Fondé en 1934, l'American College of Rheumatology a tenu son congrès annuel (Convergence 2024) à Washington du 14 au 19 novembre dernier, réunissant des professionnels de santé provenant de plus de 90 pays recouvrant les six continents. La surface du Walter E. Washington Center a fait le plein de ses 210.000 m2 avec plusieurs milliers de participants, des séances de formation et des exposés à tous les étages. Les posters n'étaient pas en reste: pour les parcourir tous, il fallait se farcir pas moins de 4 kilomètres... chaque jour, pendant trois jours.
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La Dre Deborah Dyett Desir, rhumatologue de renom et 87e présidente de l'ACR, a introduit le congrès en brossant le chemin parcouru depuis ses études, quand le traitement de la polyarthrite rhumatoïde consistait en l'injection de sels d'or et à "conseiller de prendre de l'aspirine jusqu'à en souffrir d'acouphènes" (sic), en se réjouissant de l'arrivée toute fraîche du méthotrexate. "L'avènement des thérapies biologiques et des inhibiteurs de petites molécules a révolutionné la prise en charge des maladies rhumatismales", se réjouit la présidente, "offrant des approches ciblées qui réduisent considérablement l'activité de la maladie. La transition vers une médecine personnalisée est particulièrement enthousiasmante, en tirant parti des données génétiques individuelles et des biomarqueurs pour prédire l'évolution et la réponse aux traitements. La voie s'ouvre vers de nouvelles thérapies susceptibles de prévenir, de stopper, voire même d'inverser le cours de ces maladies."Ce qui a été diffusé lors du congrès lui donne raison, tant en termes d'amélioration de la qualité de vie, de réduction des effets indésirables et de nouvelles voies prometteuses. Les corticostéroïdes (CS) constituent depuis longtemps un pilier du traitement des maladies rhumatismales, mais leur toxicité à long terme incite à en éviter la prescription ou, à tout le moins, à en réduire la posologie. Une session du congrès a été consacrée aux efforts réalisés ou à envisager dans ce sens. Le Pr John Stone (Harvard) a évoqué l'exemple des vascularites, avec de nouveaux médicaments comme l'avacopan qui permettent de diminuer la prescription de CS. "Certaines études actuellement en cours portent sur des outils mesurant la toxicité des CS non seulement dans les vascularites qui sont associées aux ANCA, mais également dans l'artérite à cellules géantes (artérite temporale)."Quant au lupus érythémateux disséminé (LED), la Pre Michelle Petri (École de médecine Johns Hopkins) a rappelé que "les études de cohortes ont montré que la prednisone y est directement ou indirectement responsable de 80% des lésions organiques irréversibles", et que les directives EULAR 2023 introduisent des recommandations novatrices pour le LED notamment, en limitant la dose d'entretien de prednisone à maximum 5 mg/j et en recommandant un traitement précoce par médicaments biologiques et/ou immunosuppresseurs. "S'il faut utiliser des stéroïdes, d'après nos données, la triamcinolone en IM et/ou les perfusions de méthylprednisolone se montrent relativement sûres."En ce qui concerne la polyarthrite rhumatoïde (PR), les choses semblent un peu plus complexes, comme l'explique la Pre Beth Wallace (Université du Michigan): "L'utilisation à long terme de faibles doses de CS fonctionne, et nous n'avons actuellement aucune alternative à court terme que ces médicaments en présence d'une rechute. Notre objectif à long terme doit être de reconnaître la PR précocement, et de placer les patients rapidement et agressivement sous DMARD (Disease Modifying AntiRheumatic Drug) pour atteindre les objectifs thérapeutiques."La Dr Sabrina Hamroun (Hôpital Cochin, à Paris) a évoqué une méta-analyse réalisée par son équipe internationale sur les effets des CS chez la femme rhumatisante enceinte ou allaitante, pour informer le groupe de travail de l'EULAR dans l'optique de ses recommandations futures. La revue de la littérature a retenu 21 articles incluant 8.777 grossesses et cinq articles incluant 32 patientes allaitantes. Le taux de fausses couches s'élevait à 9,4%, pour 5,2% de malformations congénitales majeures, 2,3% de mortalité in utero, 22,2% de faible poids à la naissance et 18,2% de prématurité. À titre d'illustration statistique, le rapport de risque pour la prématurité s'élevait à 1,53 (0,98-2,37) après ajustements. Un effet dose-dépendant a de plus été rapporté. Les chiffres étaient plus rassurants pour l'allaitement, avec des quantités de CS très faibles dans le lait. Une des études n'a d'ailleurs rapporté aucun effet indésirable chez les nourrissons exposés pendant un suivi de 3 à 12 mois. Comme chaque année à l'ACR Convergence, un membre de la FDA - en l'occurrence, ici, le rhumatologue Eric Gapud - a évoqué les mises à jour de l'Agence sur les médicaments destinés aux maladies rhumatismales, ainsi que les nouvelles mises en garde. Et l'année écoulée a été bien chargée, d'après lui, même si on n'y voit pas la trace de nouveaux médicaments - à l'exception de quelques biosimilaires. On notera principalement de nouvelles indications en pédiatrie rhumatismale. Ainsi, l'Agence autorise désormais le certolizumab pégol, le sarilumab et l'upadacitinib pour la polyarthrite juvénile idiopathique. Tous ces produits ont été approuvés sur base d'une extrapolation pharmacocinétique à partir de données issues de la PR chez l'adulte, ainsi que du rhumatisme psoriasique chez l'adulte et chez l'enfant. Il ne serait pas étonnant qu'à terme, l'Agence européenne du médicament (EMA) suive le même mouvement. Par contre, un nouveau problème de sécurité sera ajouté par la FDA aux multiples avertissements existant déjà pour les CS. Il trouve son origine dans de multiples cas de syndrome de Kaposi chez des patients placés sous CS, le plus généralement à cause d'une maladie chronique comme un rhumatisme inflammatoire. Les CS semblent en effet activer le virus herpès humain de type 8, qui est responsable du syndrome de Kaposi.