mois plus tard en se plaignant de sentir les odeurs mais de ne pas les reconnaître. Il y a un double niveau dans la rééducation: le fait de capter l'odeur, de l'identifier et puis de l'associer à ce que c'est. On voit maintenant des gens à un an et la plupart gardent des parosmies (perceptions qui ne correspondent pas à la stimulation), même avec le training, pendant très longtemps." " Sans traitement, 95% récupèrent l'odorat à six mois, mais le pourcentage de parosmies est supérieur aux 5% restants! Les anosmiques récupèrent mais, en réalité, ils ont plein d'odeurs perturbées et fantômes, ce qui est beaucoup plus gênant que le fait de moins sentir. Il est probable que le Covid-19 donne des atteintes neurologiques sur le long terme...", met en garde le Pr Saussez. Pour aider les patients à récupérer le goût et l'odorat, Jérome Lechien donne quelques conseils pratiques (alimentation équilibrée, antioxydants, vitamines B9 & B12, sérum physiologique enrichi en oligo-éléments...) dans une vidéo YouTube.(5)