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À première vue, l'inflation recule mais, à seconde vue, il n'en est rien. Ce n'est pas un jeu de mot, mais une analyse économique toute simple. En janvier encore, les investisseurs n'avaient d'yeux que pour l'inflation globale, d'où leur optimisme. Ils se sont ensuite rendu compte qu'il y avait quand même un problème: c'est surtout la chute des prix du gaz qui imprime cette allure sympathique au graphique de l'inflation mais, du coup, il camoufle d'autres évolutions, que l'on ne saurait pourtant négliger. Comme le résume le gestionnaire d'actifs DNCA, "la vitesse de désinflation ralentit déjà". Qu'est-ce que cela signifie concrètement? L'inflation globale de la zone euro s'est affichée à 8,6% en janvier, en recul rassurant par rapport aux 9,2% de décembre et a fortiori en regard du sommet de 10,6% du mois d'octobre. Sauf que l'inflation de base a, elle, grimpé de 5% en octobre et novembre à 5,2% en décembre, puis à 5,3% en janvier, un nouveau record! Même scénario aux États-Unis, où le "déflateur des dépenses du consommateur", ainsi qu'on peut appeler l'indice PCE, s'est affiché à 4,7% en janvier, soit bien au-delà des 4,3% attendus. Pas étonnant que la Bourse américaine en ait été secouée, d'autant que cette mesure de l'inflation est le chouchou de la banque centrale américaine. Comment ne pas imaginer, en effet, que celle-ci y trouve une bonne raison d'être moins accommodante qu'espéré? Autrement dit, d'augmenter encore son taux de base. En Europe, cette crainte fut confirmée par la présidente de la BCE: la hausse des taux attendue ce mois-ci ne sera pas la dernière, a affirmé Christine Lagarde. Un mot d'explication. Il faut savoir que l'inflation de base est calculée en écartant les prix des produits considérés comme très volatils: leur évolution d'un mois à l'autre peut être erratique et fausser la vision. Il s'agit essentiellement de l'énergie et de l'alimentation, les fruits et légumes (frais) en particulier. Or, l'élément essentiel de la flambée de l'inflation en 2022, tout comme de sa décélération des derniers mois, c'est l'énergie, plus précisément le gaz. Ce dernier affiche aujourd'hui moins de 50 euros le kWh, soit moins d'un sixième de son sommet d'août dernier. La hausse, à un an d'écart, des prix énergétiques est donc logiquement revenue de 41,5% en octobre 2022 à 18,9% en janvier et elle est attendue à 13,7% en février. Un véritable plongeon! Plus modestes, d'autres écarts gonflent au contraire: la hausse des produits industriels est, à un an d'écart, passée de 3,1 à 6,7%. Très spectaculaire est la flambée des aliments transformés, qui incorporent progressivement le coût de l'énergie: leur hausse sur un an s'est envolée de 3,5% en février 2022 à 15% en janvier 2023. Ces chiffres, concoctés par Eurostat pour la zone euro, confirment les enquêtes qui font l'actualité à propos du panier de la ménagère... De plus, tant l'inflation des produits industriels que celle de l'alimentation sont encore attendus en progrès durant les prochains mois. Même chose pour les services: l'inflation y est limitée à 4,4% sur un an, mais avec les adaptations de salaires déjà intervenues ou attendues, ce chiffre va gonfler durant les prochains mois. Cette situation n'est pas restée sans conséquence au niveau des taux d'intérêt. Outre la nervosité des banques centrales évoquées plus haut, il y a l'attitude des investisseurs, qui exigent du coup des rendements plus élevés. En Belgique, celui de l'obligation d'État à dix ans a dépassé 3,30% le 1er mars. Il avait déjà frôlé 3,20% en octobre et à la fin décembre, c'est vrai, mais il vient de moins de 1,50% au début août 2022. Il va de soi que l'évolution est semblable pour l'ensemble de la zone euro. Qu'en pensent les gestionnaires professionnels? La banque Saxo se montre assez optimiste à l'égard des entreprises européennes, qui profitent de la bonne tenue de l'économie et surtout du dégonflement des prix énergétiques. Malgré leur jolie hausse de janvier, les actions européennes affichent par ailleurs une valorisation inférieure à la moyenne des dix dernières années, tandis que leur rendement de dividende est de 3,6%, soit plus du double des actions américaines (1,7%). Partenaire de Belfius en Belgique, Kepler Cheuvreux nourrit des sentiments semblables. Ce grand nom de l'analyse financière donne la préférence aux actions européennes, au détriment notamment des marchés émergents. La maison a par ailleurs réduit la voilure sur les obligations, en attendant d'y voir plus clair pour l'évolution des taux d'intérêt. Sur un tout autre plan, mais allant dans le même sens, le gestionnaire français Carmignac avait déjà pointé, à la mi-février, un phénomène fort intéressant de ce côté-ci de l'Atlantique: l'indice des surprises économiques. Depuis le mois de novembre, les bonnes surprises s'envolent en Europe, alors que ce sont les mauvaises qui impriment leur marque aux États-Unis. Or, s'il peut paraître surprenant, cet indice n'est pas fantaisiste, il faut le souligner! Quelques bémols? De la part d'Axa notamment, qui juge les anticipations d'inflation du marché trop basses. Autrement dit, les cours des actions et obligations sont peut-être un peu trop optimistes. Mais sans trop d'inquiétude, car le géant de l'assurance est acheteur d'obligations, surtout indexées sur l'inflation, il est vrai. De son côté, la maison Lazard estime que le plus bas de la Bourse est encore à venir. Tout ceci sans garantie...