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"Il y a environ cinq ans d'ici, j'ai vu un reportage télévisé consacré à la méthode proposée par le professeur Per Sodersten au Karolinska Institute pour traiter les personnes atteintes de troubles du comportement alimentaire ", se souvient le Pr Marie Delhaye, directrice du service de pédopsychiatrie de l'hôpital Erasme. " Plutôt que de cibler les processus cognitifs dysfonctionnels, il a pris le parti de commencer par rééduquer les patients anorexiques à manger et à rééprouver un sentiment de satiété1. Dans le reportage, il était question d'une application, le 'Mandometer', développée par les médecins suédois. "" Étant donné que nous avons de plus en plus de jeunes avec un trouble de conduite alimentaire de type anorexie restrictive, et vu que nous n'avons pas encore trouvé une méthode qui permette d'accélérer le processus de guérison de tels patients, je me suis dit, l'an dernier, qu'il fallait que j'aille voir ce qui se passe en Suède. "En juin 2018, Marie Delhaye a donc été visité le service du Pr Sodersten et elle est revenue convaincue. " Je le suis d'autant plus que la méthode qu'il utilise dans sa clinique depuis le début des années 2000 affiche des résultats positifs. "Considérée comme déplacée et même dangereuse quand elle a été initiée, la démarche, qui tend vers une normalisation de la consommation alimentaire, fait en effet aujourd'hui l'unanimité en Suède alors que les traitements classiques, qu'il s'agisse de la thérapie cognitivo-comportementale ou de médicaments psychoactifs, se révèlent peu efficaces.Par ailleurs, une large étude2 menée sur plus de 1.500 patients montre que cette approche permet un taux de rémission de 75% en moyenne sur un an de traitement, alors que ce taux n'est que d'environ 50% avec le meilleur traitement standard actuel. De plus, le taux de rechute est réduit à 10% sur cinq ans de suivi et aucun participant n'est décédé.Grâce au soutien d'un mécène du Fonds Érasme, le Pr Delhaye et son équipe ont pu aller se former en Suède et introduire ensuite la méthode Sodersten à Erasme. Cette méthode comprend donc l'utilisation d'une application appelée " Mandometer ", qui aide les patients à contrôler leur comportement alimentaire." Le patient mange des aliments dans une assiette posée sur une balance en forme de platine connectée à leur smartphone ", explique la directrice. " La balance enregistre le poids de la nourriture qu'il a avalée pendant le repas, et elle calcule le nombre de calories absorbées. Via une application, elle crée une courbe de consommation de nourriture, de la durée du repas, et donc de la vitesse à laquelle il mange, et du taux de consommation. Durant le repas, à intervalles réguliers, il est invité à évaluer son sentiment de satiété. "" Des courbes de référence pour le taux de consommation et pour la sensation de plénitude, qui sont basées sur des comportements alimentaires sains, sont également affichées sur l'écran du smartphone. Le patient apprend ainsi à visualiser à quoi ressemblent des portions normales et un rythme normal d'alimentation, et il peut adapter ses propres courbes en temps réel aux courbes de référence. Cette approche lui permet aussi de constater directement ses progrès. "" Fort prisé par les adolescents, le smartphone, permet de capter leur attention tout en leur réapprenant à manger ", poursuit Marie Delhaye. " Grâce aux informations précieuses qui sont collectées, un nutritionniste va ensuite ajuster le contenu de l'assiette. Et les parents n'angoissent plus par rapport à ce qu'ils doivent mettre dans les plats puisque c'est l'application qui leur donne cette information. "" La méthode suédoise prévoit également un temps de repos après le repas car il s'agit d'un moment anxiogène pour les anorexiques qui craignent d'avoir trop mangé. C'est pourquoi, une fois le repas terminé, nous proposons dorénavant à nos patients qui sont en hospitalisation de se détendre sous une couverture chauffante. Cela présente également l'avantage de limiter au maximum le recours aux médicaments. "Le Pr Delhaye espère aussi que la nouvelle approche permettra de raccourcir quelque peu la durée d'hospitalisation des patients anorexiques qui à l'heure actuelle varie de 8 à 12 semaines, et elle rappelle au passage que la prise en charge se passe en deux temps." D'abord en résidentiel au sein de notre unité où on établit un poids de santé que le patient accepte d'obtenir. Et quand il l'atteint, il peut ensuite rentrer chez lui avec son 'Mandomètre'. Toutefois, il ne reste pas seul pour faire face à la problématique puisque nous assurons ensuite un suivi en ambulatoire d'environ trois ans, au cours duquel les consultations ont tendance à s'espacer au fur et à mesure de son évolution. "Marie Delhaye signale encore qu'à Érasme trois patients ont déjà accepté d'adhérer au nouveau programme qui a débuté il y a environ un mois. " Ils disent qu'ils l'apprécient, et les parents sont également satisfaits... "