Une étude de cohorte rétrospective, menée dans le cadre d'une validation de principe par une équipe d'investigateurs de l'Université de Pennsylvanie à Philadelphie, suggère que les INTI pourraient avoir un effet prophylactique sur la maladie d'Alzheimer chez les personnes de 60 ans et plus.
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Au sein du génome humain, il existe une quantité importante de séquences d'ADN de type viral estimées à 8 % de sa longueur, vestige évolutif de pandémies précédentes. Une fois intégrés dans notre génome, ces séquences sont difficiles à éliminer, tout comme l'est l'ADN du VIH. C'est pourquoi, pour se défendre, notre système immunitaire a choisi une approche qui consiste à endommager gravement ces séquences qui, dès lors, ne peuvent plus produire de virus intacts, mais peuvent néanmoins encore produire certaines protéines virales, notamment des enzymes de type transcriptase inverse. Jusqu'il y a peu, on pensait que les humains ne pouvaient pas disposer de telles enzymes, leur fonction étant de reconvertir l'ARN en ADN, un processus très risqué et inutile pour les organismes non viraux car il est sujet aux erreurs. Par conséquent, la découverte d'un gène "transcriptase inverse" au sein du génome humain a été attribuée à des infections antérieures de type VIH. La recherche fondamentale suggère que ces enzymes "transcriptase inverse" pourraient encore être capables d'introduire des recombinaisons et des amplifications génétiques aléatoires (augmentant le nombre de copies de certains gènes nocifs) dans les cellules cérébrales, ce qui les amène à produire des protéines dysfonctionnelles qui s'agglutinent et nuisent aux cellules neuronales notamment chez les personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer. Les chercheurs sont partis de l'hypothèse selon laquelle les INTI étant une classe de médicaments qui bloque la transcriptase inverse du VIH, et comme celle-ci est similaire à celle produite par nos cellules, ces mêmes médicaments pourraient également les bloquer, ce qui pourrait éventuellement avoir un effet protecteur contre la maladie d'Alzheimer. Encore fallait-il valider cette hypothèse, ce à quoi se sont attelés nos confrères de Philadelphie.Pour cette étude, les investigateurs ont collecté les données de 43.000 personnes, qu'ils ont réparties en trois groupes bien différenciés : 1. Des patients séropositifs prenant des INTI ; 2. Des personnes séropositives suivant un traitement sans INTI ou sans aucun traitement ; 3. Des personnes séronégatives et qui ne prenaient pas d'INTI. Ces patients ont été suivis durant une période moyenne de deux ans et neuf mois. Les résultats ont montré que le taux de développement de la maladie d'Alzheimer était le plus faible au sein de la première cohorte, celle regroupant les personnes séropositives suivant un régime contenant des INTI. Au sein de cette cohorte, moins de trois personnes sur 1.000 ont développé la maladie d'Alzheimer. Dans la deuxième cohorte, celle des personnes séropositives, soit sous régime sans INTI, soit exemptes de tout traitement, le taux de maladie d'Alzheimer était plus élevé que celui observé au sein de la première cohort, mais toujours inférieur à celui de la troisième cohorte de personnes séronégatives. Cependant, cette différence (avec le premier groupe) a disparu lorsque l'analyse a pris en compte l'âge et le sexe. Dans cette seconde cohorte, le taux de maladie d'Alzheimer était au final et après ajustement d'un peu plus de 3,5 personnes sur 1.000. Enfin, la troisième cohorte, celle des personnes séronégatives sans traitement, présentait le taux le plus élevé de personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer, soit un peu plus de six personnes sur 1.000.Bien que des recherches antérieures aient établi un lien entre différents virus et la maladie d'Alzheimer (que ce soit directement ou indirectement), il n'en demeure pas moins vrai qu'il s'agit d'une maladie multifactorielle. Certes, certains virus et certaines conditions inflammatoires peuvent potentiellement contribuer à son développement, mais d'autres facteurs, qu'ils soient génétiques, liés au mode de vie ou environnementaux, ne peuvent être exclus. Bien que les INTI semblent diminuer le risque de maladie d'Alzheimer, le mécanisme pourrait être différent de celui proposé par cette étude. Certains INTI peuvent supprimer l'inflammasome, ce qui peut aussi indirectement participer à la protection du cerveau. Enfin et surtout, il ne faut pas perdre de vue qu'il s'agit là d'une étude rétrospective et non d'une étude randomisée. En outre, l'étude présente un certain nombre de limites, telles qu'une période de suivi relativement courte et une adéquation non idéale entre les cohortes pour ce qui concerne l'âge et le sexe. Des études contrôlées randomisées seront encore nécessaires pour obtenir une réponse plus définitive quant à savoir si les INTI protègent contre la maladie d'Alzheimer chez les personnes non séropositives.Réf : Tiffany W. Chow et al. Pharmaceuticals 2024, 17(4), 408; https://doi.org/10.3390/ph17040408