La victoire de Donald Trump dans la course à la Maison Blanche n'a pas laissé les marchés financiers indifférents. Comme prévu, les actions américaines ont enregistré un joli bond, d'autant qu'aujourd'hui encore plus qu'hier, les investisseurs européens leur donnent, eux aussi, la priorité dans leurs portefeuilles!
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Le scénario était prévu et il s'est réalisé. Le candidat Trump visait un fort abaissement des impôts pour les entreprises, avec un taux revenant de 21 à 15%. Alors que la candidate Harris voulait le porter à 28%. Il était donc clair qu'une victoire du républicain allait soutenir les cours à Wall Street. Autre point important de son programme: l'imposition de droits de douane élevés sur les produits venant de l'étranger, soit 10 ou 20% dans l'ensemble, mais pas moins de 60% pour les marchandises en provenance de Chine! Or, on connaît le poids de ce pays dans l'approvisionnement de l'Occident. Cette démarche est dès lors susceptible de faire gonfler l'inflation. Les investisseurs vont en conséquence, pour s'en protéger, exiger des rendements plus élevés. Autrement dit, ceci va entraîner une hausse des taux d'intérêt à long terme. Et ceci d'autant plus qu'avec la baisse des recettes fiscales, le déficit budgétaire va encore s'alourdir, nécessitant un recours accru à l'emprunt. Rarement un scénario politico-financier s'est-il réalisé aussi fidèlement. Avec des nuances cependant, le secteur de la santé flanchant au contraire à Wall Street. Par ailleurs, de ce côté-ci de l'Atlantique émergeait également un grand vainqueur: le secteur de la défense. Outre l'abaissement du taux d'imposition des entreprises, le programme de Donald Trump prévoyait une beaucoup plus grande liberté de manoeuvre pour deux secteurs en particulier: la finance et l'énergie. On évoque plus précisément une déréglementation pour le premier et, pour le second, une grande facilité à obtenir des permis de recherche et d'exploitation pour les entreprises pétrolières et gazières. Comme attendu et très logiquement donc, ces deux secteurs furent à la fête ces dernières semaines. Point de repère pour fixer les idées: mesurée par l'indice Standard & Poors 500, la bourse américaine avait gagné 3,7% entre le 4 et le 6 novembre, soit entre la veille et le lendemain des élections. Les deux secteurs chouchoutés par le futur président ont fait beaucoup mieux: +7,2% pour l'indice S&P 500 reprenant les entreprises financières et +6,2% pour l'indice regroupant les sociétés d'exploration et de production de pétrole et de gaz. Et ce ne fut pas une réaction épidermique sans lendemain, apparaît-il avec un peu de recul. Alors que le progrès de l'indice global affichait 5% deux semaines plus tard, la finance arrivait à +10% et le gaz-pétrole à +12%. Tout le monde n'était pas à la fête pour autant. En nommant ministre de la santé un certain Kennedy, neveu du président assassiné en 1963 et lui-même candidat démocrate à la présidence avant de se rallier à Trump, ce dernier a jeté un fameux pavé dans la mare. Après une brillante carrière d'avocat défendant l'environnement, le personnage est devenu complotiste et antivax, se fendant de déclarations consternantes (lire pages 12 et 14). Et c'est bien la consternation qui prévaut dans le secteur de la santé à l'annonce de sa nomination. Alors qu'il avait un peu (2%) grimpé en bourse dans un premier temps, il aura décroché de 4% deux semaines plus tard. Sans surprise, ce sont les producteurs de vaccins qui souffrent tout particulièrement. Fort diversifié, le géant Pfizer limite les dégâts à -10% depuis la fin octobre. L'action du groupe Moderna, par contre, affiche une chute de l'ordre de 20%, après avoir perdu jusqu'à un tiers de sa valeur en deux semaines. Précisons que, pour ce secteur perdant comme pour les gagnants, la tendance s'était souvent manifestée dès avant le résultat des élections, la victoire de Trump semblant hautement probable plusieurs jours avant le scrutin. Cette influence directe de la politique sur les marchés a d'ailleurs trouvé une illustration caricaturale au niveau des taux d'intérêt, dans le sillage du programme "inflationniste" du candidat républicain. Alors qu'il semblait avoir une longueur d'avance sur Joe Biden en juillet, le taux de l'obligation américaine à dix ans avait un peu grimpé, à 4,3% environ. Mais quand Kamala Harris, dont le programme n'a pas ce parfum inflationniste, entre en piste le 22 juillet, ce taux à long terme chute, au point d'afficher 3,8% deux semaines plus tard. Il atteindra même 3,6%... avant de remonter parallèlement à Donald Trump dans les sondages, jusqu'à dépasser 4,4%. Une volatilité un peu ahurissante pour le rendement du principal actif obligataire mondial! Le tableau a encore un peu changé avec la nomination, le 24 novembre, de Scott Bessent au poste de secrétaire au Trésor, c'est-à-dire ministre des Finances. C'est un gestionnaire de fonds réputé réaliste et modéré, sur lequel la planète financière, rassurée, compte pour tempérer les ardeurs du futur président. Y compris en matière de droits de douane. Le gestionnaire luxembourgeois Ethenea relativise de toute manière: "Pour un négociateur tel que Trump, [les droits de douane] représentent davantage un outil de négociation qu'une pénalité à long terme sur les flux commerciaux. Ils ne sont pas nécessairement plus inflationnistes que ce qui est actuellement intégré dans les prix". Comme écrit plus haut, les gestionnaires européens ont un faible pour les États-Unis. Rapportant beaucoup plus en dollar qu'en euro, les obligations émises par les entreprises occupent une place de choix dans la plupart des portefeuilles. Et ce qui ne gâte rien, c'est que le dollar s'est raffermi avec l'élection du candidat républicain. Cette politique ne devrait pas changer "dans la mesure où les différentiels de taux d'intérêt entre les USA et les autres régions du monde semblent voués à demeurer supérieurs aux attentes. Le dollar devrait également bénéficier d'un afflux de capitaux vers les actifs américains", écrit la banque privée suisse Lombard Odier. Il en va de même pour les actions car "même après le récent rallye, la forte croissance américaine, conjuguée aux réductions d'impôts et à la déréglementation, confère aux actions américaines du potentiel haussier supplémentaire", explique-t-elle par ailleurs. On peut regretter que l'épargne européenne finance davantage les entreprises d'outre-Atlantique que les locales, mais la concurrence ne peut pas être qualifiée de déloyale... Une remarque cependant: au travers des entreprises américaines, les gestionnaires d'actifs ne visent pas seulement le marché américain, mais aussi le reste du monde. La banque Delen a ainsi calculé la répartition géographique des activités déployées par les entreprises dont elle détient les titres dans son portefeuille d'actions. Les valeurs américaines y représentent pas moins de 64%, mais au niveau des activités, la proportion des États-Unis revient à 45%. Et tandis que la part de l'Europe reste de l'ordre d'un quart, ce sont les marchés émergents qui doublent leur poids, à 30%.