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Depuis le milieu des années 1990, les trithérapies ont radicalement changé le visage de l'infection par le VIH au point que celle-ci s'est mutée d'un arrêt de mort quasi certain en une maladie chronique, les personnes vivant avec le VIH bénéficiant actuellement d'une espérance de vie quasi identique à celle de la population générale. Au cours de ces dernières années, un nouveau virage thérapeutique a été négocié avec l'arrivée de la thérapie duale associant dolutégravir et lamivudine laquelle offre de multiples avantages notamment en terme de réduction des coûts et des effets indésirables. Sur base d'essais cliniques solides démontrant une non infériorité sur le plan virologique de cette thérapie duale vs les trithérapies classiques, de nombreuses sociétés savantes dont l'EACS recommandent à présent la combinaison dolutégravir/lamivudine tant en première ligne de traitement pour les patients naïfs que dans le cadre d'un switch chez les patients expérimentés.Alors que les mutations de résistance sont moins fréquentes chez les personnes sous dolutégravir eu égard à sa barrière de résistance élevée, deux mutations, liées à la lamivudine ou à l'emtricitabine, M184V et M184I demeurent courantes et peuvent se développer assez rapidement lorsque l'observance thérapeutique est sub-optimale.La préoccupation est donc de savoir si les personnes présentant ces mutations sont plus à risque d'un échec virologique après passage vers une thérapie duale. Deux études observationnelles, menées l'une à Rome et l'autre à Milan, ont enquêté sur le risque ainsi que sur les facteurs de risque d'échecs virologiques après passage vers une thérapie duale associant dolutégravir et lamivudine.L'étude romaineA la policlinique universitaire Agostino Gemelli de Rome, le Dr Alberto Borghetti et ses équipes (1) ont enquêté sur les facteurs de risque d'échecs virologiques auprès de 669 personnes vivant avec le VIH dont la charge virale était indétectable sous trithérapie classique et qui sont passés vers une thérapie duale associant dolutégravir et lamivudine.La cohorte observée comprenait principalement des hommes (71%), de race caucasienne (91%) et âgés entre 45 et 49 ans. Cette étude a défini l'échec virologique comme une seule charge > 200 copies ou deux mesures consécutives supérieures à 50 copies. Sur l'ensemble de la cohorte et après 3 années de suivi, les investigateurs n'ont constaté que 23 échecs virologiques. La probabilité d'échec au sein de l'ensemble de la population était de 1,6% à 1 an, de 4% à 2 ans et de 5,4% à 3 ans.Sur base de modélisation des facteurs prédictifs d'échec virologique, on constate que la présence de mutations M184V/I multiplié par 3 le risque d'un échec virologique après passage vers une thérapie duale. Si des mutations de type TAM (Thymidine Associated Mutations) sont associées aux mutations M184V/I, le risque de survenue d'un échec virologique est cette fois multiplié par 4,5.Voilà donc pour l'impact potentiel des mutations de résistance aux antirétroviraux. Quid à présent des antécédents d'échecs virologiques ?Indépendamment de la présence ou non de mutations de résistance, on constate que les personnes qui ont maintenu une charge virale indétectable durant moins de deux ans avant passage vers une thérapie duale avaient environ 3,5 fois de risque de présenter un échec virologique.De plus, et toujours indépendamment de la présence ou non de mutations de résistance M184V/I, les personnes ayant des antécédents d'échec virologique avec un inhibiteur de l'intégrase présentaient un risque d'échec environ 6 fois plus élevé après passage au dolutégravir/lamivudine. En l'absence de tests génotypiques de résistance pour les inhibiteurs de l'intégrase, les auteurs suggèrent que l'échec virologique avec les inhibiteurs de l'intégrase pourrait représenter un indicateur d'une mauvaise observance mais de futures études devraient évaluer ce dernier point.L'étude milanaise A Milan, le Dr Arturo Ciccullo et ses collaborateurs (2) ont analysé une cohorte de 785 personnes vivant avec le VIH dont la charge virale était indétectable sous trithérapie classique et qui étaient passées à la combinaison dolutégravir/lamivudine. Cette cohorte comportait essentiellement des hommes (71%) âgés de 45 à 58 ans.Dans cette étude, l'échec virologique était défini par une seule charge virale mesurée à ou au-dessus de 1000 copies (supérieure à l'étude précédente) ou deux mesures consécutives supérieures à 50 copies (équivalent à la précédente étude).Sur un suivi de 5 ans, on constate que 18 personnes ont présenté un échec virologique mais aucune n'a développé de résistance aux INTI ou aux inhibiteurs de l'intégrase. La probabilité d'un échec virologique au sein de cette cohorte était de 1,5% après 1 an, de 2,3% après 2 ans, de 3,1% à 3 ans et de 3,6% après plus de 4,5 ans.Lors de l'évaluation des facteurs de risque d'échec virologique, les investigateurs n'ont observé aucune différence significative entre porteurs ou non de mutations M184V/I. Le risque d'échec après switch était cependant plus élevé pour les personnes qui cumulaient la présence de ces résistances avec une période de moins de 7 ans à charge virale indétectable. Enfin et de façon plus globale, le fait de présenter des antécédents d'échec virologique augmentait le risque d'échec après passage vers une thérapie duale.ConclusionBien que le passage d'une trithérapie classique vers une thérapie duale associant dolutégravir et lamivudine ait une nouvelle fois démontré un faible risque d'échec virologique, ces deux études observationnelles et d'autres données indiquent qu'il faut demeurer prudent dans certains cas. D'abord, chez les personnes qui présentent des mutations M184V/I (a fortiori si elles sont associées à des TAM ou si la durée sous charge indétectable est courte) et, ensuite, chez les personnes qui ont présenté des échecs virologiques antérieurs. Il est donc recommandé d'attendre les résultats des tests génotypiques de résistance afin de vérifier la présence d'éventuelles mutations de résistance avant de passer d'une trithérapie classique vers une thérapie duale.Réf: 1) Borghetti A. et al. Open Forum Infectious Diseases 8:1-5, 2021.2) Ciccullo A. et al. Journal of AIDS 88:234-237, 2021.