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En 1960, dans les pays de l'OCDE, les personnes âgées représentaient 9% de la population. Ce pourcentage s'élève aujourd'hui à 17% et devrait atteindre 25% en 2050. Dans 30 ans, une personne sur dix aura plus de 80 ans... "Le vieillissement de la population, c'est un peu comme le réchauffement climatique: on a l'impression qu'on a encore le temps alors que c'est déjà en cours...", explique Simon Erkes, cofondateur et responsable de l'ASBL Senior Montessori, qui dispense des formations aux professionnels du vieillissement. Or, on le sait, le secteur institutionnel des soins est en crise. La crise covid et le scandale Orpea n'ont fait qu'ajouter au rejet de la population - en ce compris d'une partie des soignants - d'un modèle très médicalisé, centré sur la santé physique, parfois au détriment du bien-être et de la qualité de vie. Le besoin de l'humain de prendre des décisions pour et par lui-même (autodétermination) tout en se rendant utile à la communauté (sentiment d'appartenance) est un invariant anthropologique qu'avait déjà bien compris Maria Montessori (1870-1952), première femme médecin en Italie, à qui l'on doit la méthode pédagogique qui porte son nom. S'appuyant sur les capacités sensorielles, physiques et intellectuelles des petits, cette méthode veille au respect du rythme et des particularités individuelles de l'enfant tout en encourageant son lien aux autres et à l'environnement. Dans les années 90, un psychologue américain, Cameron Camp, a développé une méthode d'accompagnement des seniors atteints de démence basé sur cette même méthode. Car chez les personnes atteintes de démence de type Alzheimer, il n'y a pas que des déficits... Certaines zones du cerveau restent fonctionnelles très longtemps: le cerveau émotionnel est ainsi préservé par rapport au cerveau rationnel, de même que la mémoire procédurale par rapport à la mémoire déclarative. En contournant les déficits et en s'appuyant sur les habiletés encore présentes, le pari du "Montessori Based Programming Dementia" est de réapprendre aux personnes atteintes de troubles cognitifs les gestes du quotidien, selon la devise de Maria Montessori: "Aide-moi à faire seul". Cela passe par des choses simples. Demander à une personne si elle préfère être lavée à la douche, au lit ou à l'évier. Organiser un comité d'accueil pour les nouveaux arrivants. S'occuper ensemble du potager. "Maintenir l'autodétermination fait que chacun se sent mieux", commente Simon Erkes. "De même lorsqu'on s'engage dans des activités qui sont adaptées pour qu'on les réussisse. L'étiquette 'Alzheimer' fait partie des assignations dévalorisantes qui peuvent entamer l'estime de soi. Une approche centrée sur la personne permet de sortir de la stigmatisation, de ne pas réduire un individu à un diagnostic ou à un âge."Depuis quelques années, Simon Erkes a introduit cette méthode "Montessori senior" en Belgique. "Mon frère (Jérôme Erkes, NdlR) est neuropsychologue et a développé cette méthode en France dans les Ehpad", raconte-t-il. "Il faut dire que nous avons grandi tous les deux dans des écoles actives, qui appliquaient la pédagogie Freinet." Convaincu par la pertinence de ce modèle, Simon Erkes a déjà dispensé avec son équipe une centaine de formations dans les maisons de repos du pays. Sa dernière visite a eu lieu au service de gériatrie des Cliniques universitaires Saint-Luc. "Nous n'arrivons jamais avec des solutions toutes faites: nous sommes là pour accompagner une équipe, sensibiliser à d'autres possibles, proposer des techniques et des outils, une autre paire de lunettes. On ne va pas nécessairement être d'accord sur tout mais ce n'est pas grave! Ce qui est important, c'est de questionner les expériences, les pratiques."Car Simon Erkes en convient: la méthode Montessori suppose un véritable changement de paradigme dans un secteur souvent acculé par de multiples contraintes... "Il est vrai que nous proposons un discours assez alternatif ou disons 'transformatif'. Le cap à franchir paraît parfois immense, notamment parce que ça touche aussi aux mécanismes de financement du secteur. Mais à la clef, il y a aussi la perspective d'avoir moins de turnover chez les soignants, moins d'absentéisme, un personnel qui retrouve de l'engagement, du plaisir au quotidien."Objectif à triple entrée: sortir du sentiment d'"impuissance acquise" qui mine à la fois les professionnels du soin, l'entourage, les seniors. "L'impuissance acquise, c'est se dire 'j'ai appris que je ne pourrai rien y faire', comme dans l'éco-anxiété. Nous voulons au contraire donner aux personnes des outils qui permettent de retrouver des moments plus positifs, plus constructifs", conclut Simon Erkes. Car la vie humaine, de la petite enfance à la vieillesse, est marquée par ce désir d'apprendre et d'agir sur le monde. Y compris lorsqu'on est malade, que l'on se sent diminué ou souffrant. "L'idée que les gens qui ont des difficultés cognitives n'apprendraient plus est fausse", ajoute encore Simon Erkes. "Apprendre est un processus qui n'a pas de fin."