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"P ourquoi une réunion de consensus alors que dans les centres multidisciplinaires de la douleur, on fait une médecine individualisée où chaque patient devient un partenaire à part entière ? ", s'est interrogé de façon un peu provocante le Dr Philippe Voordecker, neurologue (ULB), l'un des intervenants de la réunion de consensus. " Le traitement médical est une petite partie du traitement global. "Autre question posée en préambule : doit-on diminuer l'intensité de la douleur chez le patient douloureux chronique ? " La douleur est un langage, elle a une composante sociale et culturelle. Si on se base uniquement sur son intensité, on utilisera des opioïdes. On n'est pas certain que les autres médicaments agissent directement sur la douleur : une étude sur les patients présentant une douleur neuropathique traités par la prégabaline a montré qu'elle fonctionnait essentiellement sur le questionnaire de qualité de vie, qu'elle était probablement efficace sur les comorbidités accompagnant les douleurs chroniques, ici, en particulier, sur le sommeil. "Le neurologue explique le glissement du terme " prise en charge " vers celui de " projet thérapeutique " : " Plutôt que de prescrire beaucoup de médicaments, en particulier des opiacés, il faut garantir la qualité de vie du patient et son autonomie. Faut-il traiter avec des médicaments, en particulier pour les douleurs neuropathiques ? Parfois, en accord avec le patient, je n'entame aucun traitement médicamenteux et j'aborde le problème avec d'autres outils (sport...). La douleur est une matrice interactive, d'abord nociceptive, puis attentionnelle... C'est le modèle biopsychosocial. "" À côté de l'EBM, il y a les compétences du soignant et les croyances du patient : il faut donc personnaliser l'approche thérapeutique. Dans ce cadre, le consensus joue le rôle d'un phare dans la brume... ", conclut Philippe Voordecker.Pour l'algologue Dominique Libbrecht (ULiège), les principes de prescription doivent être basés sur une prise en charge orale (moindre coût, facilité) et multimodale, avec une épargne opioïde : " La prescription doit se faire à intervalles réguliers en respectant la demi-vie des médicaments (taux plasmatiques constants) et la physiopathologie de la douleur (nociceptive, neuropathique, sensibilisation centrale...), et elle doit être personnalisée. Il faut faire un contrat thérapeutique avec le patient qui doit pouvoir fonctionner correctement avec le moins de douleurs possibles. Enfin, il faut réévaluer régulièrement le patient et collaborer avec le médecin traitant. "La spécialiste fait observer que les recommandations sont basées sur des études cliniques qui ne correspondent pas à ce qui se passe en réalité : il s'agit souvent de petites séries, de suivis courts, pour des indications de lombalgies, arthrose du genou ou de la hanche, rarement d'associations médicamenteuses...Le Dr Libbrecht rappelle les indications du paracétamol : " Pour les douleurs arthrosiques pas trop évoluées parce qu'il a un équilibre entre les effets secondaires et la tolérance. Pas pour la fibromyalgie, ni la douleur neuropathique, il faudrait donc peut-être modifier les critères de remboursement. Actuellement, on se pose la question de savoir s'il ne pourrait pas y avoir une accoutumance avec le paracétamol : on ne connaît en effet pas bien son mécanisme d'action, il pourrait agir au niveau central et créer des phénomènes de dépendance. "Quant aux AINS, ils sont indiqués pour les douleurs par excès de nociception, après échec du paracétamol. " Vu le risque d'effets secondaires, il faut donner la dose la plus efficace, la plus faible et pour la plus courte durée possible. Il ne faut pas oublier le risque de photosensibilité, d'allergie et d'hypertension (pour les topiques aussi). "Dominique Libbrecht invite à se poser une série de questions relatives par exemple au vieillissement de la population : " L'incidence de la douleur chronique augmente avec l'âge : plus de 80% des plus de 80 ans ont des douleurs chroniques (fragilité, risque d'interférences médicamenteuses...). Sans oublier la question du coût des traitements et des effets secondaires (IPP, dialyse...). Souvent les patients souffrent depuis plus de dix ans et, dans certains cas, il faut faire une désescalade thérapeutique, ce qui nécessite un soutien psychologique qui n'est pas toujours remboursé. La prescription d'analgésiques doit se faire dans un contexte de prise en charge globale pour éviter d'être iatrogène. "Ensuite, le droit du patient de ne plus avoir mal peut être en contradiction avec la liberté thérapeutique du médecin : " Toutes les semaines, des patients réclament du cannabis, il faut leur expliquer qu'on n'en prescrit pas et pourquoi. L'éducation thérapeutique du patient devrait être plus efficace et se faire plus en amont : les médicaments ne règlent pas tous les problèmes. "Dernière question : faut-il autoriser la vente libre des antidouleurs ? " Pour moi, non ", estime-t-elle. " Je les prescris toujours, même s'ils sont en vente libre, et j'établis un contrat thérapeutique avec le patient. Il faut aussi une bonne collaboration entre le médecin spécialiste, le médecin traitant et le pharmacien. La prescription électronique permettra peut-être de voir ceux qui en prennent trop. "Enfin, reste la question de la revalorisation de l'acte intellectuel : " Traiter la douleur est chronophage. Il faut garder à l'esprit que la médecine est un art et que chaque patient est unique ", conclut le Dr Libbrecht.Rendez-vous est donc pris en 2020 pour prendre connaissance des nouvelles recommandations.