Établir une synergie entre des études de biomécanique et des travaux en soufflerie aérodynamique, voilà le projet novateur développé à l'Université de Liège à destination des sportifs valides et handicapés. Il est l'oeuvre du Laboratoire d'analyse du mouvement humain (LAMH) et du Wind Tunnel Lab (WTL) des facultés des sciences appliquées et de médecine. Cette approche est assurément originale, ces deux types de recherche ayant été dissociés jusqu'à présent.
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Pris isolément, les travaux de biomécanique visent à optimiser les mouvements de l'athlète dans un but d'amélioration des performances et de prévention des lésions. Et, centrées sur elles-mêmes, les études en soufflerie ambitionnent de permettre au sportif ou au "binôme" qu'il forme avec le matériel spécifique utilisé dans sa discipline (vélo, skis, Formule 1...) d'accéder aux meilleures performances aérodynamiques possible. Toutefois, il n'est pas rare que des optima aérodynamiques heurtent de front certains critères mis en exergue par la biomécanique et, dès lors, que des compromis soient nécessaires. Par exemple, on peut imaginer que la position adoptée par les cyclistes professionnels dans les descentes de cols, où ils placent le buste parallèlement au sol en amenant la tête au niveau du guidon, pourrait fatiguer certains muscles et donc nuire à la performance lors de la suite de la course. "Cette position est le fruit de résultats en soufflerie où les mesures réalisées sur des mannequins statiques à échelle réduite (en général à l'échelle 1/4) concluent à un gain de vitesse", indique Thomas Andrianne, directeur de la soufflerie aérodynamique de l'ULiège. Pour le projet qu'il vient d'initier avec le LAMH, le WTL prône une approche dynamique des essais en soufflerie. Chez les sportifs valides, ils cibleront d'abord les cyclistes. "Les essais avec des mannequins figés offrent une bonne base, mais nous voudrions prendre en considération que le mouvement des jambes modifie le flux d'air et, par conséquent, la force de traînée - celle qui freine le coureur -, donc les performances aérodynamiques", commente Thomas Andrianne. Et d'ajouter: "Chez les cyclistes, le pourcentage de puissance dissipée en force aérodynamique oscille entre 50 et 90%. Un coureur qui, par un meilleur aérodynamisme, économiserait des watts à ce niveau par rapport à un adversaire moins bien positionné sur son vélo, gagnerait en vitesse." Ce sont des plateformes de force placées sous le vélo qui permettront de mesurer la traînée. Le LAMH, lui, interviendra parallèlement en étudiant les paramètres biomécaniques. Dans un premier temps, il recourra à des capteurs de force intégrés aux pédales ainsi qu'à l'électromyographie (EMG) de surface. L'emploi des capteurs de force aura notamment pour but de mesurer les forces qui sont appliquées par le cycliste dans différentes conditions de vent et différentes positions. "Il pourrait y avoir des positions qui permettent de générer beaucoup de puissance sur les pédales, mais seulement pendant un court laps de temps car elles ne seraient pas économiques pour les muscles, explique l'ingénieur Cédric Schwartz, responsable du LAMH. Elles sont adaptées pour le sprint, par exemple, mais pas pour de longues distances. En définitive, dans une situation donnée, tout est question de compromis entre les composantes aérodynamiques, biomécaniques et physiologiques." D'où l'intérêt de la combinaison des évaluations. Dans ce cadre, l'électromyographie de surface servira entre autres à appréhender l'activité musculaire lors du geste, à recueillir des informations sur le pattern de recrutement des muscles dans le temps. On pourra ainsi déterminer à quel moment et avec quelle intensité certains muscles interviennent dans la séquence productrice d'un geste et si la séquence est appropriée. Dans l'immédiat, l'étude de la cinématique articulaire, en l'occurrence les déplacements, les vitesses et les accélérations des segments corporels (chevilles, genoux, hanches) lors des mouvements, ne pourra pas être appréhendée dans la soufflerie. Pourquoi? Parce que les techniques optoélectroniques requises occuperaient trop d'espace. "Initialement, nous reproduirons, au sein du LAMH, le protocole mis en oeuvre pour les essais en soufflerie. Autrement dit, nous effectuerons provisoirement des acquisitions séparées. Toutefois, nous cherchons des solutions pour tout combiner", signale Cédric Schwartz. Au début, les travaux des chercheurs de l'ULiège se concentreront sur le cyclisme chez les athlètes valides et sur les courses en chaise roulante chez les athlètes handisport. Dans les deux cas, la traînée aérodynamique peut être importante et il convient de la minimiser en intervenant à tous les niveaux possible: position du sportif, vêtements, casque, matériel (tubes, jantes, etc.), sachant cependant que les appendices aérodynamiques sont interdits par les règlements des fédérations. "Pour les études classiques avec mannequins statiques, nous scannons des cyclistes et les reproduisons à échelle réduite par impression 3D", rapporte Thomas Andrianne. " Quand nous travaillons avec une approche dynamique chez un sportif réel en mouvement, nous circonscrivons nos études au pédalage à haute fréquence chez les cyclistes et aux mouvements des bras à haute fréquence chez les athlètes handisport devant actionner une chaise. C'est dans ces conditions que les vitesses deviennent élevées et que les données aérodynamiques se révèlent cruciales pour la performance. C'est également dans ces conditions que les composantes biomécaniques et physiologiques pèsent de tout leur poids et qu'il est particulièrement intéressant de coupler leur étude avec les essais en soufflerie."Le projet venant à peine d'être initié sur le terrain, le temps est aux études de validation, non avec des athlètes de haut niveau, mais avec des volontaires. Le LAMH est le centre expert d'analyse biomécanique pour les sportifs sous contrat de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Sa réputation n'est plus à faire, d'autant que le 19 octobre 2016, il a été consacré Centre médical d'excellence officiel par la FIFA, et ce conjointement avec la structure SportS2 (CHU de Liège) qui regroupe l'ensemble des spécialités et outils qui, abstraction faite de la sphère de compétence du LAMH, intéressent les sportifs professionnels et amateurs - chirurgie orthopédique, médecine physique, kinésithérapie, isocinétisme, diététique, cardiologie, psychologie du sport, sciences de la motricité, pneumologie-allergologie... "Les sportifs de haut niveau qui fréquentent le LAMH, dont des médaillés olympiques, sont demandeurs pour une participation à nos essais en soufflerie et pour le couplage d'études aérodynamiques et biomécaniques. À la lumière de nos premiers résultats avec des volontaires, nous sommes confiants quant à la faisabilité du programme que nous voulons développer. Il reste néanmoins à finaliser le protocole scientifique qui sous-tendra nos recherches chez les athlètes professionnels", indique Cédric Schwartz Les cyclistes sont au centre de nombreuses recherches en aérodynamique depuis plus de 20 ans. Par contre, les sportifs en situation de handicap apparaissent comme des parents pauvres à ce niveau. Thomas Andrianne cite un chiffre éloquent: un facteur 100 de différence entre le nombre de recherches pour le sport en général et pour le handisport. "Pourtant", souligne-t-il, " les gains de performances aérodynamiques sont équivalents dans les sports pour athlètes valides et ceux pour athlètes handisport." Aussi les chercheurs de l'ULiège comptent-ils contribuer à combler le fossé qui sépare ces deux types de sport sur le plan de l'approche scientifique. Dans le cas du handisport, les études pourraient s'étendre à une aide à la conception de prothèses, par exemple, dont la géométrie s'avérerait alors plus performante au niveau aérodynamique pour la pratique d'un sport donné, tout en assurant un optimum sur les plans biomécanique et physiologique. Dans un futur à moyen terme, les travaux nés de l'association du LAMH et du WTL de l'ULiège sont appelés à essaimer vers d'autres disciplines sportives que le cyclisme et les courses en chaise. Ils ambitionnent également de participer à la prévention des blessures chez les athlètes.